Prépa maquée, prépa manquée ? Il y a déjà quelques années, nous ouvrions le débat dans un article recoupant un certain nombre de témoignages d’étudiants et d’étudiantes de prépa qui ont surmonté cette période si particulière de leur vie seul(e)… ou à deux. Si d’aucuns considéraient la relation qu’ils entretenaient avec leur moitié comme un supplément de force salvateur dans leur quête de l’excellence, d’autres jugeaient assez clairement tout vagabondage amoureux comme une pure et simple perte de temps, encline à les détourner de leurs véritables objectifs.

Le proviseur d’un lycée parisien réputé, qui accueille en son sein des étudiants de prépa EC en filière scientifique et économique, possède quant à lui une opinion assez tranchée sur la question. Celui-ci a tout bonnement décidé d’interdire à l’ensemble de ses étudiants de première et de seconde année de poursuivre une relation amoureuse dès la rentrée 2021, que cette dernière concerne deux étudiants de l’établissement ou pas.

Sous couvert d’anonymat, monsieur Durand (nous l’appellerons ainsi) a accepté de nous expliquer les raisons qui ont motivé cette décision radicale : « Empiriquement, nous avions constaté de longue date avec le corps enseignant responsable des classes préparatoires que les étudiants en couple avaient tendance à décrocher de moins bonnes écoles que ceux qui traversaient la prépa célibataires. Notre intuition s’est confirmée, dans des proportions bien plus importantes que nous le pensions, lors de l’enquête que nous avons menée auprès de nos étudiants qui ont passé leurs concours en 2018 : les célibataires avaient obtenu une moyenne générale à ECRICOME (coefficients NEOMA) supérieure de 2,43 points par rapport aux étudiants qui se déclaraient en couple. Cet écart s’élève même à 3,17 points pour la BCE (coefficients HEC) ! »

Face à ce constat alarmant, l’interdiction d’entretenir une relation pour les étudiants est alors apparue comme une évidence : « Nous délivrons une formation d’excellence, dans laquelle les étudiants se doivent d’être pleinement investis. » précise le quadragénaire. « Les badinages n’ont pas leur place ici, surtout que ces relations bien souvent éphémères et futiles sont de nature à nourrir les regrets de nos anciens étudiants. La majorité d’entre eux m’ont en effet rapporté, lorsque je les ai revus en décembre à l’occasion des entretiens de personnalité blancs des bizuths, ne plus être avec leur petit(e) ami(e) de la prépa ».

La faute au fameux « théorème de novembre », bien connu des étudiants d’écoles de commerce, selon lequel les couples héritées de la classe prépa se brisent en novembre, quelques semaines après avoir intégré. Alcool et soirées à outrance, déracinement soudain, éloignement géographique et nouvelles rencontres sont autant de facteurs qui mettent à mal les amourettes studieuses, désormais surannées, de la classe préparatoire.

Et monsieur Durand de conclure «  Nous donnons par ailleurs l’opportunité aux étudiants de résider dans notre internat afin de se focaliser davantage sur leur réussite personnelle. Celui-ci a vocation à développer l’entraide dans le travail et l’émulation collective, et en aucun cas de jouer le rôle de garçonnière. Deux de nos étudiants qui se laissent aller aux sirènes de l’amour, cela représente – rendez-vous compte – six points de moyenne de perdus aux concours ! »

Certaines voix discordantes se font néanmoins entendre dans les couloirs de l’institution. Toujours sous couvert d’anonymat, quelques professeurs évoquent une atteinte inacceptable à la vie privée des élèves : « On se croirait dans un mauvais épisode de Black Mirror ! » s’emporte l’un d’eux. « En plus de la procédure Parcoursup, les futurs bacheliers qui présentent notre établissement seront reçus en entretien avant d’être définitivement admis, et devront certifier qu’ils sont célibataires ou bien s’engager à quitter leur copain ou leur copine si ce n’est pas le cas. On nage en plein délire ! »

Lorsque nous avons rapporté à monsieur Durand les critiques entendues, celui-ci les a balayées d’un revers de main : « La prépa ce n’est que deux ans, trois ans maximum. Ces jeunes gens peuvent bien se tenir un peu : ils nous remercieront plus tard. » avant d’ajouter « Je n’ai personnellement jamais connu la moindre histoire d’amour, et je me porte très bien pour autant. »