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Parmi la centaine d’auteurs que tu auras rencontrée tout au long de ta prépa durant tes cours d’économie, il y en a certains qui ont eu une influence plus ou moins grande sur la pensée économique. S’il n’a pas eu la même que celle de Keynes ou de Marx, Joseph Aloïs Schumpeter n’en reste pas moins un personnage qui a su marquer l’histoire de la pensée économique à travers ses diverses théories. D’ailleurs, tu as sûrement aperçu plusieurs fois son nom dans tes cours d’éco dans plusieurs chapitres différents, notamment ceux sur le chômage et la croissance qui sont des piliers du programme, ce qui atteste de l’importance de cet auteur et te prouve que tu dois absolument connaître ses principales théories qui sont des fondamentaux et bien souvent attendues des correcteurs.

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Qui est Joseph Aloïs Schumpeter ?

Né en 1883 et mort en 1950, Joseph A. Schumpeter est un économiste autrichien dit « hétérodoxe », c’est-à-dire que sa pensée va à l’encontre de l’orthodoxie, la pensée dominante, celle qui est considérée comme la plus juste par une majorité. En effet, Schumpeter n’est ni keynésien, ni néoclassique, ni même proche de l’école autrichienne de Vienne alors qu’il découvre l’économie par des auteurs appartenant à cette école. S’il est considéré comme tel, c’est surtout pour son opinion sur le capitalisme en démocratie qu’il juge condamné à s’écrouler, à l’instar de Karl Marx, bien que ce ne soit pas du tout pour les mêmes raisons. Mais ce qui nous intéresse chez lui, ce sont les deux mots qui sont inséparables de son nom, innovation et entrepreneur, deux concepts clés à la fois en économie et en management (ce n’est pas le sujet HEC de l’année dernière qui prouvera le contraire), ce qui en fait un auteur mobilisable dans les deux matières.

La croissance économique par les cycles et les grappes d’innovation

L’innovation, source de croissance

L’innovation est le concept clé pour comprendre les théories de Schumpeter. Dans Le cycle des affaires (1939), il propose une typologie des innovations qui en distingue trois sortes : les innovations de produits, de processus et de procédés. La première désigne tout simplement l’invention d’un nouveau produit par une entreprise qui peut être consommé par les consommateurs, la seconde concerne une innovation dans le matériel utilisé pour la fabrication du produit tandis que la dernière concerne l’organisation, la structure de l’entreprise et du processus de production de ce produit.

Avec cette typologie, Schumpeter présente alors trois moyens pour une entreprise d’être innovante et pour lui, ce sont des innovations de produits, de processus ou de procédés qui permettent la croissance économique. En effet, il constate que le progrès technique et les découvertes scientifiques engendrent des innovations de rupture qui, elles aussi, vont engendrer de nombreuses autres innovations, bien que moins « disruptives » que celles d’origine. Ces innovations favorisent la croissance de plusieurs façons : celles de produits favorisent la consommation en proposant de nouveaux produits à consommer, tandis que celles de processus et de procédés permettent soit de réduire les coûts de production, d’augmenter les marges et donc de plus investir ou embaucher, soit d’innover encore plus, permettant ainsi un cercle vertueux. On constate alors que pour Schumpeter, une innovation en appelle généralement d’autres, voire beaucoup d’autres, d’où le terme de « grappes d’innovation ».

Cependant, ces grappes ne sont pas infinies. Ces innovations qui découlent d’une innovation disruptive majeure finissent par être de moins en moins importantes jusqu’à s’essouffler. Par conséquent, la croissance engendrée par ces grappes s’étiole également. C’est donc pour cela que Schumpeter considère l’activité économique comme cyclique : puisque la croissance découle principalement du rythme d’apparition des innovations, celle-ci est très importante lorsqu’une découverte scientifique a permis un progrès technique important qui engendrera de nombreuses innovations, puis s’estompe lorsque celle-ci n’est plus source d’innovation.  L’analyse cyclique de Schumpeter doit donc venir compléter vos connaissances sur les cycles d’affaires que vous connaissez déjà, c’est-à-dire les cycles de Juglar, de Kitchin et de Kondratiev, qui sont d’ailleurs des auteurs dont il s’est inspiré pour son ouvrage.

L’évolution des cycles schumpetériens dans le temps

L’analyse de Schumpeter sur les cycles d’innovations n’est pas qu’une théorie abstraite. Elle est basée sur des travaux et des observations concrètes dont les données empiriques confirment l’existence de tels phénomènes. Même après sa mort, aujourd’hui, on constate encore de tels cycles suite à des innovations de rupture. Le schéma suivant regroupe à la fois les observations faites par Schumpeter mais également le prolongement de sa théorie jusqu’à aujourd’hui.

Ce graphique permet alors de constater rapidement un phénomène : les cycles engendrés par les grappes d’innovations sont de plus en plus courts. Deux facteurs provoquent cela : d’une part, les innovations sont de moins en moins disruptives et ont un impact de moins en moins durable sur l’économie, ce qui fait que les effets des innovations sur la croissance s’épuisent plus rapidement, raccourcissant la durée des cycles.

Par exemple, si les nouvelles technologies de l’information et de la communication ont bien évidemment bouleversé les processus de production et de consommation au début des années 2000, c’est une innovation qui a eu évidemment beaucoup moins d’impact que la machine à vapeur dans les années 1850, véritable révolution des moyens de transport.

D’autre part, le temps d’apparition entre deux nouvelles innovations majeures est de plus en plus court. En effet, la période de récession n’est pas plus longue, ce qui devrait être le cas si les innovations apparaissaient toujours au même rythme puisque les cycles s’épuisent plus rapidement. Cela signifie donc que l’on entre plus rapidement dans un nouveau cycle car le temps d’apparition entre deux innovations majeures est plus court.

Les grappes d’innovations de Schumpeter peuvent permettre d’analyser la conjoncture actuelle de l’activité économique et ses futures fluctuations. Les cycles étant de plus en plus courts et s’accélérant, la croissance dans les pays risque de beaucoup plus fluctuer, les périodes de croissance et de récession alternant de plus en plus rapidement.

L’effet de l’innovation sur l’emploi

« Progrès technique et emploi ». Voilà un sujet des plus classiques que vous avez sûrement dû traiter au moins une fois durant vos études. Sur ce sujet, la théorie de Schumpeter de « la destruction créatrice » est juste incontournable.

Dans les grappes d’innovations, nous avons vu ces dernières comme plutôt créatrices et semblant favorables à l’emploi. En effet, qui dit plus de croissance dit généralement créations d’emplois car les entreprises ont besoin de plus de main-d’œuvre pour faire face à l’augmentation de la production. De plus, ces innovations créent de nouveaux emplois bien plus qualifiés et plus créateurs de richesses. On ne compte plus aujourd’hui tous les nouveaux métiers qui sont apparus avec l’essor de l’informatique, des nouvelles technologies, d’internet… dans à peu près n’importe quel secteur d’activité.

Cependant, il est également incontestable que ces innovations sont la cause de disparition de nombreux autres emplois dont les qualifications sont si faibles que les machines peuvent aujourd’hui faire la même chose plus rapidement, mieux et à des coûts moindres. Dans le secteur secondaire, les innovations ont permis de tels gains de productivité que c’est sûrement la cause principale du phénomène de désindustrialisation des pays développés.

L’effet des innovations sur l’emploi n’est donc pas seulement positif ou négatif, il est les deux à la fois et c’est pour cela que Schumpeter parle de destruction créatrice. Cette théorie peut être résumée (même si c’est un peu simpliste et réducteur) par la phrase « l’innovation détruit des emplois peu qualifiés et crée des emplois qualifiés ».

Si la théorie de Schumpeter ne fait aucun doute, ce qui fait cependant débat est de savoir si ces innovations créent plus d’emplois qu’elles n’en détruisent ou non. La suppression des emplois peu qualifiés pose en effet le problème du « déversement de main-d’œuvre » (expression d’Alfred Sauvy ; La machine et le chômage (1980)).

En effet, que deviennent ces personnes dont le travail a été supprimé ? Si celles-ci ne disposent pas d’atouts suffisants pour pouvoir trouver un autre travail dans un autre secteur d’activité, elles se retrouvent alors au chômage. L’enjeu est donc d’assurer une formation suffisante pour que l’employabilité des personnes leur permette de retrouver un travail, sinon l’innovation participe bien à l’accroissement du chômage structurel.

On peut également se demander si la disparition de ces emplois peu qualifiés, généralement pénibles et peu épanouissants, n’est pas en réalité une aubaine pour les individus et le bien-être social, mais il faut alors assurer un revenu à ces personnes dont l’emploi a disparu, et c’est l’un des arguments principaux des défenseurs du revenu universel aujourd’hui, qui permettrait alors aux individus de se concentrer sur des tâches plus épanouissantes qui pourraient même profiter à l’ensemble de l’économie et non pas créer des « assistés » comme l’affirment les détracteurs d’un tel revenu.

Schumpeter et l’entrepreneur comme fondement du capitalisme

On en vient aux théories plus managériales de Schumpeter, à savoir celles qui concernent l’entrepreneur et son lien avec l’innovation, qu’il expose dans son œuvre la plus connue : Capitalisme, socialisme et démocratie (1942).

Qu’est-ce qu’un entrepreneur pour Schumpeter ? Ce n’est pas simplement un chef d’entreprise, encore moins celui qui possède le capital dans une entreprise et qui jouit d’une rente grâce à la possession des moyens de production. Pour lui, un entrepreneur est avant tout une personne qui est animée par le goût du risque, par la volonté d’innover et de sortir des sentiers battus.

Contrairement au simple chef d’entreprise et plus encore au rentier, il n’est pas (que) motivé par la perspective de réaliser du profit. Il souhaite plutôt bouleverser le monde dans lequel il vit, changer ce qui lui déplaît en se donnant les moyens lui-même d’apporter une réponse qui lui semble plus pertinente.

En ce sens, Schumpeter en tant qu’économiste hétérodoxe était lui-même un entrepreneur puisque après avoir appris l’économie de manière tout à fait classique, il s’est distingué volontairement des plus gros mouvements de pensées économiques de son époque et d’avant. Ainsi, c’est donc l’entrepreneur qui permet l’innovation dans un système capitaliste et les plus grandes révolutions commerciales et industrielles proviennent d’entrepreneurs. Par exemple, le nouveau processus de production d’Henry Ford avec sa Ford T révolutionna à la fois la manière de produire et de consommer, avec le succès que l’on connaît.

Ainsi, lorsqu’une entreprise souhaite innover, le dirigeant de l’entreprise doit avoir l’esprit entrepreneur au sens de Schumpeter. Et pour lui, cet esprit ne peut se cultiver et prendre forme que dans un certain type de structure d’entreprise bien particulier qui est une structure souple, qui permet à chacun des membres de participer au processus de prise de décision et de création, et qui favorise la coopération et le partage des points de vue pour enrichir la vision de l’entrepreneur qui ne souffre d’aucune limite interne pour laisser parler son inventivité et prendre des risques.

Ainsi, Schumpeter s’oppose totalement à la vision de la parfaite structure d’organisation de Max Weber pour qui « la bureaucratie est la meilleure forme d’organisation que l’on connaisse pour diriger des êtres humains » (Etat et société (1925)).

Pour ce dernier, l’organisation doit être rigide, avec des règles strictes, et même le dirigeant qui prend les décisions stratégiques ne décide pas tout seul mais doit rendre des comptes aux actionnaires qui peuvent avoir des intérêts divergents, car ils ne recherchent que le profit pour toucher plus de dividendes de ce dernier et donc l’empêcher de prendre des décisions trop risquées ou qui ne maximisent pas les bénéfices pour des enjeux plus sociétaux ou environnementaux, ce qui, pour Schumpeter, réduit à néant les chances d’innover.

Dès lors, dans un sujet de management HEC comme celui de l’année dernière où le mot « innovation » revenait toutes les trois lignes, évoquer Schumpeter, et notamment sa typologie des innovations ainsi que la structure d’entreprise pertinente pour laisser l’entrepreneur prendre des risques et innover était plus que pertinent, notamment dans la première question concernant le processus de prise de décision qui a tant déconcerté les candidats, pour montrer en quoi les décisions prises par le dirigeant de l’entreprise, dont les prises de risque lui permettaient de correspondre aux critères de l’entrepreneur, l’étaient dans un souci constant d’innover.

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