D’abord, voici une vidéo qui synthétise tout ce qui est détaillé ci-dessous :

Préambule – À l’attention des nouveaux prépas

Ça y est, tu y es, cette fois ! Après avoir franchi avec brio l’étape Parcoursup et stressé (ou pas) aux résultats du bac, tu vas désormais évoluer dans un nouvel environnement : la prépa HEC. Cadence de travail soutenue et longues soirées dans ton studio ou à l’internat rythmeront désormais ton quotidien. Mais bon, point de désespérance ! Ce sont de nouvelles perspectives qui s’offrent à toi : celles de l’excellence académique et, si tout se passe bien, la promesse d’intégrer dans deux ans une des meilleures business schools de France. Et puis dire qu’on est en prépa, ça le fait 😉 !

Mais finalement, sais-tu vraiment dans quoi tu t’es embarqué(e) ? Qu’apprend-on réellement en prépa HEC ? Si on n’insiste jamais assez sur la primauté des mathématiques, leur dauphin n’est autre que la géopolitique (ECS) et l’ESH (ECE).

Cette fiche du livre de René Rémond Regard sur le siècle va t’apporter des éléments de réponse. En première année, ton champ d’étude dans ces matières se focalisera essentiellement sur le XXe siècle. L’ambition de l’ouvrage est justement de capter un panorama de cette période. À travers ce livre, René Rémond tire les premiers enseignements de ce siècle « dense », qui a changé la face de l’humanité.
La lecture de cet ouvrage est donc fortement conseillée avant d’entrer en prépa HEC, ton professeur te l’a peut-être d’ailleurs suggéré dans sa liste des lectures de l’été. Si ce n’est pas le cas, empresse-toi de lire ce condensé des idées développées dans le livre concocté par Major-Prépa ! Elles sont toutes primordiales et doivent structurer ta pensée lors de tes dissertations. Ce travail te permettra de ne pas partir de postulats erronés sur les grandes périodes du programme (= hors-sujet et note inférieure à 7) !!

L’ensemble de l’équipe tient à remercier les Presses de Sciences Po pour nous avoir donné ce livre.

Bonne lecture !

À propos de l’auteur : René Rémond (1918-2007) est un académicien, historien et spécialiste des droits en France. Il a aussi présidé la Fondation nationale des sciences politiques de 1981 à 2007.

Chapitre 1 : il y a siècle et siècle

En préambule, l’auteur bouscule les évidences et rappelle que le découpage sécularisé du temps tient plus de notre fascination pour les chiffres « ronds » qu’à une réelle logique historique. En d’autres termes, si le XXe siècle englobe la période comprise entre les années 1901 et 2001, il paraît opportun, à l’aune de l’Histoire, de considérer qu’il a commencé en 1914 et s’est achevé en 1989.

Il est assez aisé de comprendre l’hypothèse de « siècle court » qu’avance René Rémond : 1914 marque une rupture temporelle significative en raison de l’embrasement de l’Europe et des conséquences que cela va avoir sur la colonisation, la mise en place de la SDN (Société des Nations) ou encore sur la place des États-Unis dans le monde. 1989 est en revanche une date plus contestable : doit-on considérer que la chute du Mur est emblématique de la fin du monde bipolaire tel qu’on le connaissait depuis 1947, ou devons-nous arrêter le XXe siècle plus tard, en 1990 (la réunification officielle des deux Allemagne), voire en 1991 (chute de l’URSS) ? La question est laissée en suspens.

Plus qu’une date, il faut à ses yeux achever ce siècle restreint sur une idée séduisante, incarnée par Francis Fukuyama et largement partagée à l’aube de la décennie 1990 : après un siècle de feu, après l’émergence des mouvements totalitaires, les contemporains de l’époque pensent être les témoins de « la fin de l’Histoire ». Celle-ci se traduit par la victoire de la démocratie libérale et du capitalisme, qui gagnent progressivement toutes les parties du monde.

Par la suite, le livre aborde, chapitre par chapitre, les aspects qui font toute la spécificité du XXe siècle.

Chapitre 2 : un siècle de changement

Le chapitre 2 se focalise sur le concept  « d’accélération de l’Histoire » : il traduit la profondeur des changements qu’a connu le monde dans un laps de temps relativement court. D’abord, les prédictions malthusiennes se sont effectivement vérifiées (du moins pour ce qui est de ses hypothèses démographiques) : la population mondiale a quadruplé en cent ans. L’augmentation, qui avait jusque-là été assez régulière (si on excepte certains ralentissements conjoncturels comme les périodes de guerre ou les épidémies), est devenue exponentielle à la fin du XIXe siècle.

Cette croissance spectaculaire a pour corollaire les incommensurables progrès de la science (et de la médecine notamment), qui a plus avancé en 50 ans que lors des deux derniers millénaires.

Par ailleurs, la vie des Hommes à l’aube du XXe siècle ne ressemble guère à la nôtre. Le phénomène de mondialisation a bouleversé notre rapport à l’espace. L’auteur rappelle que la mondialisation a connu ses premiers soubresauts il y a plus de 400 ans, avec la découverte des Amériques par les Européens. Il en résulte un rapprochement continu de l’ensemble des continents, qui n’ont depuis cette date jamais cessé de commercer, d’échanger et de confronter leurs modes de pensée, leurs religions ou leurs langues. Le phénomène a pris néanmoins une tout autre ampleur à la fin du siècle, à l’initiative notamment, d’une part des Américains qui ont impulsé la trame du commerce mondial depuis 1945 (accords de Bretton Woods puis traités de libre-échange : les « rounds » successifs), d’autre part du « vieux continent » qui a harmonisé politiquement, culturellement et économiquement son espace à travers la construction européenne. Outre cette amplification du phénomène, la réduction des distances (physique avec le développement des transports et immatérielle avec internet) a bouleversé le fonctionnement intrinsèque de la mondialisation contemporaine. René Rémond cite notamment la possibilité pour les multinationales de faire fi des distances et des cadres nationaux, l’entrée dans l’ère de l’instantanéité des flux ou encore l’incursion de mœurs étrangères dans les sociétés modernes.

Conséquence directe de cette apparition d’un espace mondial, les États ne sont plus les seuls référents à l’intérieur de leur propre territoire. Leur souveraineté est limitée, contestée économiquement par les firmes transnationales (FTN), financièrement par les paradis fiscaux, juridiquement par internet qui échappe à leur contrôle… Certes, peu d’États ont traversé les siècles sans subir d’influences extérieures (le Japon s’est totalement fermé entre 1641 et 1853 et constitue un bon contre-exemple) mais la pauvreté, les barrières linguistiques et la xénophobie généralisée limitaient grandement cette influence. La mondialisation, en estompant ces clivages, fait entrer l’humanité dans l’ère de la gouvernance mondiale. La Société des Nations (SDN) puis l’Organisation des Nations Unies (ONU) sont des témoins de ce dépassement des cadres nationaux.

Il est néanmoins nécessaire de nuancer le propos, car des lignes de fracture persistent et empêchent d’assimiler la mondialisation à une universalisation des modes de vie humains. Ces changements aussi soudains que profonds dans la vie des peuples attachés à leurs valeurs et à leurs traditions provoquent des réflexes identitaires. Sans tomber dans la vision pessimiste de Samuel Huntington (qui prédit le fameux « clash of civilizations »), René Rémond pense que cette opposition préfigure les  tensions géopolitiques de demain.

Chapitres 3 et 4 : une image globalement négative

Les chapitres 3 et 4 rappellent que la connotation de ce siècle reste très péjorative, parce que marqué par les guerres. C’est le « siècle de Fer », dans lequel le conflit est un élément structurant (de la poudrière balkanique à la néo-guerre contre le terrorisme). Certes, les nations ont toujours eu des rapports belliqueux. Le XXe siècle se démarque néanmoins à bien des égards : il a vu s’affronter la quasi-totalité du globe à l’occasion des deux grandes guerres mondiales. Surtout, ces guerres furent le théâtre d’une barbarie inédite : avec elles naît la notion de guerre totale, dans laquelle les civils font partie intégrante du conflit, au même titre que les hommes en armes. Ces guerres d’un nouveau genre ont pour corollaire la rapidité des progrès scientifiques, notamment dans le domaine de l’armement : c’est cette volonté résolue d’éradiquer la nation ennemie qui provoque l’apparition sur les champs de bataille des avions militaires, des tanks, des gaz meurtriers… et finalement de l’arme atomique. Par ailleurs, les principes chrétiens qui régissaient autrefois le processus même de la guerre sont balayés au profit d’une lutte sans merci et inhumaine.

D’un point de vue idéologique, la nationalisme virulent des années 1930 aboutit à l’opposition frontale entre les régimes totalitaristes (Italie, Allemagne, URSS) et les Alliés. Là encore, les régimes despotiques sont légion au cours de l’Histoire et ne sont guère l’apanage du XXe siècle. Les régimes totalitaires se distinguent néanmoins des dictatures antérieures : d’une part, les moyens techniques dont ils disposent leur permettent de s’immiscer dans la vie des Hommes, avec l’objectif final de faire des citoyens des fantoches au service du parti unique. D’autre part, et c’est sans doute l’aspect le plus dangereux, c’est la première fois que l’exercice du pouvoir est couplé à une idéologie. La figure totalitaire prétend imposer une pensée unique et le modèle sociétal qui en découle, auxquels chaque sujet doit adhérer. Le fonctionnement d’une telle société justifie la falsification de la vérité ainsi que la manipulation de la justice et des principes moraux au gré des intérêts du pouvoir. C’est ainsi que les procès de Moscou (1936-1939) intentés par Staline contre ses anciens compagnons communistes resteront dans la postérité. Le simulacre de la justice, la négation de la morale et de la dignité humaine au service de l’exécutif ; voilà peut-être l’incarnation du monstre politique qu’a enfanté le XXe siècle.

Ce siècle serait-il synonyme de régression pour le genre humain ? Fort heureusement, non. En réalité, les générations qui se sont succédé posent un regard bien différent sur le siècle à l’heure du bilan. Il est frappant de voir à quel point les périodes heureuses du XXe siècle embrassent les « phases A » du modèle cyclique de l’économie théorisé par Kondratiev (les phases ascendantes de l’économie capitaliste), à condition de prolonger son raisonnement puisque le malheureux est mort fusillé au goulag pendant les grandes purges en 1938 (alors même qu’il était un communiste de la première heure). La génération de l’entre-deux-guerres (expression fortement anachronique puisque définie a posteriori) est à l’inverse celle des espoirs déçus. La liesse des années folles s’estompe à l’heure de la grande dépression des années 1930, dont le lien avec la montée de l’extrémisme et in fine avec la Seconde Guerre mondiale n’est plus à démontrer.

Chapitre 5 : une autre vision du siècle

Vous l’aurez compris, l’après-1945 redore le blason du siècle qui précède le nôtre, et ce à bien des égards. Nous l’avons vu ci-dessus, les fluctuations de l’économie sont les principaux régulateurs de la vie collective. La seconde moitié du XXe siècle s’ouvre justement sur « des années glorieuses » à l’aune de l’économie. C’est justement à cet indicateur que se réfère Jean Fourastié lorsqu’il parle pour la première fois des « Trente Glorieuses », expression unanimement reprise depuis. Ce découpage du temps est néanmoins remis en cause par René Rémond : les années 1970 voient l’essoufflement du modèle fordo-keynésien, et il est pertinent de choisir 1973 (premier choc pétrolier suite à la guerre du Kippour) pour clore cette période faste. 1943 ne peut pas être considérée comme une année porteuse d’espoirs (c’est sans doute l’année la plus sombre de la guerre). Par ailleurs, la période post-guerre dans laquelle une Europe exsangue se relève de six années de guerres atroces (huit pour l’Asie !) ne s’apparente pas à ses yeux à des années glorieuses : cette demi-décennie de reconstruction est caractérisée par les pénuries et la désolation. Les années glorieuses auraient donc commencé au milieu de la décennie 1950, lorsque les pays vaincus se restructuraient et que les monnaies nationales redevenaient viables. Qu’elles soient vingt ou trente, ces années sont d’abord celles où les hommes se persuadent (à raison) que leur vie sera plus agréable que celles de leurs aînés. Comme le dit l’économiste Daniel Cohen, cette certitude est le vecteur principal du bonheur à l’échelle d’une génération.

Plus concrètement, c’est le temps des miracles pour les économies allemande, italienne ou française : 6 à 7 % de croissance par an avec une régularité infaillible. Les salaires augmentent plus vite que les prix et le plein emploi devient une réalité. Le monde occidental découvre les joies de la consommation de masse, et les équipements électroménagers bouleversent la vie des femmes au foyer. Cette machine économique bien huilée s’inspire essentiellement de la doctrine keynésienne, enseignée dans toutes les universités et élevée au rang de panacée économique par les pays capitalistes. C’est ainsi que les États, en jouant sur tel ou tel levier (la fiscalité, les taux d’intérêt, le taux de change de la monnaie…) s’assurent de la pérennité du modèle. Ces ajustements (le fameux « policy-mix ») se font au gré des conjectures économiques. Certes, les inégalités intra-nationales persistent, mais la volonté des États de pallier les injustices sociales est patente (de l’instauration d’un salaire minimum en France en 1950 aux food stamps de Kennedy en 1961). La prise de conscience est même mondiale, et l’Occident s’insurge des conditions de vie du « Tiers Monde » (Alfred Sauvy). Avec la notion de valeurs morales universelles insufflée par l’ONU (charte signée le 26 juin 1945) émerge au sein des pays avancés le dessein d’aider les pays sous-développés à rattraper leur niveau de vie. Les institutions onusiennes (FAO, OMS, UNESCO…) coordonnent ce combat contre la faim, la maladie, l’ignorance. D’aucuns voient alors dans le XXe siècle celui qui viendra à bout des maux qui accablent l’humanité depuis l’origine des temps.
Cette solidarité inédite entre les peuples s’affirme à mesure que la perspective d’une troisième guerre mondiale s’éloigne : la guerre froide entre dans l’ère de la coexistence pacifique ; la crise de Cuba en 1962 sera le dernier véritable soubresaut de l’affrontement est-ouest.

Chapitre 6 : le temps des désillusions

La perception de ce siècle est décidément très différente selon les générations. Aux Trente Glorieuses succèdent « les Vingt Piteuses ». Certes, la croissance est toujours au rendez-vous en Occident, mais elle est deux fois plus faible qu’auparavant (environ 2,5 % par an). Surtout, les périodes de crise que l’on croyaient surannées resurgissent avec force. Le chômage devient également structurel, notamment en Europe où plus de 10 % de la population active française est concernée. L’Afrique noire est mal partie, disait René Dumond dans un livre en 1962… et il pourrait réitérer son propos aujourd’hui ! La guerre a refait surface, même dans les marges de l’UE (ex-Yougoslavie dans les années 1990). Le Moyen-Orient est une région toujours aussi belligène. De manière générale, la haine raciale, les antagonismes religieux et les clivages historiques perdurent.

Qu’en est-il des progrès médicaux, du souci d’éducation ? Si de nombreuses maladies reculent, on observe la recrudescence de certaines autres comme la tuberculose. La découverte du sida a terrifié les Hommes, en tant que cette maladie affecte directement la source même de la vie. L’analphabétisme a progressé car les moyens supplémentaires mis en œuvre pour l’éradiquer ne suffisent pas en raison de l’accroissement démographique spectaculaire que connaissent les pays du sud (les États africains notamment).

Chapitres 7 et 8 : les progrès colossaux de l’humanité

Les chapitres qui suivent le pessimisme morose que nous venons d’évoquer offrent un regain d’optimisme salvateur qui ne quittera plus le livre jusqu’à la dernière page (ou presque). Résumons rapidement le chapitre 7 qui, bien que fort instructif, s’éloigne de notre objet d’étude (l’économie et la géopolitique). Celui-ci vante les progrès spectaculaires de l’Homme : la médecine, les arts, la science… L’Homme a entre autres, pendant ce laps de temps très court, conquis le très grand comme le minuscule. Il a exploré l’espace, posé le pied sur la lune (la course à l’espace est fortement influencée par le contexte de guerre froide ; comme quoi Science et Histoire ne sont jamais totalement étrangères l’une à l’autre…), il connaît le fonctionnement de son génome grâce aux instruments perfectionnés dont il dispose aujourd’hui. L’intelligence artificielle a bouleversé la vie des contemporains en permettant le stockage et la transmission (surtout depuis l’ère d’internet) de milliers d’informations. Les progrès de l’Homme sont essentiellement concentrés vers la fin de ce siècle, ce qui renvoie à la fameuse idée de l’accélération de l’Histoire. Autre avancée notable, la domestication de l’énergie nucléaire, qui selon l’auteur « se prête indifféremment à l’exécution des desseins les plus exécrables et aux projets les plus généreux ». Cette technologie est donc autant une formidable source de production d’électricité dans le domaine civil (même si celle-ci est de plus en plus controversée depuis l’accident de Fukushima en 2011) qu’un outil meurtrier terrifiant (on pense évidemment aux 6 et 9 août 1945).

Sans doute faut-il voir dans la création de l’ONU une prise de conscience unanime quant à la dangerosité de l’humanité envers elle-même. Les armes à la disposition des États sont désormais trop perfectionnées pour autoriser deux nations à se livrer corps et âme à une lutte armée. Une des réussites majeures de la gouvernance mondiale dans la seconde moitié du XXe siècle est justement le confinement de l’arme atomique comme menace dissuasive. Signé en 1968, le TNP (Traité de non-prolifération) est d’ailleurs bien respecté à quelques exceptions près (Pakistan, Corée du Nord…).

Qu’en est-il de la vie des Hommes ? Là encore, elle est sujette à de formidables progrès. D’abord, elle est bien plus longue qu’auparavant : en 1899, l’espérance de vie en France était de 46 ans contre 79 ans en 1999 (plus de 82 ans aujourd’hui). D’autres données sont révélatrices de l’amélioration des conditions de vie des Hommes, notamment au nord (progrès de la médecine et en particulier découverte des antibiotiques, réduction de la pénibilité du travail, meilleure hygiène, alimentation plus saine…) comme la quasi-disparition de la mortalité des femmes en couches ou de la mortalité infantile. Il est préoccupant de noter que l’espérance de vie baissait en revanche en Russie (c’est vrai sous Eltsine, ce n’est plus le cas depuis l’accession au pouvoir de Poutine). Cet indicateur révèle les disparités persistantes entre les parties du monde. Certes, la mondialisation est à l’égard des conditions de vie un processus homogénéisant, en tant qu’elle « nivelle l’aspiration des hommes » (Daniel Cohen). Néanmoins, la convergence se fait lentement, accélère et ralentit au gré des conjonctures politico-économiques (l’espérance de vie au Niger n’excède pas 58 ans).

En dépit des principes libéraux qui régissent en grande partie le monde contemporain, les conditions de travail se sont globalement améliorées et toutes les nations consentent à adopter des lois pour les encadrer. Celles-ci passent par une limitation journalière de la durée du travail (qui aboutit à la société de loisir qu’on connaît aujourd’hui en Occident) et surtout par l’abolissement du travail des enfants. Ce principe est devenu universel, au point que l’ONU se substitue aux États qui rechignent à expliciter cette interdiction dans un cadre législatif clair. Celui qui prétend que ces pratiques sont caduques est un utopiste. Néanmoins, elles sont désormais unanimement condamnées et cela constitue un progrès notoire.

Dernier aspect sociétal qui évolue dans le bon sens : l’amélioration de la condition féminine. Si les femmes restent opprimées par la tradition dans de nombreux pays (en Arabie saoudite par exemple, où elles ne pouvaient pas conduire librement), le XXe siècle aura été jalonné de progrès décisifs en leur faveur. Elles sont désormais électrices et éligibles dans la majorité des États, occupent des postes à responsabilités (citons pêle-mêle Angela Merkel, Christine Lagarde ou encore Janet Yellen, qui a présidé la FED…). La démocratisation de la contraception puis de l’avortement a également bouleversé en profondeur le statut de la femme dans la société.

Chapitre 9 : le retour de la démocratie (et l’apologie de la démocratie libérale)

Si le XXe siècle restera marqué par le sceau du totalitarisme, il se rachète une conduite idéologique dans les dernières décennies avec la victoire presque généralisée de la démocratie. Le XXe siècle ne peut pas se targuer d’avoir inventé cette forme de gouvernance (qu’on doit évidemment à la Grèce antique) ni  les principes libéraux sur lesquels elle s’appuie désormais (théorisés au XIXe siècle). Néanmoins, il est celui qui aura fait triompher ces doctrines.

Certes, tous les États ne sont pas démocratiques, loin s’en faut. Mais la quasi-totalité des dirigeants de la planète se déclarent légitimement auprès de leurs concitoyens ; là est toute la différence.
Les régimes démocratiques ont d’abord maté militairement le totalitarisme en Europe (et au Japon même si ce n’était pas un régime totalitaire comme Hannah Arendt l’entend), où le nazisme et le fascisme prétendaient ouvrir une nouvelle ère dans l’histoire des Hommes. Par la suite, de nombreux régimes autoritaires sont tombés, et ce par vagues successives : d’abord en Europe méditerranéenne (Grèce en 1973, Portugal en 1974 et Espagne en 1975 avec la mort de Franco) puis en Amérique latine dans les années 1980. Enfin, le début des années 1990 a vu l’effondrement du pouvoir communiste en Europe de l’est et l’émancipation des démocraties populaires qui se sont empressées de mettre en place de élections libres. Saluons par ailleurs les progrès de l’Afrique qui a largement perfectionné l’exercice de la démocratie dans les années 1980-1990, même si les disparités entre les États à cet égard demeurent incommensurables.

Fait inédit dans l’histoire des changements de régimes, les transitions démocratiques se sont presque toujours accomplies sans violence. René Rémond s’attarde sur le cas le plus emblématique : la déliquescence accélérée de l’Empire soviétique. Il avance différents arguments, endogènes d’abord (les lacunes structurelles de l’économie communiste, caractérisée par une productivité extrêmement faible) puis exogènes (l’enlisement en Afghanistan a été très coûteux, et l’incapacité à soutenir la « guerre des étoiles » lancée par Reagan a décrédibilisé l’URSS dans cette opposition distendue). Le rôle de Gorbatchev fut par ailleurs prépondérant. Très impopulaire dans son pays à la fin du siècle, où on lui impute la responsabilité des années difficiles qu’a traversé la Russie sous Eltsine, il est en revanche salué en Occident pour le courage dont il a fait preuve. Ses réformes (les fameuses « glasnost » et « perestroïka ») ont assoupli le régime et à défaut de l’avoir maintenu, elles ont permis une transition sans effusion de sang. Le XXe siècle restera aussi dans la postérité parce qu’il a vu pour la première fois de grandes figures politiques changer le cours de l’Histoire à travers des décisions fortes.

Chapitre 10 : une ère nouvelle des rapports entre les peuples ?

A) La construction européenne a pacifié le continent

Si René Rémond se montre élogieux à l’égard de la contagion démocratique qui gagne le monde à la fin du siècle, il devient dithyrambique lorsqu’il aborde le processus de la construction européenne. D’abord parce que les nations qui en sont à l’initiative ont su mettre de côté les antagonismes passés et ce malgré l’horreur de la Seconde Guerre mondiale qui venait de s’achever. La main tendue des Français aux Allemands se concrétise le 9 mai 1950 avec le discours de l’horloge du ministre des affaires étrangères de l’époque, Robert Schuman. Les ennemis d’hier décident de partager la gestion de deux ressources primordiales pour l’économie comme pour la conduite de la guerre. René Rémond pense cette initiative comme un tournant dans l’histoire des rapports entre les peuples, et un gage de confiance inédit dans l’Histoire. Concrètement, pourtant, nombre d’historiens s’accordent à dire que Paris avait comme idée tacite d’annihiler la menace latente que représentait l’Allemagne aux yeux des Européens. Qu’importe ! Cette coopération marque le début des « États-Unis d’Europe » comme l’avaient rêvé en leur temps Victor Hugo ou Aristide Briand, formidable vecteur de paix qui est par la suite devenu la ZIR (Zone d’intégration régionale) la plus aboutie (et de loin !) du monde. Il faut en effet souligner que la proposition de Schuman était ouverte, c’est bien elle qui a amorcé la CEE.

À la fin du siècle, les acquis de la communauté ont tellement bouleversé la vie des Européens que ceux-ci peinent à mesurer le chemin parcouru. 1957 marque un premier tournant dans l’aventure européenne. Les six États membres originels (France, Italie, Allemagne, Luxembourg, Belgique et Pays-Bas) ont tenté d’élargir le champ de compétences de l’institution à l’énergie nucléaire, une tentative qui restera vaine, peut-être parce que ce secteur est plus sensible que les autres. En revanche, l’instauration du marché commun va dessiner les contours d’une zone de libre-échange qui va préparer les entreprises européennes à la féroce concurrence que leur impose la mondialisation contemporaine.

Parallèlement à cela, les dirigeants européens maintiennent l’ambiguïté sur le projet : l’Europe a-t-elle vocation à devenir un espace supranational harmonisé ou simplement un « grand marché » ? Europe des États ou Europe fédérale ? Quoi qu’il en soit, les avancées sont multiples et hétéroclites : l’Europe s’accorde sur une politique agricole commune (PAC) qui va représenter l’essentiel de son budget jusqu’à une époque récente, se dote d’institutions démocratiques et même d’une monnaie unique, définit un espace de libre-circulation, harmonise ses normes… Aujourd’hui, le droit européen prévaut sur les cadres législatifs nationaux, ce qui représente pour les États un abandon de souveraineté unique au monde. Les exemples ne manquent pas. Les élargissements successifs jalonnent ce processus qui séduit grâce aux performances économiques des États membres. Dans les années 1990, toutes les ex-démocraties populaires souhaitent adhérer afin d’assurer la pérennité de leur économie récemment convertie au capitalisme.

René Rémond plaide ensuite la cause de cette Europe unifiée face à ses détracteurs. D’abord, la perte de souveraineté des États est minime, puisque la commission de Bruxelles joue plus un rôle administratif que politique, et que l’UE n’a pas de moyens coercitifs réels pour contraindre les États membres.

Enfin, il finit d’encenser l’UE en rappelant que ce projet est enclin à pacifier les marges de l’Europe : cette thèse qu’il partage entre autres avec l’essayiste britannique Mark Leonard (Why Europe will run the 21st century? (2005)) énonce que l’attraction qu’exerce l’institution auprès des pays mitoyens les pousse à adopter les valeurs européennes (démocratie, droits de l’Homme…) afin d’y adhérer un jour.

René Rémond conclut ce chapitre en évoquant les autres aires régionales qui émergent au crépuscule du XXe siècle (Mercosur, CEDEAO,  Alena, Asean…). Il y voit un signe de la réussite de l’Europe, jalousée par les autres États de la planète qui veulent désormais s’unir selon les grandes sphères économiques mondiales afin d’accroître leur poids au sein de la mondialisation. Précisons néanmoins qu’aucune autre ZIR n’a vocation à promouvoir autre chose que l’intégration économique, à de rares exceptions près (le Mercosur serait censé valoriser l’identité culturelle et sociale sud-américaine, mais cela reste très théorique…). En cela, la construction européenne est sui generis.

B) L’ONU et le principe d’ingérence de la gouvernance mondiale

Depuis qu’il existe des rapports inter-étatiques, ceux-ci se sont toujours basés sur le principe de non-ingérence et donc de l’omnipotence des États quant à leurs affaires intérieures (c’est le fameux traité de Westphalie en 1648 qui pose les bases de ces principes). La signature de la charte des Nations Unies à San Francisco va battre en brèche ce postulat qu’on croyait immuable. C’est un des tournants philosophiques majeurs de ce siècle : par cette convention, les Hommes reconnaissent l’existence de principes moraux universels qui transcendent la justice particulière des États. « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au delà » disait Pascal. Voilà ce qui est en partie remis en cause par l’émergence d’une gouvernance mondiale. Cette charte connaît quelques réticences dans les premières années, notamment des pays récemment indépendants qui y voient une occasion pour les Occidentaux de pratiquer insidieusement le néocolonialisme. Progressivement, elle va faire consensus et surtout s’appliquer concrètement.

Certes, de nombreuses interventions sous bannière onusienne sont presque exclusivement à l’initiative des États-Unis. La guerre menée au Kosovo est un exemple plus approprié : la communauté internationale peut se faire juge des agissements d’un gouvernement, et intervenir si ces derniers sont contraires à certains principes élevés au rang de morale universelle. Elle s’est ainsi interposée entre la Serbie et une partie de ses ressortissants albanais en proie à une volonté de purification ethnique du gouvernement de Belgrade.

Cet engagement de l’ONU a pour corollaire la nécessité d’énoncer des sanctions à l’encontre des criminels de guerre qui ne sont pas jugés dans leur pays. C’est dans cette optique que la CPI (Cour pénale internationale) située à La Haye permet d’extrader ces individus afin qu’ils soient condamnés à la hauteur de leurs méfaits. Certes, cette justice mondialisée fait face aux limites intrinsèques de la gouvernance mondiale telle qu’on la connaît actuellement. Elle condamne volontiers les dictateurs des petits pays qui ont commis des exactions contre leur propre peuple (Pinochet au Chili, Charles Taylor au Sierra Leone…) mais reste impuissante lorsque une grande nation comme la Russie s’engage dans un combat fort inégal contre les Tchétchènes, et commet impunément de nombreuses atrocités. Néanmoins, le processus est en marche. Indéniablement, le XXe siècle a posé les fondements d’une gouvernance mondiale susceptible d’assurer la justice dans un monde globalisé et interconnecté.

C’est sur cette note optimiste que s’achève le XXsiècle, et par la même occasion cet ouvrage. Selon René Rémond, cette fin de siècle démontre la capacité des Hommes à se réapproprier le cours de l’Histoire alors même qu’il connaissait ses heures les plus sombres. Il n’y a donc pas de fatalité, d’autant que l’Histoire s’écrit avec les contemporains… Elle est imprévisible par essence.

Postface

Écrite en 2006, elle oblige René Rémond à tempérer l’enthousiasme dont il fait preuve à la fin de son livre, écrite sept ans auparavant. Premièrement, la victoire des Républicains aux États-Unis compromet l’émergence d’un ordre mondial. Washington répudie le multilatéralisme et se recentre sur ses intérêts vitaux. L’administration Bush fait selon lui montre d’une défiance ostensible à l’égard des Nations Unies. La guerre menée en Irak suite aux attentats du 11 septembre corrobore l’existence de cette nouvelle ligne de conduite états-unienne : le renversement de Saddam Hussein s’est fait au prix d’une fracture profonde au sein de la communauté internationale et d’une régression du droit. Le terrorisme s’affirme par ailleurs comme une nouvelle menace insaisissable, qui surpasse les cadres nationaux.
Dans un autre registre, la progression de la Cour pénale internationale est entravée par l’hyperpuissance américaine, qui mène un lobbying efficace auprès des États plus faibles pour qu’ils ne ratifient pas le traité de Rome. Ils tentent par ailleurs de soustraire les militaires américains à la compétence de ce tribunal, ce qui décrédibiliserait grandement l’institution.

Plus grave encore, le Traité sur la constitution européenne fut rejeté par un pays fondateur, la France. L’académicien français déplore un coup d’arrêt majeur à la progression du processus européen, et la montée actuelle de l’euroscepticisme semble confirmer son impression, plus d’une décennie après. Quant aux nouvelles démocraties, la tendance semble être au désenchantement pour des peuples qui sont souvent déçus du travail des dirigeants qu’ils ont élus et des difficultés liées à l’exercice de ce type de régime (lutte contre la corruption et le népotisme notamment).

Et pourtant, René Rémond persiste et signe. Nous pouvons analyser ces faits d’un tout autre point de vue : l’enlisement de la guerre en Irak démontre l’inefficacité d’un conflit mené arbitrairement par les États-Unis. La justice internationale progresse et dépasse ses compétences originelles : c’est ainsi que les auteurs présumés de l’assassinat du premier ministre libanais Rafic Hariri ont été jugés sous l’égide des Nations Unies. La démocratie poursuit son formidable élan : la révolution orange de 2004 en Ukraine prouve que les peuples ne sauraient se contenter d’un pouvoir corrompu ou autoritaire. La véritable ombre au tableau est a posteriori le non français à la Constitution européenne, qui signe aux yeux de rené Rémond la fin du rôle moteur de notre nation au sein de l’UE. Même si l’histoire lui donne aujourd’hui raison au vu de la crise générale que traverse l’Europe (dénonciation du déficit démocratique de l’institution, clivages patents entre les États membres notamment sur la question migratoire, morosité économique, tensions aux abords des frontières extérieures…), l’auteur insiste sur la capacité de l’institution européenne à surpasser ces difficultés (crise de la chaise vide, remise en cause du système de distribution incarné par Margaret Thatcher…). La contingence du fil de l’Histoire ne justifie décidément pas le fatalisme, et il serait naïf d’anticiper la décrépitude de l’Europe.