Le sujet est à retrouver ici : sujet de contraction HEC 2019.

Les statistiques de l’épreuve

Le rapport de jury

Barème, attentes du jury

Le texte proposé cette année à l’attention des candidats constituait un extrait de l’essai que Michel Maffesoli a consacré, en 1996, au nomadisme dans les imaginaires sociaux et les inconscients collectifs. Il entrait en résonance avec les thèmes du programme de première année. Ce texte suivait une argumentation construite et progressive dont il fallait absolument rendre compte, comme l’ont d’ailleurs fait, avec brio, les meilleures copies qui, cette année encore, ont su allier rigueur argumentative, esprit de finesse et grâces de l’expression.

La première partie du texte (§ 1 à 15) posait le cadre général de la réflexion de Michel Maffesoli sur le nomadisme. Son orientation, plus conceptuelle, a visiblement dérouté un certain nombre de candidats qui, pour masquer leur embarras intellectuel, ont préféré se réfugier derrière des développements aussi creux qu’amphigouriques. On rappellera que la contraction de texte obéit d’abord à une exigence de clarté : il s’agit de faire la lumière sur un texte, non de l’enténébrer. C’est pourquoi charabia, jargon et pédantisme sont à proscrire, surtout lorsqu’ils sont employés, comme les deux derniers, à si mauvais escient. En vérité, le jury se demande encore, à l’heure qu’il est, ce qui a bien pu pousser un candidat à rapprocher le nomadisme de « la madeleine de Proust », ou cet autre à affirmer que « l’errant est amphibie ».

La seconde partie du texte (§ 16 à 29) jetait un éclairage historique sur la vertu fécondante du nomadisme au fil des civilisations. De nombreux candidats – on s’en félicite – ont bien montré l’ambivalence structurelle de la figure de l’errant, qui est perçue comme une menace de chaos par l’ordre institué mais qui est aussi la condition sine qua non de la vitalité d’une société par les échanges qu’elle génère avec l’extérieur. En revanche, de trop nombreuses copies ont eu tendance à survoler le dernier tiers du texte, en escamotant tantôt le développement consacré au monde grec, tantôt celui dédié au monde juif, tantôt celui concernant la société médiévale – quand ce ne fut pas, purement et simplement, une ablation douloureuse de ces trois moments qui faisaient pourtant corps avec le raisonnement de l’auteur. Il revient au jury de mettre en garde celles et ceux qui, par paresse, par désinvolture ou par manque de temps, ont procédé ainsi à de telles amputations : le travail de contraction implique de restituer les grandes masses argumentatives du texte et de rendre compte de sa cohérence interne. Évacuer arbitrairement telle ou telle partie du texte revient à mutiler d’autant la réflexion de l’auteur et à dénaturer l’exercice. S’il convient de ne pas survoler le sujet, il n’est pas pour autant souhaitable de s’y noyer. Certains candidats, en reprenant sans discernement chacune des références convoquées par l’auteur à la fin de son texte, ont transformé leur contraction en chapelet de noms propres et se sont égarés dans l’accessoire au détriment de l’essentiel.

Concernant l’orthographe, le jury a appliqué les mêmes pénalités que lors des précédentes sessions. On les rappellera ici pour mémoire : un point de quatre à six fautes, deux entre sept et neuf, trois entre dix et douze, quatre au-delà. Quant au non-respect du nombre de mots admis, il entraîne une pénalité d’un point par dizaine entamée, aggravée de deux points lorsque le décompte annoncé sur la copie est faux. Ces critères combinés suffisent généralement à rendre compte des notes les plus basses.

Remarques de correction

Le format de l’épreuve est globalement respecté. Les défaillances méthodologiques les plus grossières – omission du décompte final, énonciation à la première personne du singulier, référence à l’auteur – sont demeurées rares cette année. Trop nombreuses, en revanche, restent les copies à ne pas respecter scrupuleusement les limitations en mots ou à se livrer à des décomptes fantaisistes. Ces infractions ont été sanctionnées comme il se doit, et plus implacablement encore lorsqu’elles étaient frauduleuses.

On rappellera, cependant, aux candidats que l’exercice de contraction ne saurait se réduire à une juxtaposition brute, voire brutale, d’expressions empruntées au texte, avec ou sans guillemets. Il implique, au contraire, un travail de reformulation suivi et soigné qui vise à restituer, le plus fidèlement possible, la ligne argumentative de l’auteur dans ses nuances, ses modulations et ses inflexions. On ne saurait donc trop recommander aux candidats de prendre de la hauteur sur le texte afin d’en avoir une vue panoramique. Ce regard surplombant leur permettrait de ne pas s’enliser dans une paraphrase myope et maladroite ou dans des considérations générales autant que superflues ; il leur éviterait aussi de lier en gerbe, à l’aide de connecteurs supposés logiques (« de plus », « d’ailleurs », « donc »…), mais utilisés en réalité de façon purement arbitraire, des propositions qui n’ont entre elles aucun rapport.

Quelques contresens très localisés, mais malheureusement répandus dans les copies, méritent d’être soulignés tant ils révèlent une méconnaissance culturelle de notre langue. Certains candidats ignorent visiblement l’étymologie que l’on prête traditionnellement au mot « religion », du latin religare, « relier », « lier ensemble ». Attribuer les mouvements migratoires à un « facteur religieux » ou, a fortiori, à un « calendrier religieux » relevait du contresens pur et simple : ce n’était pas la religion, au sens spirituel ou théologique du terme, qui était en jeu ici mais bien le rapport – « la reliance » – que les individus tissent à la société et au monde, conformément au sens étymologique de « religion ». D’autre part, le concept de « regrès », forgé par Michel Maffesoli, n’a pas été compris de tous, loin s’en faut. Il fallait y lire le nécessaire et salutaire retour en arrière – la « régression » – qui permet la bonne marche des sociétés, et non pas un quelconque « regret » (qui ne saurait d’ailleurs se confondre avec la nostalgie de l’état originel qui taraude toute société), et encore moins un « remords ».

Parmi les autres erreurs rencontrées çà et là, signalons : l’idée que le nomadisme se dresse face au destin et à l’irréversibilité temporelle alors qu’il en est l’expression ; le pauvre chemineau passant du statut de dément à celui de chevalier du Graal ou de vacancier en manque de soleil ; de curieuses apologies du fanatisme et du « communautarisme » ; l’ambivalence décrite par Simmel escamotée ou simplifiée ; le monde juif réduit à une « religion » ; le « prolétariat » médiéval et son rapport aux « goliards » mal compris ; le Moyen Âge érigé en époque hippie ou postmoderne (liberté sexuelle, horizontalité et absence d’institutions…) ; Alain Gras, pris pour un peintre, à cause de son fameux « tableau » du Moyen Âge. 

Le jury ne peut que s’alarmer du nombre de confusions lexicales qui ont essaimé, cette année, dans les copies. Sous la plume de quelques candidats distraits ou désinvoltes, les sociétés sédentaires deviennent des « sociétés sédimentaires » ; les oiseaux migrateurs deviennent « migratoires » ; l’étranger est promu au rang de « hérault de la stabilité » ; « apatride » devient « apatrié » ; « mouvement » devient « mouvance » ; « variation » devient « variance » ; « perpétué » devient « perpétuel » ; « humaniste » devient « humanitaire » ; « ancré » devient « encré » ; « l’inconscient collectif » se change en « inconscience collective ». Des candidats confondent « barbarie » et « barbarisme »… Ces à-peu-près pourraient prêter à sourire s’ils ne conduisaient pas, la plupart du temps, à de fâcheux non-sens. Et que dire de ces expressions qui, maladroitement employées, prennent en contexte un sens bien involontairement comique : « la sécurité sociale », « le tour de France », « les années-lumière » ?

Il est inexcusable de voir, dans un nombre significatif de copies, le mot « nomadisme » orthographié *nomandisme. Ce terme-clé figure pourtant en toutes lettres, non seulement dans le texte, mais dans le titre même de l’ouvrage de Michel Maffesoli. De même, les noms propres, lorsque les candidats jugent bon de les reprendre, doivent être orthographiés avec exactitude : Le Roy Ladurie n’a pas à se raccourcir en *Le Roy, Max Weber à se grimer en Marx ou encore Chamoux à se transformer en la station alpine de *Chamonix.

Parmi les fautes d’orthographe les plus grossières, on signalera cette année : *tolérence, *boulverser, *boulversement, *hanarchie, *refoullement, *disspersion, *golliard/goliar/golard/golliar (par bonheur, le mot était dans le texte), *cosmopolitise, *réccurence, *éceuil, *croissades, *déracinnement, *carthésien, *crutial, *charactère, *pérenité, *greque, *hélyotropisme, *innévitable, *environement, *civilization, *nomad, *méditteranéen, *méditeranéen, *vagabon, *errence, *synchrétisme, *rétissance, *erran, *rebel, *disporats, *irrévercible, *catarsis, *regré, l’ordre *établit, le *nommade, *méthèques, *preignant, *fuire, *rhytme, *institutionaliser, *maïlleutique…

Sans doute gagnés par l’esprit d’aventure qui habite les nomades, certains candidats n’ont pas hésité à s’affranchir des cadres institués de la langue française et de son dictionnaire pour inventer des mots nouveaux, jusqu’alors inconnus et jamais répertoriés. On a ainsi vu fleurir, pour les besoins de l’épreuve, des « termes » tels que *imprésibilité, *paroxystisme, *éphémérité, *longévitude, *amnèse, *nomadité, *hybrique, *symbologie, *adaptivité, *antagoniser, *répulser, *fascinatif, *héphémérisme, *fanatistes, *adventure, *irrémédiabilité, *attrayer, *vagabonisme, *staticisme, *revêtre (pour, on suppose, « revêtir »), *instopable, *antagonie, *ubiquiteux… Inutile de préciser que de telles errances orthographiques n’ont généralement pas mené bien loin leurs auteurs.

Conseils aux futurs candidats

Si le format de l’épreuve donne plutôt satisfaction, on ne saurait cependant trop rappeler aux candidats la nécessité d’écrire lisiblement, d’utiliser une encre sombre (bleue ou noire) qui puisse apparaître nettement à l’issue du processus de numérisation, de soigner la présentation de leur copie, d’organiser leur réflexion en paragraphes puissamment structurés et d’indiquer clairement leurs décomptes intermédiaires. Ces exigences font partie intégrante des attendus de l’épreuve.

Les candidats doivent garder à l’esprit que la contraction de texte demeure avant tout une épreuve d’expression écrite. Il leur revient d’apporter tout le soin nécessaire à la maîtrise de la langue, à la précision du vocabulaire ainsi qu’à la cohérence syntaxique. On proscrira les constructions hasardeuses, voire tout à fait incorrectes telles que : « Cela relève d’une maïeutique douloureuse dont il faut s’armer de patience pour réhabilité (sic), de l’inconscient, l’aventure qui sommeille en nous. » Multiplier sans discernement les participiales ou les relatives finit souvent par rendre une phrase incompréhensible. Outre ces inquiétants problèmes de syntaxe, on rappellera aux candidats, à toutes fins utiles, que la ponctuation et l’accentuation ne sont pas des options.

Il est, par ailleurs, assez stupéfiant de constater qu’un grand nombre de candidats ne maîtrise pas la conjugaison du présent de l’indicatif, en particulier des verbes du deuxième groupe (définir, établir, assouvir, régir) ou du troisième groupe (suivre, enfreindre), parfois du premier groupe (effrayer). Les finales en [i] donnent lieu à toutes sortes de déclinaisons farfelues, qu’il s’agisse d’ailleurs de formes conjuguées ou de participes passés.

Corrigé type

Plan du texte

I. LES AMBIVALENCES DU NOMADISME (§1-15)

A. Le nomadisme comme loi sociale, structure anthropologique et principe universel (§1-5) 

  1. La vie d’un groupe humain est scandée par des phases de regroupement et d’éparpillement de ses membres : ce rythme social se fonde sur un rythme cosmique. 
  2. La pulsion migratoire, qui structure en profondeur la société et l’individu, est l’expression du changement universel qui gouverne le monde. Cette loi s’impose aux êtres et aux choses avec la nécessité d’un destin ; elle suscite un sentiment ambivalent d’attrait et de rejet.
  3. Au rebours des Lumières, qui ont cru le monde maîtrisable, le nomadisme nous oblige à reconnaître que sa domination nous échappe. 
  4. Notre angoisse du changement s’enracine dans le traumatisme originel de la naissance, vécue comme un arrachement. 
  5. L’existence peut se lire comme une succession de chocs douloureux. L’errance correspond à une structure inscrite au plus profond de l’homme. À l’échelle de l’individu comme à celle de la société, elle impose sa marque à tous les commencements.

B. Le nomadisme fondateur : un retour vivifiant à l’idéal originel (§6-11) 

  1. Tout commencement comporte une part d’idéal et de pureté. Toute institution doit renouer périodiquement avec le souvenir lustral de ses origines pour se revivifier et échapper à la décrépitude. 
  2. En s’instituant, l’ordre tend à reléguer dans l’oubli les bouleversements qui ont présidé à son instauration. L’irruption du nomadisme sur la scène sociale permet de mettre en échec cette entreprise de refoulement mortifère.
  3. Le progrès implique périodiquement des formes brutales de retour en arrière. À Florence, Savonarole a joué ce rôle de rupture dynamique : en secouant l’ordre établi de la cité, il lui a permis de renouer avec son idéal originel de justice.
  4. Par-delà la violence qu’il libère, le nomadisme garde la mémoire d’un rêve généreux et d’un idéal communautaire que l’ordre institué cherche en vain à étouffer. 
  5. La figure de l’errant, ou du pionnier à la recherche de l’Eldorado, incarne cette quête aventureuse et jamais achevée de l’idéal. 
  6. Si le goût de l’itinérance imprègne l’inconscient et l’imaginaire collectifs, son acceptation consciente engendre immanquablement des résistances. 

C. Le nomadisme comme repoussoir : le spectre menaçant du désordre (§12-15) 

  1. Pour le corps social, en effet, l’étranger incarne la menace sombre du désordre. C’est pourquoi Platon recommande de tenir les voyageurs à distance. 
  2. Si l’ordre institué redoute à ce point le nomade, c’est qu’il le renvoie à l’anomie de ses origines qu’il prétend justement refouler. 
  3. C’est ainsi que, pour conforter leur Empire, les Romains ont éprouvé le besoin de constituer le barbare en repoussoir.
  4. Cette censure est vaine : le refoulé finit immanquablement par ressurgir sous les formes les plus imprévisibles. 

II. HISTORIQUE DU NOMADISME : SA VERTU FÉCONDANTE À TRAVERS LES CULTURES ET LES ÂGES (§16-29) 

  1. Qu’il soit perçu positivement ou négativement, l’étranger demeure un principe de structuration du corps social. Il sert d’interface avec l’extérieur. 
  2. Il favorise la fluidité des échanges. 

A. Dans le monde grec (§18-19)

  1. En Grèce antique, les étrangers qui circulent de cité en cité contribuent à créer un sentiment d’appartenance à une culture commune. 
  2. En conciliant ancrage local et cosmopolitisme, les Grecs ont légué à la culture occidentale son fondement universel. En intégrant le nomadisme, facteur d’ouverture et de renouvellement, le monde grec se préserve de la sclérose et de la décadence.

B. Dans le monde juif (§20-23)

  1. De même, la culture juive est le réceptacle de nombreuses influences étrangères qui l’ensemencent. 
  2. Ces valeurs du nomadisme sont d’ailleurs inscrites au cœur du judaïsme primitif. 22. Quoiqu’inégales, ces assimilations lui assurent une prodigieuse vitalité et lui permettent de résister à l’adversité. 
  3. Véritable carrefour, le monde méditerranéen demeure l’espace privilégié de ce brassage parfois tumultueux mais toujours fécondant des idées.

C. Dans la société médiévale (§24-29) 

  1. Au Moyen Âge, la fièvre du nomadisme s’empare de l’ensemble de la société.
  2. Alors que la culture musulmane, à la faveur des croisades, irrigue les arts et se diffuse dans la noblesse, 
  3. la population vit au rythme de pérégrinations à visée initiatique qui bousculent les cadres sociaux. 
  4. Figure de la libre pensée, le « goliard » incarne ce nomadisme irréductible dont les éruptions, lorsqu’elles sont contrôlées, servent de soupape salutaire à la société. 
  5. Le mélange et le brassage sont au cœur du monde médiéval qui ignore le besoin moderne de fixer et de stabiliser : dans tous les domaines de la vie quotidienne, c’est le non-institué qui règne. 29. Loin de se réduire à une logique économique, le nomadisme répond à une nécessité anthropologique : il permet à l’individu d’exprimer les diverses facettes de sa personnalité. S’il est le fait d’une minorité, il structure l’imaginaire de toute la société.