Quel bilan pour l’altermondialisme ?

Il est certain que depuis les années 1990, l’altermondialisme a fait couler beaucoup d’encre. Evaluer le succès du mouvement est complexe. En effet, on pourrait considérer que l’expérience altermondialiste est un échec vue la mobilisation actuelle. Il est certain que les évènements de grande ampleur se font de plus en plus rares et les forums sociaux de moins en moins fréquentés, à l’image de l’échec du Forum Social Mondial de Montréal en 2016. L’idée d’un mouvement altermondialiste à bout de souffle existe en réalité depuis… 2001 quand après les attentats du 11 Septembre, certains journalistes croient déjà prédire la fin prochaine du mouvement altermondialiste. Ainsi, Nicolas Weill publie en octobre 2001 un dossier dans le monde intitulé « Les antimondialisations cherchent un nouveau souffle après le 11 septembre ». En réalité le mouvement connaît alors sa mutation d’antimondialisme à altermondialisme. Il faut cependant selon le polititologue Yves Sintomer davantage parler de fin de cycle. La contestation a changé de forme et les associations ont moins de pouvoir au déterminent de groupes politico-civils à l’image de Nuit debout en France ou Podemos en Espagne. Il faut cependant se garder de conclusions hâtives. Déjà, le mouvement altermondialiste a eu de belles victoires. L’une des premières revendications, celle de l’allègement du Tiers-monde, a été en partie obtenue à travers l’Initiative renforcée en faveur des pays pauvres très endettés conjointement menée en 2005 par le G8, l’Association Internationale pour le Développent, le FMI, la Banque Mondiale et le Fond Afrique pour le Développement et qui annule totalement les dettes de plusieurs pays (https://www.imf.org/external/np/exr/facts/fre/mdrif.htm). On peut également citer l’abandon à l’octobre 1998 du projet d’Accord Multilatéral sur l’Investissement (AMI), négocié en secret et qui devait fortement accélérer la libéralisation du commerce, suite à une campagne d’alerte de différentes ONG.

Paradoxalement le mouvement altermondialiste a semblé s’essouffler alors que son action devenait de plus en plus légitime, en particulier après la crise de 2008. En réalité, il semble que l’importance du mouvement est décrue de manière inversement proportionnelle à l’influence des idées. Ainsi, la plupart des exigences altermondialistes (une mondialisation plus juste et plus équitable, un développement durable, le respect des droits de l’hommes) sont toujours plus partagées par les populations et des actions locales se développent. Une pensée altermondialiste s’est également développée chez les économistes que ce soit chez des économistes altermondialistes convaincus ou alter-compatibles à l’image de Joseph Stiglitz, prix nobel d’économie et ancien économiste en chef de la Banque mondiale (envers laquelle il est depuis critique) qui a de nombreuses fois alertées face aux dérives de la mondialisation actuelle (voir La grande désillusion (2002), Le Triomphe de la cupidité (2010),  ….) L’altermondialisme a donc réussi en partie à populariser ses idées, même au sein des cadres dirigeants privés et publics : Manuel Valls déclarait par exemple dans un éditorial publié dans les Echos en Novembre 2016 « La mondialisation a fait beaucoup de dégâts »; toutefois il faut rappeler que la mondialisation libérale semble encore avoir de beaux jours devant elle à la vue des derniers forums économiques de Davos et de la réunion du G20 à Huangzhou à l’automne 2016 qui a marqué un recul des ambitions de régulation économique.

Finalement il est légitime de se demander si les revendications altermondialistes sont fondées. On peut interroger cette question sous trois angles : la question des inégalités, du respect des droits de l’homme et de la question environnementales (entre autres).

Rendons dans un premier temps à César ce qui est à César. Depuis les années 1980 et le début du processus de mondialisation, la richesse mondiale a augmenté de manière exponentielle et surtout grâce à la croissance formidable des pays du Sud, parmi lesquels se sont distingués les pays émergents (Chine, Inde, Brésil en particulier). Les écarts en les pays du Nord et du Sud se sont fortement réduits et le Sud participe aujourd’hui davantage au commerce mondial que le Nord. De manière globale la pauvreté a fortement diminué: la Banque Mondiale estime que depuis 31 ans la part de la population vivant en situation d’extrême pauvreté (moins d’1,90$ par jour) est passée de 41% à 12%. Cette tendance cache néanmoins de grandes disparités puisque cette réduction s’est surtout opérée en Asie où le taux d’extrême-pauvreté est passé de 80 à 7% en Asie du Sud-Est et Pacifique et de 58 à 18% en Asie du Sud contre 50 à 42% en Afrique subsaharienne. Cela représente toujours 800 millions de personnes. Toutefois, l’autre réalité qui se cache derrière ce chiffre est que si la pauvreté est moins importante, la répartition des richesses est toujours plus inégale. Selon un rapport de Oxfam paru en Janvier 2017 les huit hommes les plus riches du monde détiennent autant de richesses que les 3,7 milliards de personnes les plus pauvres et les 1% les plus riches détiennent autant que les 99% restant. Les 50% les plus pauvres ne détiennent que 1% de la richesse mondiale. Rappelons que même le FMI juge que la situation extrême des inégalités actuelles nuit à la croissance  .

Il faut ajouter à cela que la si la pauvreté diminue la condition de nombreux travailleurs dans le monde reste précaire. En Asie, où a eu lieu la baisse la plus spectaculaire de pauvreté sur les trente dernières années, 80% des entreprises violent le droit des travailleurs. Ainsi le respect des droits se retrouve souvent affaibli par les logiques mondialisatrices. En Chine, Foxconn sous-traitant pour Apple ou Samsung a par exemple été condamné pour le travail d’enfants. L’effondrement du Rana Plaza à Dhaka en 2013 dans lequel travaillaient de nombreux sous-traitant pour de grandes entreprises occidentales (Benetton, H&M, …) a rappelé cette réalité à de nombreux observateurs occidentaux. Généralement, on peut s’interroger sur la comptabilité entre la démocratie et la mondialisation. Dani Rodrik, professeur à la John F. Kennedy School of Government (Université d’Harvard), considère que la mondialisation, la démocratie et l’Etat-nation constituent un triangle d’incompatibilité. Dans son dernier ouvrage (Straight Talk on Trade : Ideas for a Sane World Economy), il explique que les forces financières et économiques peuvent finir par entrer en contradiction avec la volonté des populations et éroder la souveraineté des Etats-nations démocratiques.

Enfin la préoccupation environnementale est certainement la plus partagée de toutes. Les scientifiques ont depuis longtemps montré l’impact de l’activité économique industrielle était responsable d’innombrables externalités négatives sur l’environnement. La mondialisation est responsable de la hausse du trafic des transports qui est la deuxième source de pollution derrière l’élevage. Ajoutons que les aménagements d’infrastructures permettant d’accueillir des transports de toujours plus grande taille modifie durablement les écosystèmes et les terrains. La grande barrière de corail en Australie par exemple est fortement inquiétée par le commerce de charbon partant des côtes du Queensland.

L’altermondialisme a été autant critiqué qu’il n’a critiqué. La grande majorité des économistes ont tendance à rappeler que le libre-échange est le plus souvent positif pour les économies nationales et qu’une participation à la mondialisation participe toujours à augmenter, même a minima la richesse d’un Etat. L’économiste américain Paul Krugman, qui est de la mouvance post-keynésienne, reproche ainsi aux détracteurs de la mondialisation dans La Mondialisation n’est pas coupable (1998) de promouvoir l’idée fallacieuse d’une compétition entre Etats plutôt que de coopération qui semble s’imposer (les pays ont besoin d’exporter et d’importer). Mieux, le libre-échange est la meilleure solution pour éviter une guerre économique selon Paul Krugman. L’autre grande critique est que « la capacité de la mouvance altermondialiste à proposer des solutions alternatives reste extrêmement limitée » comme le pense le politologue français Zaki Laïdi dans La grande perturbation.

Conclusion : la démondialisation, une proposition pour l’altermondialisme ?

Théorisée par l’économiste philippin Walden Bello en 2002 dans Deglobalization : ideas for a new world economy, la démondialisation se définit comme « la réduction volontaire de l’interdépendance entre les écononomies au profit de circuit moins longs ». Quand il l’imagine, Walden Bello critique surtout l’absence de régulation prônée par les pays du Nord ainsi que la libéralisation excessive menant parfois à une perte de contrôle totale par certains pays du Sud de leur marché (notamment de l’agroalimentaire comme il le développera dans Food Wars en 2009). Cette idée a été beaucoup reprise par des politiques, des intellectuels, des économistes de tous les bords. Globalement, la démondialisation prône un retour du protectionnisme, pas nécessairement à l’échelle nationale (Emmanuel Todd sollicite un protectionnisme européen) mais dans son idée originale elle n’est pas non plus un refus du commerce international (comme le prône les protectionnistes notamment le FN en France) mais plutôt la volonté de mieux contrôler les flux commerciaux. Ainsi la démondialisation se rapproche des idées altermondialistes. Il ne faut pas la comprendre comme la fin de toutes mondialisations mais comme fin de la mondialisation néo-libérale. En France, Arnaud Montebourg s’est notamment proclamé candidat de la démondialisation en 2012 puis en 2017. De quoi imaginer, une réalisation concrète des idées altermondialistes ?

Histoire complète de l’altermondialisme (1/3)

Histoire complète de l’altermondialisme (2/3)

La démondialisation : mythes et réalités

Pour aller plus loin :

  • http://www.laviedesidees.fr/Breve-histoire-du-mouvement.html
  • L’article d’Eddy Fougier : http://ceriscope.sciences-po.fr/puissance/content/part6/altermondialisme-contre-pouvoir-global-ou-grande-alternative?page=show