Avec cet article, Jean-François s’est hissé à la quatrième place du concours du Diplo d’Or BNP Paribas 2016.

 On attribue à Vladimir Poutine la phrase : « celui qui regrette l’URSS n’a pas de cœur et celui qui ne la regrette pas n’a pas de tête ». Cela montre un paradoxe : le Kremlin a bel et bien pris note du changement et tourné la page et de l’URSS et du XXe siècle pour se tourner résolument vers le XXIe siècle et pourtant il le fait avec nostalgie, comme s’il regrettait cette période aujourd’hui révolue. Cela se traduit notamment par ses prises de positions géopolitiques qui rappellent étrangement celles de l’URSS pendant la guerre froide. Cette attitude choque le plus souvent les observateurs occidentaux mais ne semble pas déranger la majorité des russes comme en témoigne la côte de popularité record du président Vladimir Poutine qui culmine à plus de 80% depuis 2014.

Célébration des 70 ans de la victoire de la « Grande Guerre Patriotique » (Seconde Guerre mondiale) sur la Place Rouge à Moscou, 2015

Le traumatisme de la perte de l’empire

 La Russie contemporaine n’a toujours pas digéré la perte de l’empire soviétique. Celui-ci s’exprimait sous plusieurs formes : d’abord, l’URSS était constituée de 15 républiques (Russie, Ukraine, Biélorussie, Moldavie, Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan, Estonie, Lettonie, Lituanie, Kazakhstan, Ouzbékistan, Tadjikistan, Kirghizistan et Turkménistan). En outre elle exerçait un contrôle direct sur ses « satellites », les démocraties populaires d’Europe de l’Est qui lui était plus ou moins soumise mais où l’influence de Moscou était indéniable. Enfin, l’URSS était le deuxième « Grand ». C’était la seule puissance capable de rivaliser ouvertement avec les Etats-Unis (en apparence au moins). Son influence était mondiale comme en témoignent les liens avec les pays communistes (Cuba, Vietnam, Sud-Yémen, Angola, Mozambique…) ou les traités d’amitié signés avec plusieurs pays (Inde, Algérie). Moscou, et par extension la Russie avait alors un immense pouvoir local une véritable influence mondiale. Or, la chute de l’URSS marque la fin de cette influence. Dès 1989, les satellites d’Europe de l’Est rejettent la présence soviétique. En quelques mois, le fameux « rideau de fer » de Winston Churchill (discours de Fulton, 1946) s’écroule et tous ces pays rejettent la présence russe pour se tourner vers la communauté européenne. Les républiques socialistes d’URSS s’opposent elle aussi à la domination russe ce qui aboutit finalement à la dislocation de l’URSS le 8 décembre 1991. Durant toute la décennie 1990, la Russie est mise à mal en interne où elle n’arrive pas à maintenir l’ordre (l’apogée étant symbolisée par la première guerre de Tchétchénie) et où  elle est en proie à d’immenses difficultés économiques et en externe où elle n’est plus capable de défendre ses intérêts. Parallèlement, l’UE et surtout l’OTAN s’étendent jusqu’à ses frontières (Finlande puis pays baltes). Pour les russes, la Russie est passée du jour au lendemain du statut de deuxième grande puissance mondiale de 22 millions de km2 à celui d’un état failli et à genoux et ne faisant plus que 17 millions de km2. La fin de l’URSS est donc vécue comme un véritable traumatisme : une perte territoriale, de prestige et d’influence.

Une attitude rappelant celle de l’URSS

 Depuis le tournant des années 2000, Vladimir Poutine est à la tête de la Russie (la période 2008 – 2012 où Vladimir Poutine est Premier Ministre de Dmitri Medvedev ne fait pas exception). Après une période de restructuration et de stabilisation interne (restauration de la « verticale du pouvoir », période de forte croissance en Russie) où la Russie est vue comme un futur partenaire par les Occidentaux, les premières divergences apparaissent et sont visibles notamment lors du discours de Vladimir Poutine à la conférence de Munich en 2007. 2008 marque un tournant avec la reconnaissance du Kosovo par les Occidentaux et la guerre entre la Russie et la Géorgie. Après le fiasco libyen en 2011, la Russie décide de s’opposer (avec la Chine) à une intervention occidentale par l’ONU en Syrie en 2013. On a alors l’impression de revoir l’opposition Est / Ouest paralyser le Conseil de Sécurité de l’ONU. En 2014, la Russie intervient en Ukraine et parvient à rattacher à son territoire la Crimée. En quelques années, la Russie a pris de multiples décisions qui allaient contre les prises de position occidentales, comme l’URSS du temps de la guerre froide. Le G8 redevient G7 et les rapports entre la Russie et les Occidentaux se dégradent. En 2015, la Russie fait son grand retour sur l’échiquier géopolitique mondial avec le début de l’intervention en Syrie (qui permet de minimiser son coup de force en UIkraine), en parallèle de l’action de la coalition internationale contre Daesh. En interne, l’URSS est de plus en plus remise en avant comme l’a montré la célébration en 2015 du 70e anniversaire de la victoire dans la « Grande Guerre Patriotique ».

La nostalgie de la puissance perdue

 Si la Russie est aujourd’hui nostalgique de l’URSS, c’est surtout de sa puissance. Oui, les russes n’ont toujours pas oublié les difficultés à passer du système d’économie planifiée à l’économie de marché si bien que certaines personnes (en particulier âgées) regrettent aujourd’hui le système communiste lui-même. Mais il est indéniable que l’on vit mieux aujourd’hui en Russie que l’on n’a jamais vécu au temps de l’URSS. La Russie connaît comme tous les pays ses propres problèmes internes (hausse des inégalités, corruption…) mais sur le plan extérieur, elle a fait son grand retour. Elle est présente sur la scène internationale et ses décisions sont appliquées de fait (à défaut d’être toujours acceptées par la communauté internationale). Pour les russes, la Russie a retrouvé la place qui doit être la sienne. Le journaliste Ross Douthat du New York Times écrivait en 2015 que la Russie était intervenue en Syrie pour « casser le monopole interventionniste de l’OTAN ». C’est-à-dire que les seuls capables de véritablement rivaliser avec les Etats-Unis sur le plan géopolitique, c’est de nouveau la Russie. Cela explique le succès du président Vladimir Poutine. En Occident, on lui reproche son autoritarisme et son manque de respect pour les droits de l’homme, l’absence d’alternance démocratique voire la fiabilité des scrutins électoraux ainsi que la forme de culte de la personnalité qui l’entoure. Mais en Russie, c’est d’abord celui qui a redonné aux russes leur fierté.

 La chute de l’URSS a été un tournant difficile à vivre en Russie ce qui nourrit une nostalgie : les russes sont un peuple fier et la perte du statut de « deuxième Grand », c’est-à-dire la perte de puissance a été très mal vécu. Le Kremlin joue sur ce sentiment et flatte l’orgueil du peuple russe qui croit volontiers que les Occidentaux ne les comprennent pas. Ce sentiment n’est pas nouveau ; Dostoïevski écrivait déjà : « En Europe, nous avons été des Tatars, en Asie nous serons à notre tour des Européens. » La page de l’URSS est bel et bien tourné mais le regret de la puissance passée est encore loin d’avoir disparu.

Jean-François Moskowitz, étudiant à l’emlyon

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