La crise de la zone euro s’est traduite par une montée des tensions sur les marchés des titres de la dette publique et par une contraction de la demande de crédit à l’échelle européenne. Cette crise a donc nécessité une intervention massive de la banque centrale européenne afin de rassurer les marchés financiers sur la solidité de l’Union Economique et Monétaire et de relancer cette demande de crédit, notamment via la mise en place d’une politique monétaire extrêmement clémente. Mais cette politique n’a pas été menée sans déclencher un certain nombre de débats et d’interrogations sur l’efficacité de la politique monétaire dans la zone euro.

Depuis déjà quelques mois, nous remarquons que la banque centrale opte pour une politique monétaire très clémente (taux directeur de 0%, taux de prêt marginal à 0,25% et taux de dépôt négatif… (-0,40%, autrement dit les banques de second rang doivent désormais payer pour placer leurs capitaux à la banque centrale). On pourrait à première vue penser que cette politique clémente est positive, car « le prix de l’argent » étant faible, cela doit encourager l’investissement et relancer une croissance molle, non ? Mais dans les faits, on peut dire que c’est très inquiétant, car cela ne fonctionne pas et la marge de manœuvre se fait de plus en plus petite pour la BCE. A cet outil conventionnel s’ajoutent d’autres pratiques dites « non conventionnelles » telles que le Quantitative Easing, le Credit Easing ou bien le Forward Guidance, mais ceux-ci semblent également en panne. Peut-on alors parler d’une politique monétaire inefficace, voire contre-productive ?

I – Définition de la politique monétaire et historique de l’intervention depuis la crise de 2008

1) Les fondements théoriques de la politique monétaire

Procédons dans un premier temps à une définition simple de la politique monétaire. Nous pouvons définir la politique monétaire conventionnelle comme étant l’ensemble des actions qui peuvent agir sur les taux (ce qui fut le principal instrument de la BCE jusqu’à la crise de 2007-2008), ou agir directement sur le volume de crédit (la Banque centrale peut alors mettre à disposition de la monnaie banque centrale en quantité plus ou moins abondante ou bien agir sur le taux des réserves obligatoires : si la banque centrale augmente ce taux, les banques de second rang doivent détenir des quantités plus importantes de monnaie banque centrale en dépôt auprès de la banque centrale, ce qui restreint les possibilités de crédit).

La politique monétaire suit 3 objectifs principaux : la stabilité des prix, la croissance économique et le plein-emploi, et l’équilibre extérieur. Pour cela, elle dispose de deux « objectifs opératoires » : le taux d’intérêt, et les politiques non conventionnelles (dans le cas où on se trouve dans une situation de trappe à liquidités).

La politique non conventionnelle passe elle par l’Assouplissement quantitatif (Quantitative easing, qu’on peut également appeler par abus de langage « rachat de dette »), le credit easing ou encore le Forward Guidance (lorsque Draghi dit « Nous pouvons agir sans limites », il rassure les marchés et fait par la même occasion du forward guidance).

2) L’intervention européenne les premiers jours de la crise

La crise de 2008 s’est rapidement transformée en crise sur le marché obligataire européen : la Grèce, le Portugal, l’Irlande, l’Espagne, etc., faisaient l’objet d’inquiétudes quant à la soutenabilité de leurs dettes, les agences de notation (S&P, Moodys, Fitch…) ont dégradé leurs notes, ce qui a provoqué un vent de panique sur les marchés. C’est dans ce climat d’inquiétude que la banque centrale a dû trouver des solutions à une crise qui touchait la confiance des investisseurs.

Comme cette crise a permis un écart de rendement des obligations d’Etat à long terme par rapport aux obligations allemandes, les investisseurs ont perdu confiance en certains Etats. Ces tensions se sont ensuite propagées au marché monétaire, tandis que des inquiétudes sont nées quant à la solvabilité des banques face à la dégradation de certaines d’entre elles. Ainsi, la crise est financière, monétaire, structurelle, etc.

Cependant, il est important de noter que l’intervention de la BCE est limitée par l’article 125 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Celui-ci empêche la BCE d’aider les Etats membres. Ainsi il faudra attendre mai 2010 pour que la BCE mette entre parenthèses cet article et commence à aider les pays via le retrait des mesures dites « non conventionnelles », et à procéder à des rachats de titres.

A ce moment là, la BCE a cherché à stabiliser le fonctionnement des marchés de dettes souveraines en mettant en oeuvre un autre programme d’action constitué de mesures non conventionnelles, le « programme pour le marché des titres (« Securities Markets Programme ») afin de garantir la liquidité des marchés. La BCE a ainsi acheté 60 milliards d’euros de titres de la dette grecque, irlandaise et portugaise entre mai et juillet 2010 et 1440 milliards au second semestre 2011. En septembre 2012, la BCE a annoncé qu’elle s’engageait à agir sans limites mais sous conditions. Le pays concerné doit au préalable solliciter l’aide du Fonds européen de stabilité financière et doit accepter de mettre en oeuvre un programme de réformes afin de renforcer la consolidation budgétaire puis d’importantes politiques structurelles pour renforcer la compétitivité du pays.

II – Ce qu’il se passe aujourd’hui avec la politique monétaire européenne, un manque d’efficacité voire une aggravation de la situation

1) Les limites de la politique de taux d’intérêt de la BCE

Malgré la crédibilité de la BCE, son action reste soumise à de nombreuses critiques. Certains économistes considèrent que la BCE devrait intervenir plus promptement et massivement afin de fixer une limite supérieure aux taux d’intérêt à long terme. Car dans une période de grande incertitude sur la solidité et l’avenir de la zone euro, le programme de rachat de dette peut conduire à une imitation d’autres investisseurs et à la formation d’une bulle spéculative sur les dettes publiques. C’est pourquoi M. Aglietta plaide en faveur d’une stimulation plus rigoureuse.

D’après l’économiste Charles Wyplosz, les marges de manoeuvre de la Banque Centrale Européenne sont très étroites car celle-ci contrôle en effet trois taux : le taux central qui est passé récemment de 0,75 à 0,25%, le taux supérieur (il correspond aux emprunts d’urgence) qui lui est passé de 1,5% à 1% et le taux de dépôt qui est désormais négatif (-0,49%). Autrement dit, les banques doivent désormais payer pour pouvoir placer leurs capitaux à la banque centrale.

Ce taux de dépôt négatif a deux finalités :

  • Forcer les banques à prêter aux demandeurs de capitaux, chose qu’elles ne font pas car le climat des affaires est mauvais et la demande de crédit reste très et trop faible.
  • Forcer les banques à placer leurs capitaux à l’étranger pour dévaluer l’euro et gagner en compétitivité-prix pour relancer les exportations (chose qui ne fonctionne pas non plus).

Mais le taux le plus important, c’est celui auquel les banques s’accordent des prêts, il est égal normalement au taux central de la BCE, qui est tombé rappelons-le à 0% et ne peut donc plus vraiment baisser pour stimuler l’économie. Plus grave encore, les banques ne se font plus de prêts interfrontaliers, les Allemandes prêtent aux Allemandes et les Françaises aux Françaises. Les banques des pays en difficulté prêtent donc elles à des taux beaucoup plus élevés entre elles (3% à 12%).

Cette situation signifie concrètement qu‘il n’y a plus de monnaie unique et que la BCE cherche à limiter cette fragmentation sans avoir le pouvoir d’éliminer les doutes sur la capacité des Etats à rembourser leurs dettes. Seule une politique d’achat des dettes publiques pourrait donc avoir une incidence plus force, et nous allons voir maintenant que cela n’est pas nécessairement le cas.

2) Les limites et l’inefficacité du QE qui reste insuffisant pour relancer l’économie européenne

« Nous pouvons agir sans limites » déclarait Mario Draghi. Par cette phrase, il affirme que la BCE usera de tous les moyens pour sortir de la menace de la déflation (une baisse auto-entretenue des prix et de l’activité). Cependant, le futur est pour le moment à l’opposé de ce que M. Draghi espère, il est vrai que l’Europe est loin d’être sortie du risque de déflation. Pire, pour certains économistes, la politique monétaire actuelle nourrit une bulle spéculative qui pourrait nous éclater au visage.

Draghi sort la boîte à outils monétaire de la banque centrale et s’attaque alors au sauvetage de la zone euro. Dans un premier temps, il a baissé le niveau du taux directeur de la BCE de 0,75% en 2012 à 0,05% en 2016. Mario Draghi fait également forward guidance, il rassure les marchés comme il peut en affirmant que son objectif de remontée à une inflation de 2% est encore d’actualité et se fera sur du long terme (chose qui rassure les marchés), et que pour se faire, il murmure à l’oreille des banques que l’argent va rester peu cher pendant longtemps. Pour finir il continue son Quantitative easing en achetant des titres de dettes publiques sur le marché secondaire ou des dettes privées en finançant cette opération par de la création de monnaie.

Depuis mars 2015, la BCE injecte ainsi 60 milliards d’euros de liquidités en rachetant des titres privés ou publics qu’elle espère voir un jour dans la poche des ménages, puis la banque centrale a augmenté ce nombre à 80 à partir d’avril 2016, le tout jusqu’en 2017, soit la création de 1500 milliards d’euros. Avec le quantitative easing, la BCE veut injecter de l’argent en espérant qu’il se retrouve un jour chez les ménages, ce qui pour le moment n’est clairement pas le cas…

Nous pouvons d’ailleurs noter que l’ancien banquier central anglais, Mervyn King, dans The end of Alchemy: Money, Banning and the future of the global economy (mars 2016), dit lui-même que le Quantitative Easing ne fonctionne et ne fonctionnera pas, alors qu’il en est l’un des fondateurs…

Enfin, la banque centrale a une dernière solution, agir sur le taux de change en taxant les dépôts des banques de second rang. Celles-ci doivent alors l’investir à l’étranger (le taux de rémunération des dépôts centraux est passé de 0% à -0,40%). Ainsi les banques, pour ne pas perdre d’argent, doivent le prêter aux ménages (relancer l’activité) ou le placer à l’étranger pour le rémunérer (vente d’euros en devise étrangère, ce qui pousse à la dépréciation de la monnaie européenne). Sauf que cet argent ne va pas dans la poche des ménages et se place à l’étranger afin de déprécier l’euro et accroître la compétitivité de la monnaie. Mais nous pouvons remarquer que l’effet d’entraînement sur l’activité économique reste très faible. Le quantitative easing devait permettre une légère augmentation de l’inflation importée, mais la baisse du coût du pétrole compense plus que largement et laisse la zone euro dans une inflation qui est beaucoup trop faible.

Conclusion

On ne peut pas reprocher à la banque centrale européenne de ne pas essayer. Elle met effectivement en place une baisse du taux directeur, elle essaye de rassurer les marchés, elle rachète de la dette sur le marché secondaire des dettes, elle essaye même d’agir sur le taux de change en taxant les dépôts des banques de second rang, et tout ça… en vain. On remarque effectivement que la banque centrale se cogne au pétrole bon marché, aux politiques nationales d’austérité, de salaires faibles et de manque d’investissement qu’elle essaye de palier avec ses outils sans grand succès. Ainsi, si la BCE montre un certain pragmatisme et une certaine capacité d’adaptation depuis 2007, on remarque que l’institution peine à relancer l’économie dans la zone européenne.

« Crise » n’est pas le terme approprié pour parler de la situation monétaire de l’UE, car la gouvernance de la banque centrale semble mettre en place tout ce qui est en son pouvoir pour sortir l’Europe du marasme, mais les politiques économiques nationales restent non appropriées et non coordonnées. La rémission de la zone euro passera donc par une politique monétaire d’ampleur ET une politique structurelle appropriée.

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