Faut-il lutter contre les monopoles ?

Les auteurs classiques considéraient dès le 19ème siècle que la concurrence était indispensable au bon fonctionnement du marché. En effet, l’« atomicité » est une des cinq hypothèses de la concurrence pure et parfaite (CPP) et désigne une situation où l’offre et la demande sont constitués d’une infinité d’agents. La doctrine libérale prône ainsi la lutte contre les monopoles. Toutefois, une lutte excessive contre les monopoles peut s’avérer nuisible en ce qu’elle contrevient à l’émergence de « champions nationaux » qui participent à la compétitivité d’une économie. Ainsi, certaines formes de monopole s’avèrent indispensable que ce soit dans le cadre de la politique industrielle ou bien pour stimuler la dynamique de l’économie. Dès lors, faut-il lutter contre les monopoles ?

Le monopole nuit à l’économie…

Dans une perspective libérale, la lutte contre les monopoles permet de maximiser le surplus des consommateurs. En effet, la situation de monopole est sous optimale par rapport à celle de l’équilibre concurrentiel. Le monopoleur peut fixer le prix qu’il souhaite, ce prix pouvant être supérieur au prix d’équilibre pour lequel l’offre est égale à la demande dans un marché en CPP. L’équilibre monopolistique mène alors à une hausse des prix et à une baisse des quantités vendues par rapport à l’équilibre concurrentiel. Cela se traduit graphiquement par une baisse du surplus du consommateur, une hausse de celui du monopoleur et par l’apparition de « pertes sèches » (triangle d’Harberger) qui représentent une perte de surplus pour l’ensemble de la société. Plus encore, la lutte contre les monopoles peut permettre de stimuler l’innovation. En effet, le monopoleur est moins incité à innover que s’il était en situation de concurrence. C’est en ce sens que Bastiat (Baccalauréat et socialisme, 1850) pouvait affirmer : « le monopole est ainsi fait qu’il frappe d’immobilisme tout ce qu’il touche ». La lutte contre les monopoles apparaît dès lors souhaitable puisque la situation de monopole se traduit par une baisse du surplus des consommateurs et est peu propice à l’innovation.

… tout comme trop de concurrence

Toutefois, une trop forte concurrence n’apparaît pas non plus souhaitable. En effet, si une situation de monopole est néfaste pour l’innovation, cela semble être également le cas d’une situation de concurrence parfaite. C’est notamment ce que montre la « courbe en U inversée » développée par Aghion et Howitt (« Competition and innovation : an inverted-U relationship », 2005). Les auteurs soulignent que pour que l’entrepreneur soit incité à innover, il faut qu’il puisse bénéficier pendant un certain temps d’une rente de monopole. En situation de concurrence parfaite, cette rente n’est pas possible et donc l’entrepreneur sera moins enclin à innover. On comprend donc qu’une certaine forme de monopole est tout de même nécessaire à la dynamique de l’économie. Historiquement, North (The Rise of the Western World, 1973) rappelait que c’est l’instauration d’un droit de brevet en Angleterre au 17ème siècle qui a permis l’émergence d’innovation majeures au 18ème siècle. Plus encore, l’apparition d’un monopole à l’échelle nationale peut permettre de favoriser la concurrence à une échelle internationale. En ce sens, Brander & Spencer ont pu montrer que l’émergence d’Airbus, permise par les subventions européennes, a permis de combattre le monopole qu’exerçait jusque-là Boeing. Certaines formes de monopoles apparaissent ainsi souhaitables.

Conclusion

Finalement, les autorités de la concurrence visent à surveiller les structures de marchés afin d’éviter l’apparition de monopoles qui seraient trop néfastes pour l’économie. En Europe, cette mission est assurée par la Commission Européenne et aux États-Unis par la « Federal Trade Commission » créée à la suite du Clayton Anti-Trust Act (1914). Mais la régulation des monopoles peut notamment être assurée par l’État. En ce sens, M. Allais (1965) soulignait que dans une situation de monopole naturel, l’État pourrait imposer au monopoleur de suivre une tarification au coût marginal afin d’éviter la perte de surplus pour les consommateurs. Plus encore, l’État peut pousser le monopoleur à agir comme en situation concurrentielle en levant les barrières à l’entrée sur un marché. C’est notamment ce que soulignaient Baumol, Panzar et Willig (1982) à travers leur « théorie des marchés contestables ». Si le monopoleur sait qu’il peut être concurrencé à tout moment, il sera incité à ne pas abuser de son pouvoir de marché et à pratiquer une tarification au coût marginal.

La théorie laisse penser que les monopoles sont néfastes à l’économie principalement car ils conduisent à une perte de surplus pour les consommateurs. Toutefois, il faut distinguer les monopoles car certains d’entre eux sont tout de même nécessaire à la dynamique et à la compétitivité d’une économie. Leur régulation, si elle est nécessaire, ne doit donc pas non plus s’avérer excessive. La régulation européenne avait elle même pu être jugée excessive par certains lorsque la fusion entre Alstom et Siemens fut refusée par la Commission Européenne en 2019. La commission avait ainsi jugé que cette fusion serait néfaste à la concurrence bien que pour certains elle aurait permis au contraire de faire émerger un champion européen.