Après notre article sur les frais de scolarité et l’incroyable emballement qui s’en est suivi, nous avons décidé de solliciter des directeurs d’écoles afin de nous éclairer sur les raisons de ces hausses. Isabelle Barth, Directrice Générale de l’EM Strasbourg (école dont les frais sont stables, et peu élevés!), a été la première à nous répondre, sous la forme d’une tribune que voici. 

Bonjour,

J’ai réagi à votre article sur la hausse des frais de scolarité des écoles de commerce à la prochaine rentrée car c’est un sujet qui me préoccupe depuis que j’ai pris la direction de l’EM Strasbourg en mai 2011. Il m’interpelle à plusieurs titres : en tant que mère de 6 enfants ayant fait ou faisant des études, en tant qu’universitaire depuis maintenant 20 ans et en tant que directrice d’une école de management, même si elle n’est pas tout à fait comme les autres.

Il y a deux sujets dans votre article : la hausse très importante des tarifs des écoles de commerces depuis 3 ans et leur absence de transparence.

Je passe très vite sur le second qui est pour moi indéfendable s’il est avéré. Un tarif doit être annoncé bien avant le début des concours pour la rentrée concernée, et ne doit pas avoir d’effet rétroactif (un étudiant ne doit pas le voir augmenter pendant sa scolarité). J’incite les candidats à avoir cette exigence vis-à-vis des écoles. On sait en marketing que c’est bien souvent le consommateur qui  a le pouvoir de dicter les règles aux offreurs. Il ne faut pas s’en priver. Je suis certaine que bien des étudiants sont beaucoup plus soucieux de leurs deniers pour un achat de bien moindre importance comme un PC ou un smartphone ! Exercez la même compétence pour vos études !

Quant au premier point, il est complexe et a déjà motivé de nombreuses analyses.

De mon poste d’observation à la fois universitaire et directrice d’une business school, puisque l’EM Strasbourg a le double statut, de façon unique en France, je ferais 5 remarques :

1. Une  formation de qualité a un coût

Les directions d’écoles ne font pas le choix d’augmenter les tarifs de gaité de cœur ou pour financer des dépenses somptuaires mais bien pour maintenir le niveau de prestations attendu par les étudiants. Le baromètre « Génération prépa » que l’EM Strasbourg a réalisé pour la seconde année rappelle les attentes les plus plébiscitées : une insertion professionnelle de bon niveau, une expérience à l’étranger, d’excellents enseignements et un environnement de travail qualitatif Tout cela a un coût !

Ce qui distingue les Business School des autres acteurs de la formation au management comme les IAE, c’est la taille des « services support », précisément tous ces services qui permettent la mobilité à l’étranger, l’insertion professionnelle, la mise à disposition d’outils de travail (l’environnement numérique par exemple). Et la différence se fait aussi sur la taille et la qualité du corps professoral. D’où une hausse constante de la masse salariale, qui représente entre 60 et 80 % du budget des établissements de l’enseignement supérieur en France.

Le modèle des MOOC ne peut être que complémentaire (une option ciblée) et doit s’insérer dans la salle de cours inversée,  où l’étudiant rencontre le professeur et ses collègues sur la base d’un cours acquis en ligne.

2. Des modèles économiques en pleine mutation mais en panne de créativité

Le contexte est à la raréfaction des financements historiques. Les apports des CCI, taxe d’apprentissage, subventions des Régions ou des villes … sont tous à la baisse. Il faut donc revoir les modèles de financement qui, pour le moment, faute d’innovations, restent l’augmentation des effectifs (avec le risque de baisse de niveau) et des frais de scolarité. La dernière conférence AACSB des Deans (directeurs d’école) a largement abordé ce sujet, car, si de nombreux pays, comme les Etats Unis ont depuis longtemps un modèle basé sur le financement des familles, la hausse est telle que les impayés risquent de créer une « bulle financière » extrêmement importante et préjudiciable à l’économie du pays. Je peux témoigner que l’heure est plus aux questions qu’à de véritables réponses. Les pistes le plus souvent évoquées sont  de deux ordres :

  • Trouver d’autres sources de financements : ce sera l’appel aux alumni, l’accueil d’étudiants étrangers (paradoxalement, la France est un pays peu cher), les fondations, le crowdfunding … la liste n’est pas exhaustive.
  • La réduction des coûts. Pour avoir un impact, cette réduction porte sur la masse salariale et une piste est l’allègement des heures de cours comme on le voit se mettre en place aux Etats Unis. L’engouement pour les cours en ligne, comme les MOOC présente certes la face claire des nouveaux usages du numériques dans l’éducation, des nouvelles attentes des apprenants, comme on le proclame plus qu’on ne le démontre à longueur de blogs. Elle présente aussi une face plus « pragmatique » qui est une diminution des frais de salaire des enseignants, comme s’en inquiète de nombreux corps professoraux aux USA. Comme de nombreux secteurs d’activité avant l’enseignement supérieur (la banque en est un très bon exemple), on met l’étudiant « au travail » en allégeant le « face à face » pédagogique.

En première instance, les MOOC pourraient être perçus comme une menace pour les Business Schools mais cela relève pour moi du fantasme : apprendre seul devant un ordinateur nécessite une motivation et des ressources mentales hors pair, et n’apporte en aucune façon la socialisation qu’on vit dans la salle de classe. L’insertion dans des « communautés » est essentielle pour la future vie professionnelle, particulièrement la communauté des alumni, et les liens communautaires ne peuvent être que virtuels, comme on le voit quand on « audite » ses cercles d’ «amis » sur Facebook. C’est bien en cours que se forgent les amitiés et les complicités !

Le modèle des MOOC ne peut être que complémentaire (une option ciblée) et doit s’insérer dans la salle de cours inversée,  où l’étudiant rencontre le professeur et ses collègues sur la base d’un cours acquis en ligne. Le modèle est également intéressant pour des « déserts pédagogiques » comme il en existe dans certaines parties du monde, à condition que ce ne soit pas non plus des déserts numériques, mais des expériences récentes comme au Sénégal montrent le rapide essoufflement d’une pédagogie uniquement virtuelle.

L’évolution numérique est inévitable et certainement porteuse de belles innovations, mais la salle de cours et le professeur ont encore de beaux jours devant eux ! Ne soyons pas dupe des discours incantatoires sans nuance tels qu’on en entend ou lit trop actuellement.

(Voir mon analyse sur mon blog Educpros)

3. Un modèle de financement hybride à l’EM Strasbourg

L’EM Strasbourg réussit à maintenir ses frais de scolarité grâce à un business modèle hybride qui  repose en partie sur l’Université puisque la majorité des enseignants sont fonctionnaires et que les locaux sont universitaires. Elle bénéficie aussi de la mutualisation des moyens qu’offre l’Université.  La gouvernance universitaire fait pencher aussi pour des frais le plus modérés possibles (en restant réalistes), ce qui n’est pas forcément le cas d’autres types de gouvernance comme des groupes privés ou des CCI. Compte tenu des difficultés financières des Universités, le développement de l’EM doit être maîtrisé et ça a été un choix lourd de ne pas augmenter massivement  les effectifs dans un contexte où tout pousse à devenir une « grosse école » (je n’ai toujours pas compris pourquoi mais c’est une autre histoire).

4.Vers de nouveaux critères de choix ?

Je suis assez heureuse de ces réactions qui me semblent saines ! Quand j’ai pris la direction de l’EM Strasbourg, on m’a bien expliqué (et des enquêtes le montraient) que cette école avait deux handicaps : le premier était-elle n’était pas  assez chère car pour les étudiants (et leurs parents) le prix était un signal de qualité (comme on le voit dans le luxe). Le second défaut était son appartenance à l’Université qui jetait le soupçon sur la qualité de ses prestations. Les temps changeraient-ils ? J’en serais très heureuse car je pense que l’EM Strasbourg prouve qu’on peut avoir des modèles hybrides et innovants.

Je sais que l’enseignement supérieur est un univers extrêmement opaque et que les parents veulent le meilleur pour leurs enfants mais, en l’occurrence, le niveau du prix n’est pas forcément un gage de qualité.

Le diplôme est important, l’effet réseau aussi, mais, même si en France, nous sommes atteints de diplômite aigue, c’est bien la compétence et la personnalité qui font vite la différence.

5. Y’a t-il un juste prix ? NON

Il faut mettre le coût de la formation en perspective avec le salaire à la sortie et sur les 5 premières années (certains disent 3). En effet, le diplôme est important, l’effet réseau aussi, mais, même si en France, nous sommes atteints de diplômite aigue, c’est bien la compétence et la personnalité qui font vite la différence. Faites un ratio simple entre le coût de la formation c’est-à-dire les frais de scolarité mais aussi tous les coûts liés aux frais de vie, aux séjours à l’étranger (aux surcoûts parfois demandés), à l’année de césure qui nécessite souvent un complément de financement etc … et regardez les salaires moyens à la sortie des écoles ! Quel ROI [ndlr : retour sur investissement] vous fixez vous ?

Si je résume mon propos, votre « coup de semonce » est salutaire et démontre, en creux une grande immaturité dans l’ « achat » d’un service on ne peut plus impliquant : sa formation !

La grande difficulté réside dans le fait que la formation est ce qu’on appelle un « service de croyance », c’est-à-dire qu’il est extrêmement difficile d’en évaluer la qualité, même après l’avoir « consommé ». On se raccroche alors aux classements, aux expériences des pairs sur les réseaux sociaux, aux avis « autorisés » des professeurs ou des parents …  toutes informations pour lesquelles il faut savoir prendre du recul : fiabilité des données ? ancienneté des visions ? reproductibilité de l’expérience ? Ces questions sont des grilles de lecture à garder en tête.

Vous montrez que les choses peuvent évoluer et que vous êtes des acteurs légitimes et de poids dans le dialogue qui peut s’instaurer sur le sujet.

Isabelle Barth
Professeur des Universités
Directrice générale  Strasbourg

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