Fer de lance d’un système hérité de l’Histoire, les classes préparatoires constituent des filières sélectives destinées à promouvoir une « élite scolaire », future « élite sociale ». Souvent regardées comme un lieu de reproduction d’une « aristocratie étudiante », sont-elles si éloignées de leur objectif initial, qui était de faire émerger une nouvelle élite républicaine par le seul critère du mérite ?

Un éclairage historique sur les classes préparatoires

Au XVIIIème siècle, les classes préparatoires naissent avec la création d’un recrutement sur concours pour les armées savantes – Génie, Artillerie, Marine – afin que « le mérite seul et la capacité des gens leur attirent des emplois » (Vauban). La Révolution française étend ce système de recrutement à l’ensemble des administrations techniques, avec notamment la création de l’Ecole Polytechnique, et met fin à l’exclusivisme social qui limitait la possibilité de recrutement à ceux aptes à prouver leur qualité de naissance ou des liens de parenté avec un officier. Des classes de « mathématiques spéciales » sont dès lors dispensées dans les lycées, qui ont la mainmise sur la préparation aux concours face à l’Université. A la fin du XIXème siècle, trois établissements s’illustrent particulièrement par leurs classes de mathématiques spéciales : Louis-le-Grand, Saint-Louis et Charlemagne à Paris. Des établissements privés se développent en parallèle pour l’enseignement préparatoire, comme Sainte-Geneviève.

Les khâgnes apparaissent en 1880 pour préparer au concours de l’ENS, avec des classes de rhétorique supérieure dans lesquelles s’illustrent Louis-le-Grand et Henri IV. Les classes préparatoires économiques et commerciales sont beaucoup plus récentes. Si les premières écoles de commerce sont créées à la fin du XIXème siècle, le système de recrutement par concours n’est instauré qu’au siècle suivant, et seulement après 1970, les prépa HEC se multiplient dans les lycées.

Une exception française pour l’enseignement supérieur

Cette exception française se traduit par le caractère duel entre l’Université et les classes prépa. On observe en effet une méfiance à l’égard de l’Université, jugée incapable de former efficacement les cadres scientifiques et techniques nécessaires aux Etats et aux entreprises, et plutôt destinée à la formation des intellectuels et savants, ce qui justifie cette séparation des rôles entre les deux voies.

Une exception qui attire, car s’il n’y avait que 8 600 élèves en prépa en 1947, ils sont en 2016 près de 86 000. Les trois filières de CPGE connaissent néanmoins des évolutions différentes. Entre 1975 et 2000, les effectifs des classes scientifiques augmentent de 82%, tandis qu’elles augmentent de 214% pour les classes économiques – notamment avec le passage d’un à deux ans de formation en 1995 pour les classes ECS et ECE.

Ce système a suscité et suscite encore de l’admiration en Europe et dans le monde. Pourtant, les business schools et les engineering schools ont un statut universitaire dans de nombreux pays, dont les Etats-Unis – contrairement aux grandes écoles françaises. Ces établissements sont par conséquent beaucoup plus grands : on compte par exemple 500 étudiants à l’X contre 20 000 au MIT !

Les classes préparatoires, un vivier pour de nombreux débats

La diversité et l’égalité des chances sont les questions les plus brûlantes dans les débats qu’animent les classes préparatoires, initialement présentées comme pure méritocratie.

Dans Le recrutement social de l’élite scolaire en France. Evolution des inégalités de 1950 à 1990 (1995), Michel Euriat et Claude Thélot montrent qu’en 30 ans, les chances d’un enfant d’origine populaire (dont le père est paysan, ouvrier, employé, artisan ou commerçant) d’entrer dans l’une des quatre très grandes écoles – ENS, X, HEC, ENA – sont demeurées constantes : 24 fois moins de chance qu’un élève originaire d’un autre milieu, soit une évolution très différente de l’université qui s’est notablement démocratisée au cours des années. Aujourd’hui encore, les classes préparatoires sont considérées comme élitistes et adressées à une frange de la population scolaire favorisée socialement – et scolairement.

Selon Louis Schweitzer, président de la HALDE (Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité), l’accès aux classes préparatoires est marqué par une « discrimination de fait », et non de droit puisque le recrutement par concours est fondé uniquement sur l’excellence scolaire. Néanmoins, cette discrimination n’est pas uniquement due au système des classes prépa : elle arrive après le bac, à la fin d’un processus de « tri social » qui agit et se renforce tout au long du parcours scolaire, de la maternelle à l’accès au bac, souvent en lien avec une autocensure des élèves voire une méconnaissance de la filière dans certains lycées.

Une inégalité des chances sur la base géographique peut également être envisagée, même si elle tend à la diminution. En 1970, 40% des élèves scolarisés en prépa se trouvent en région parisienne. Aujourd’hui, seul 1 élève sur 5 s’y trouve, puisqu’une redistribution s’est opérée en Ile-de-France hors Paris et en province. Mais le poids de Paris reste très élevé, surtout avec des étudiants de CPGE plus mobiles que dans les autres filières. Ainsi, 10% quittent une académie de province pour aller à Paris après le bac.

Mais des évolutions certaines

Même si les classes prépa connaissent un retard notable par rapport aux autres filières de l’enseignement supérieur, y compris médecine, on observe une percée scolaire des filles (42% des préparationnaires)Cette percée reste inégalement répartie : très visible dans les classes bio, les classes de maths et physique restent très prisées par les garçons (moins d’un tiers de filles). Les filières littéraires sont au contraire très féminisées, tandis que les prépas commerciales connaissent généralement la parité.

L’ouverture des classes préparatoires est également visible avec les bacheliers technologiques, dans des sections scientifiques comme la TSI (Technologie et Sciences Industrielles) ou la voie ECT créée en 1976 et réservée aux titulaires d’un bac STMG. En effet, 6% des préparationnaires en sont issus en 2016.

Enfin, la filière des classes préparatoires tend à réduire légèrement le dualisme avec l’Université, en initiant un rapprochement entre le monde de la recherche universitaire et celui des écoles, par la loi qui oblige les lycées de prépa à passer convention avec une université de leur académie.