faire sa prépa à la réunion

En complément de l’enquête de Major-Prépa sur le « mythe des CPGE cocotiers » à La Réunion, voici de quoi approfondir tes connaissances sur ce sujet. Nous donnons plus de précisions sur les subtilités économiques, sociales et géographiques de cette île, peu connue des « Zoreilles » (Métropolitains).

Quelques éléments historiques et géographiques sur La Réunion

Quand on est en métropole, on a tendance à oublier que la France se compose aussi de territoires bien plus éloignés qu’un Lille-Marseille ! Il est dommage (et très réducteur) que la plupart des Français entendent parler de « l’île Bourbon », principalement lors des visites présidentielles ou de l’élection de Miss France…

Une île volcanique et variée

La Réunion est une île née il y a deux, voire trois millions d’années, avec l’émergence de son premier volcan, le Piton des Neiges (dont le sommet est à 3 069 mètres d’altitude). Son deuxième volcan, le Piton de la Fournaise, est plus jeune (500 000 ans) et est encore actif !

Elle mesure environ 2 500 km² (soit 24 fois la superficie de Paris intra muros) et se trouve dans l’Océan indien, à l’est de Madagascar et au sud de l’île Maurice. Elle se situe à plus de 10 000 km (soit environ onze heures de vol de Paris !).

sociologie de la Réunion carte

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Son climat est tropical. Elle offre une variété de paysages : des montagnes de haute altitude, des territoires volcaniques, des plages d’eau cristalline, etc. Elle est d’ailleurs inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO, notamment pour ses criques et montagnes, qui couvrent une grande partie de son territoire.

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Un passé colonial

À l’origine (dès le 17e siècle), La Réunion était utilisée comme point de ravitaillement stratégique pour les bateaux de la Compagnie française des Indes orientales, au vu de sa géolocalisation dans l’océan Indien. Elle s’est ensuite peuplée progressivement, avec l’arrivée des colons, puis des esclaves.

L’île est en effet connue pour son passé colonialiste majeur. Elle a aussi été marquée par l’introduction massive d’esclaves entre le 17e et le 19e siècle, afin de fournir la main-d’œuvre nécessaire pour les cultures de café, céréales, sucre, épices et coton. Entre 1717 et 1817, on a dénombré plus de 80 000 esclaves introduits sur le territoire réunionnais.

L’abolition de l’esclavage est effective depuis le 20 décembre 1848, date devenue jour de fête sur l’île.

La langue créole

Même si la langue officielle est le français, La Réunion possède une langue régionale (statut obtenu en 2014) : le créole. Elle s’appuie sur une base grammaticale française tout en portant une influence locale, aux accents hindous et malgaches.

Le créole se parle à la maison et parfois à l’école primaire. Il est également possible de l’étudier à l’université. La plupart des Réunionnais sont bilingues créole/français et alternent entre les deux langues, selon le contexte.

Voici quelques expressions très utilisées à La Réunion :

  • Allons bouger : on y va
  • Bordmer : plage
  • Kansa ? : quand ?
  • Kisa ? : qui ?
  • Koman i lé ? : comment ça va ?
  • Kosasa ? : qu’est-ce que c’est ?
  • Lé bon : d’accord
  • Pokoué ? : Pourquoi ?

Zoom sur la démographie et l’économie de l’île

La Réunion présente des tendances économiques et démographiques singulières, expliquées en partie par son caractère insulaire et le peuplement relativement récent de ce territoire.

Une population croissante, jeune et multiculturelle

La Réunion compte aujourd’hui plus de 862 000 habitants. Les prévisions estiment à un million le nombre d’habitants d’ici 2030. La croissance démographique est portée par le solde naturel, à savoir l’excédent des naissances sur les décès. Le taux de natalité y est plutôt élevé : on compte en moyenne 2,47 enfants par femme, contre 1,87 en métropole. La population est jeune : un tiers des Réunionnais a moins de 20 ans.

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Ce département français est aussi caractérisé par la grande variété ethnique et religieuse de sa population. Le peuplement de l’île s’est fait au gré de mouvements migratoires venant de toute la planète. On distingue alors diverses communautés :

  • les Créoles (issus du territoire insulaire, ne faisant pas partie des catégories suivantes) ;
  • les Malbars (descendants des Indiens hindous, arrivés de la région de Calcutta, après l’abolition de l’esclavage, pour fournir de la main-d’œuvre sur l’île) ;
  • les Zarabes (descendants des Indiens musulmans) ;
  • les Chinois (venus de la région de Canton, arrivés depuis les années 1930 pour fuir la guerre sino-japonaise et l’essor du communisme) ;
  • les Zoreilles (métropolitains installés à La Réunion, l’expression « zoreille » vient du fait qu’ils aient eu à tendre l’oreille pour comprendre le créole) ;
  • les Malgaches (présents depuis la période coloniale, de nombreuses vagues d’immigration ont suivi cette période) ;
  • les Cafres (descendants des esclaves d’Afrique noire) ;
  • les Comoriens et Mahorais (immigration plus récente, initiée dans les années 1970).

Ainsi, aucune ethnie ne peut se revendiquer « plus réunionnaise qu’une autre ». En d’autres termes, la Réunion c’est un brassage multiculturel, un mélange de couleurs de peau, de cultures et de traditions.

La Réunion est par ailleurs une île très religieuse, dans le sens où la population reste relativement pratiquante. La religion majoritaire est le christianisme, via le catholicisme en grande majorité (d’ailleurs la plupart des villes portent le nom d’un saint) et le protestantisme. Elle cohabite avec l’islam, l’hindouisme et le culte chinois.

Les particularités de l’économie insulaire

L’économie de l’île de La Réunion s’est progressivement transformée depuis l’après-guerre et présente désormais tous les attributs d’une économie tertiarisée, moderne et dynamique, à quelques exceptions près.

La vie insulaire impose un rapport au temps particulier, notamment pour les relations avec les acteurs économiques et administratifs de la métropole.

Par ailleurs, le marché est relativement étroit et les situations de monopoles ou quasi-monopoles sont nombreuses.

L’économie réunionnaise est portée principalement par le secteur touristique (2,6 millions de passagers dans les aéroports en 2019), les services marchands et non marchands, mais également l’industrie agroalimentaire ainsi que le BTP et la construction. On dénombre plus de 57 000 entreprises.

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Une économie de la débrouille

Même si La Réunion a pu connaître l’émergence d’une classe moyenne insérée par le travail dans la société, force est de constater qu’une large partie de la population reste fortement pauvre et précaire. Un ménage sur deux vit sous le seuil de pauvreté, contre 12 % en métropole ; de même, 12 % des bénéficiaires du RSA en France viennent des DOM, alors qu’ils ne représentent que 4 % de la population totale ; enfin, un ménage sur quatre vit avec les aides sociales.

Notons par ailleurs que les Réunionnais doivent composer avec un coût de la vie bien plus cher qu’en métropole (+37 % pour le panier alimentaire).

Il est important d’avoir en tête que le marché du travail réunionnais est confronté à deux problèmes majeurs :

  1.  La sous-qualification de la population par rapport à la demande.
  2. Un écart croissant entre la pression démographique et le taux de croissance de l’emploi.

Une grande partie de la population se retrouve donc inemployable et/ou exclue du système de l’emploi classique ; le taux de chômage est de 40 %, et monte même à 60 % pour les 15-24 ans. L’insertion dans une économie parallèle informelle, souterraine, ou encore appelée économie de survie, est donc un recours inévitable face à une situation de grande précarité.

Nicolas Roinsard, spécialiste de La Réunion, évoque le système de « pauvreté intégrée » pour désigner l’intégration sociale forte et les solidarités privées qui existent en dehors du marché du travail classique. Le modèle d’intégration sociale réunionnais repose en fait sur différents canaux (familial, résidentiel et ethnoreligieux). Le concept même de travail classique et salarié renvoie, pour les couches plus populaires, au concept de subordination coloniale, encore récent et traumatisant, dans les mémoires individuelles et collectives.

Une relation ambiguë avec la métropole

On parle souvent de l’écart entre Paris et la province, ou bien de la différence entre les grandes villes et la France dite « périphérique », mais il existe aussi un décalage entre les territoires d’outre-mer et la France métropolitaine. La pensée dichotomique serait-elle caractéristique de la vision française ?

Des vagues de réformes pour combler l’écart avec la métropole

La Réunion est un département français et plus particulièrement un DOM (département d’outre-mer, tout comme La Guadeloupe, La Guyane et La Martinique). À ce titre, elle devrait bénéficier de la même « attention » que les autres départements vis-à-vis des pouvoirs centraux en métropole.

Dans les faits, cela est bien différent. Selon le sociologue Nicolas Roinsard, il existe non seulement une distance géographique réelle, mais aussi symbolique, couplée à une méconnaissance, voire un désintérêt, pour ces départements français de la part de la métropole.

Cette distance métropole/DOM a été au cœur des différentes réformes qui ont dessiné les contours du développement économique et social de La Réunion.

On distingue trois principaux axes de réformes dessinées et décidées par la métropole.

1. 1946 : la loi de départementalisation

Cette dernière a permis un déploiement de moyens financiers et un effort dans le développement des infrastructures de transports, de santé et d’éducation. Il y avait, à travers ce projet de loi, une promesse égalitaire afin de rompre avec la situation de domination sociale et raciale, héritée de la colonisation.

La Réunion a pu effectuer un certain rattrapage social, économique et sanitaire. L’accès aux soins et à l’éducation, jusque là réservé à une élite, s’est démocratisé. La mortalité a été divisée par quatre en 30 ans.

2. Les années 60 et 70 : les réformes agricoles

Pendant ces deux décennies, un ensemble de réformes ont été mises en place par la métropole afin de poursuivre la modification des structures sociales propres à une société post-coloniale.

Il s’agit ici principalement de la réforme agricole. Son objectif était de casser la domination de quelques grands propriétaires terriens et d’augmenter la quantité de petits et moyens propriétaires agraires.

Dans les faits, selon le sociologue Nicolas Roinsard, les efforts d’investissement et l’industrialisation massive (des plantations sucrières notamment) ont largement favorisé les grands propriétaires, laissant de côté les petits exploitants.

Par ailleurs, la réforme agraire a provoqué un déclin de la société rurale : elle concentrait 43 % de la population active en 1961, contre 7 % en 1990.

La société réunionnaise a connu un passage assez brusque d’une économie dominée par le secteur primaire à une économie dominée par le secteur tertiaire. De nombreux emplois publics et administratifs ont été créés. Notons toutefois qu’il y a une surreprésentation des Métropolitains (plus diplômés que les Réunionnais) pour les postes de type « CSP+ ».

3. Février 2017 : la loi d’égalité réelle des territoires

Cette réforme a notamment été promulguée pour combler l’écart croissant entre l’outre-mer et la métropole.

De nombreux indicateurs de vulnérabilité post-crise des subprimes (sécurité, santé, économie, chômage) ont souligné les tensions croissantes et la précarisation grandissante dans les territoires d’outre-mer (notamment en Guyane en 2017).

Une nouvelle réforme a été jugée nécessaire. Cela n’a pas empêché une mobilisation très forte des Gilets jaunes, notamment dans la partie sud de la Réunion, territoire particulièrement enclavé socialement et économiquement.

« Sauter la mer » : l’enjeu de la migration

Un second élément majeur et historique est à prendre en compte dans la relation entre la métropole et La Réunion : il s’agit de la mobilité vers la métropole. Cette mobilité concerne particulièrement les jeunes. Une expression locale désigne le départ vers cette terre lointaine qu’est la France métropolitaine, on parle de « sauter la mer ».

Une solution d’après-guerre

À la sortie de la guerre, la situation est critique : problème de croissance démographique,  de chômage grandissant et d’absence de perspective pour les jeunes. Cela a pour effet de faire croître les tensions. La migration vers la métropole devient alors le moyen pour sortir de cette situation de précarité.

Au-delà de la nécessité de calmer la tension sociale, il est également nécessaire de :

  1. Réduire un accroissement démographique proche de celui d’un pays du Tiers-Monde.
  2. Fournir de la main-d’œuvre pour la métropole en pleine reconstruction et tertiarisation.

La massification de la migration

La migration de masse vers la métropole ne débuta vraiment que dans les années 1960-70. En 1963, on crée le Bureau des migrations d’outre-mer. On notera d’ailleurs le choix du terme « migrants » par lequel l’institution désigne ces Français. Dès 1970, 5 000 jeunes quittent l’île chaque année, portés par le « mythe de la mère patrie ». Ils acceptent de quitter leur île pour s’installer en métropole.

La réalité diffère bien souvent du modèle diffusé sur place : l’intégration des Réunionnais n’est pas si facile que ce qu’ils laissent croire dans leur récit.

Dans les années 1980, la tendance se renverse puisque le solde migratoire redevient positif. Plusieurs raisons peuvent l’expliquer :

  • certains qui étaient partis en métropole sont de retour ;
  • de nombreux Métropolitains arrivent sur le territoire ;
  • l’émergence du mouvement d’extrême droite dont le discours incite à rester sur l’île.

Dans les années 90, de nombreux mouvements sociaux surviennent. Ils constituent une réponse au chômage élevé et à la problématique d’insertion des jeunes. Un consensus politique se dessine autour de la nécessité vitale de partir, en Europe, mais aussi aux États-Unis.

Partir pour revenir

Aujourd’hui, il est difficile de chiffrer les départs annuels. En effet, les départs par des voies informelles (en dehors des institutions classiques) se multiplient. Pour autant, la majorité de ceux qui partent ne reste pas en métropole (4 % d’entre eux seulement) ; ce qui remet en cause le mythe de la réussite via l’expérience métropolitaine.

Deux visions autour de la mobilité s’opposent donc.

  • D’une part, certains la voient comme le résultat d’un échec de développement économique et social de l’île. Une sorte de solution par défaut qui ne traite pas réellement la question du chômage.
  • D’autre part, la mobilité peut correspondre à une chance individuelle de trouver du travail, à s’épanouir en dehors du contexte insulaire et à s’ouvrir au monde. En d’autres termes, il s’agit de se constituer un capital de mobilité.

Cet article touche à sa fin. Nous espérons que sa lecture aura été l’occasion d’apprendre de nouvelles choses sur cette région française !

Si les contenus de sociologie t’intéressent, tu peux par exemple consulter notre article sur la sociologie de la classe prépa.