Jean fait partie de ces anciens préparationnaires aux parcours peu communs. Alors qu’il fréquentait une PCSI, il stoppe sa prépa pour se réorienter en médecine avant de redevenir taupin… et intégrer l’Ecole Polytechnique. Découvre son parcours grâce à cet entretien que nous avons réalisé avec lui et pour lequel nous le remercions !

La prépa de Jean

Pourquoi as-tu choisi de faire une prépa ingénieurs ? Pourquoi la PCSI ?

Bonjour et merci de ton intérêt ! Tout d’abord bravo pour l’initiative de faire passer l’étape des écoles d’ingénieurs à Major Prépa.

J’ai toujours apprécié les sciences lorsque j’étais à l’école. En fait depuis le primaire les mathématiques m’amusaient, et la physique-chimie me passionnait, c’est donc naturellement que je me suis tourné vers la filière scientifique. Une fois en terminale, est venue la question de l’orientation.

A l’époque, je travaillais extrêmement peu, mais mes profs de sciences m’ont expliqué qu’avec un peu de travail, j’avais un vrai potentiel. J’ai également été poussé par mon entourage qui tenait à peu de choses près le même discours. Je crois qu’à force, j’ai fini par les écouter et à m’inscrire en prépa.

Concernant le choix de la filière, ça m’est apparu comme une évidence à l’époque de choisir là où je pouvais m’amuser le plus. J’avais l’intime conviction que la prépa était suffisamment dure comme ça pour ne pas en plus s’imposer des matières par choix « stratégique ». À l’époque il y avait pas mal de rumeurs sur la stratégie à choisir pour intégrer les meilleures écoles. Je crois qu’au final, le meilleur moyen ça reste d’aimer ce qu’on apprend, on est bien meilleur comme ça.

Tu as choisi de la faire au lycée Marcelin-Berthelot, pourquoi ?

J’ai fait mon lycée dans un établissement de Seine & Marne et j’avais un dossier moyen, vu que je ne fournissais aucun travail. Du coup, je n’ai même pas candidaté aux « grandes parisiennes » comme on dit.

J’ai demandé des prépas s’étalant (en termes de classement L’Etudiant) de Janson de Sailly (16e à l’époque) à Jacques Amyot (54e si mes souvenirs sont bons). Marcelin Berthelot était mon troisième choix, et ils m’ont accepté. J’ai compris bien plus tard que c’était un établissement qui donnait pas mal leur chance à des élèves qui comme moi justement, n’ont pas du tout révélé leur potentiel au lycée pour diverses raisons.

Tu te retrouves en PC* à Louis-le-Grand en 2014-2015, comment as-tu pu changer d’établissement, et te retrouver en classe étoilée dans l’une des meilleures prépas de France ?

Ça c’est une histoire à la fois assez complexe et très simple. J’ai eu un gros problème familial quand j’étais en Sup, qui m’a poussée à arrêter la prépa en cours d’année et à partir en fac de médecine l’année suivante. Après un semestre en médecine, j’ai réalisé que j’étais venu là pour les mauvaises raisons et que je ne voulais pas vraiment être médecin, du coup j’ai sonné à la porte de Marcelin Berthelot pour leur demander si je pouvais finir mon année. Comme c’est un peu compliqué voilà un schéma :

Du coup, quand je suis revenu en Sup en janvier 2014, je me suis remis dedans. Sauf que là ma motivation avait complètement changé, j’étais devenu bien meilleur, beaucoup plus investi. Du coup j’ai commencé avec le soutien de mon prof de physique de l’époque à préparer le programme de Spé. J’ai pour le coup eu d’excellents résultats cette seconde année, ce qui m’a valu un dossier atypique mais très bon – excepté en français et anglais puisque ça ne m’amusait pas, je ne fournissais aucun travail.

Mes profs de l’époque ont commencé à m’expliquer qu’au fond, j’avais peut-être le niveau de préparer les meilleurs concours. À l’époque je savais à peine ce qu’était l’X, je ne pensais pas du tout être concerné par un concours de ce niveau.

Et puis à force de penser à ça, j’ai émis l’idée de changer de prépa, pour préparer au mieux l’X et consorts. Étonnamment, mes profs ont été extrêmement compréhensifs. Si on peut penser qu’ils auraient tout fait pour garder un « bon élément » au sein de leur prépa, c’est clairement leur côté humain qui a pris le dessus ! Du coup on a monté ensemble un dossier. En fait, c’est très simple techniquement de changer de prépa, il suffit de remplir un formulaire, de fournir deux trois éléments de candidature (relevés, lettre de motivation et de recommandation) et il ne reste qu’à attendre !

J’ai rencontré dans la foulée le professeur de physique de la PC2 (l’une des deux classes étoilées) de LLG.

Quelques semaines (mois ?) plus tard, le secrétariat de Louis le Grand m’informait qu’il m’acceptait en PC2. Autant te dire que j’étais aux anges. Très honnêtement, je serais éternellement reconnaissant envers mes profs de Sup de m’avoir poussé d’une part, mais également accompagné dans mes démarches.

Quelles sont les grandes différences que tu as remarquées entre Marcelin Berthelot, une très bonne prépa, et Louis-le-Grand, une prépa d’excellence ?

Avant d’intégrer LLG, j’avais une réponse toute faite à cette question, j’étais convaincu qu’il y régnait une « ambiance concours » et que les profs écrasaient les élèves.

En fait c’est complètement faux.

J’ai rencontré des gens avec qui on a travaillé ensemble, jamais je n’ai constaté de compétition malsaine. Beaucoup de compétition certes, mais plutôt positive.

Concernant les différences, déjà il y en a une fondamentale : tout le monde prépare l’ENS Ulm, l’X, Centrale Paris et les Mines de Paris. À partir de là, la suite tombe sous le sens : le hors-programme est monnaie courante, les khôlles sont plus difficiles et les annales sont systématiquement des sujets X-ENS.

En revanche, c’est plus difficile à mon avis pour des élèves qui sont en bas de tableau. On peut vite être encore plus perdu qu’ailleurs. Certains élèves ont un niveau tel que l’écart est parfois incommensurable. Ça m’est arrivé en maths, je n’ai quasiment jamais osé aller au tableau tellement j’étais loin du niveau des meilleurs de ma classe.

Le passage des concours PC

En 2015, tu réussis à intégrer l’École Polytechnique, tu peux nous raconter le déroulement de tes concours écrits et oraux ?

Avant de raconter le déroulement de mes écrits, il faut que je précise un point sur la fin de ma spé. En fait, en janvier 2015, j’ai commencé à faire de sévères insomnies qui ont commencé à m’empêcher d’aller en cours. Du coup, je suis rentré chez moi (en Seine et Marne) pour travailler, à domicile donc. Heureusement, j’avais d’assez bons contacts avec mes camarades et mes profs pour qu’ils m’envoient les cours, et j’ai pu tout faire depuis chez moi.

J’ai fait énormément d’annales de l’X et de Centrale, vu que je visais spécifiquement ces deux écoles là.

Dans l’ensemble, mes écrits se sont très bien passés, honnêtement j’ai eu l’impression que c’était une partie où il n’y a pas beaucoup de surprises. Il y a tellement de questions dans un sujet qu’au final, quand on est bien préparé, on peut faire beaucoup de choses. Bien sûr, il faut parfois faire preuve d’intuition, mais au final, même ça, ça se travaille en prépa.

Est ensuite venu le temps de préparer les oraux. Là, rebelote, je suis reparti chez moi pour faire le plus d’exercices type oral possible. Quand je suis arrivé à mes oraux, j’avais l’impression de ne plus rien savoir faire.

Concernant l’X, je me souviens surtout de deux oraux :

  • En chimie : vu que je n’étais pas là en fin d’année scolaire, j’avais fait l’impasse sur deux petits thèmes, qui tombent assez rarement. J’entre dans la salle, l’examinatrice me donne mon sujet avec deux exercices : les deux thèmes que je ne connaissais pas. Même dans mes pires cauchemars ça n’aurait pas pu arriver. Elle m’a expliqué les trois quarts des exercices. A un moment j’ai eu le malheur de répondre « ah oui je comprends », elle m’a dit avant que je parte « ça aurait été mieux de comprendre avant vos oraux, tant pis pour vous ». J’ai brillamment pu accrocher un 7/20.
  • En maths : c’était ma bête noire, j’avais très peur de certains sujets où j’avais une rigueur parfois approximative, et en maths ça ne pardonne pas. J’entre dans la salle, l’examinateur me tend un sujet, directement je me suis dit : « ça va être folklo ». Ça n’a pas manqué. Première question, je donne un résultat après avoir énoncé un théorème et il me dit : « il manque quelque chose ». J’hésite et je me dis qu’il faut que j’avance, du coup je lui demande si je peux passer à la suite tant qu’à faire. Il a refusé. J’ai passé une heure d’oral à faire à haute voix les questions suivantes, pour essayer de lui montrer que j’avais compris mais que je ne savais juste pas faire la première question, il n’a jamais voulu me laisser écrire au tableau la moindre ligne. C’était effectivement folko. J’ai décroché un 10/20 après avoir « officiellement » fait aucune question. Pas peu fier.

Au final mes autres oraux se sont très bien passés. Notamment en physique j’étais très bon, ce qui m’a permis de compenser ces deux résultats très décevants.

Son (très riche) parcours à l’Ecole Polytechnique puis à HEC

Au cours de tes premiers mois l’X, tu as choisi d’intégrer les Apprentis d’Auteuil au lieu et place d’un engagement militaire, peux-tu nous en dire plus ?

À l’X on a le droit de choisir si on part en stage militaire ou en stage civil. À l’époque, et je précise parce que ça a changé, autant la chose militaire que le sport ne me touchait pas particulièrement. En revanche, j’avais l’intime conviction que j’avais besoin de vivre une expérience hors de ma zone de confort. Les Apprentis d’Auteuil c’était ça. C’est là-bas que j’ai appris à me dépasser, à voir des enfants (qui pour la plupart sont presque adultes maintenant) qui n’avaient pas eu de chance. Certains étaient nés au mauvais endroit, d’autres avaient rencontré les mauvaises personnes. D’autres encore n’avaient pas eu les bons profs.

Je ne vais pas faire étalage de tout ce qui s’est passé aux Apprentis d’Auteuil mais c’était vraiment difficile, bien plus que ma prépa. J’ai compris là-bas qu’on n’avait pas tous eu la même chance, mais qu’on était tous capables d’être utiles et de d’aider. Honnêtement c’est une expérience hors-norme, que je recommande à tous.

A quoi ressemblait ton quotidien à Palaiseau ?

C’est très difficile comme question. Je ne trahirais pas de secret en disant que la vie en école est bien plus douce qu’en prépa. L’X ne fait pas exception. On vit tous sur le campus, et on vit tous à 100 à l’heure. Pour ma part, ma vie était beaucoup plus rythmée par ma vie associative que par ma vie académique, mais c’était un choix personnel. En fait, tout est possible à l’X. J’ai parmi mes meilleurs potes des chercheurs en optique quantique non-linéaire, des ingénieurs spécialisés en énergies renouvelables ou encore des consultants en géopolitique. Et on s’est pour la plupart rencontré au bar de l’X : le BôBar.

Je crois que l’X fonctionne sur trois piliers : l’armée et le sport, l’excellence académique et la vie associative. Chacun choisit ce qu’il veut là-dedans, c’est ça qui est beau et qui fait la diversité des promotions.

Quelles associations as-tu intégré et quelles y étaient tes responsabilités ? (Si ce n’est pas intéressant, ça peut sauter)

J’ai justement intégré le BôBar. Ouvert tous les midis et soirs de la semaine, j’en ai été le trésorier pendant un an. Alors bien sûr, j’ai appris quelques petites choses en gérant un chiffre d’affaires d’environ 300 000€, mais c’est surtout le contact humain et le goût du don de soi. Tenir le bar, n’en déplaise à certains, c’est avant tout des liens humains avec des centaines d’élèves et c’est sans doute l’expérience à l’X qui m’a le plus appris.

Tu as eu un premier stage au sein d’ORTEC à Aix-en-Provence, puis en agence de community management à Toulouse (Youneat). Pourquoi as-tu fait ces choix d’expérience professionnelle ? Pourquoi s’éloigner de Paris ?

Pour ORTEC, c’est venu d’une opportunité qu’on m’a proposé. Je cherchais en industrie pour me faire une idée, j’avais envie de passer l’été au soleil, et je n’avais pas de stage. Du coup ça m’arrangeait pas mal.

Concernant Youneat c’est plus compliqué, je cherchais en Start-Up « early stage » pour ma spécialité en entrepreneuriat. En parallèle, j’étais avec un ami avec qui on voulait monter une start-up et on nous a proposé un stage ensemble à Toulouse. Nous qui voulions bosser une première fois ensemble, ça tombait aussi sous le sens. Le projet était plutôt sympa, puisqu’on a réalisé un prototype fonctionnel d’assistant community manager en ligne pour la « filiale tech » de Youneat, qu’on avait commencé à vendre à des clients de l’agence.

J’aimerais avoir une bonne raison pour dire que j’ai « fui Paris », mais c’est surtout l’attrait pour le soleil et la force du hasard.

En 2018-2019, tu as choisi de te spécialiser en entrepreneuriat en réalisant un parcours commun avec HEC, qu’y as-tu appris ?

J’ai appris beaucoup sur le travail de groupe et sur l’écosystème Start-Up. En master d’entrepreneuriat, on n’apprend pas à monter une boite.

Honnêtement c’est difficile de mettre des mots dessus, il y a beaucoup de softs skills, et connaitre le fonctionnement de l’écosystème Start-Up, ça parait dérisoire alors que c’est hyper important, notamment dans mon boulot maintenant.

Ce que je sais, c’est que je ne regrette absolument pas mon choix.

Tu as eu un projet de développement d’un réseau de distribution de vin en Mongolie avec ton frère. Comment t’es venue l’idée de ce pays ? Qu’en as-tu tiré ?

L’idée est venue de mon frère après un gros roadtrip en Mongolie. Il s’est dit que c’était un pays fraichement émergent où le vin ne s’était pas encore 100% implanté et qu’il restait une place. C’était hyper marrant comme aventure, on s’est associé avec un troisième larron et on était partis.

Après on s’est heurté à beaucoup de choses, notamment la contrainte légale qui nous a demandé énormément de fonds. On y est parti un peu à l’arrache, c’était affreusement compliqué, et il nous est arrivé énormément de galères aux frontières, avec toute sorte d’entités.

Du coup, pour vendre en Mongolie, il fallait de l’argent d’avance, et pour ça il fallut vendre en France. Sauf que vendre en France ça nous amusait assez peu, surtout que c’était un side-project.

Petit à petit, on s’est rendu compte qu’on n’avait pas envie de lutter pendant 1 an en France pour réaliser ça.

J’en ai tiré deux choses :

  • Ne pas s’associer sur un coup de tête
  • Être bien sûr d’être prêt à aller jusqu’au bout, la résilience c’est la première force de l’entrepreneur.

Désormais, tu as rejoint Vogel&Vogel, un cabinet juridique composé de 37 avocats et juristes, en tant que Directeur de l’Innovation. Pourquoi ce choix ? Quels défis t’y attendent ?

C’était hyper excitant comme proposition. C’est de l’intrapreneuriat, puisqu’il y a quasiment tout à faire, une cellule tech à constituer, mais à la fois ça reste un métier stable avec un salaire. L’entrepreneuriat ça a du bon, et cette instabilité fait que les victoires sont d’autant plus belles, mais je m’éclate beaucoup plus à faire des gros projets en interne, sans avoir à courir derrière des fonds d’investissements !

Niveau challenge, les projets sont nombreux. Le plus gros c’est sans doute celui de justice prédictive, un chantier colossal que je mène actuellement de front !

Que retiens-tu de toutes tes années à l’X et à HEC ?

Des gens. Et je ne parle pas de réseau, même si bien sûr il est réel. Non je parle des rencontres que j’ai fait durant mes études parce que pour moi, c’est ça l’apprentissage le plus important de mes 4 dernières années.

Quel conseil donnerais-tu aux étudiants qui ne savent pas comment se projeter dans leur parcours en école d’ingénieurs ?

De ne pas le faire.

Il n’y a pas deux parcours en prépa ou en école qui soit identiques. On a beau faire les mêmes prépas, les mêmes écoles ou les mêmes associations, il en ressort toujours des choses différentes. Et surtout, l’éventail de boulots qu’on peut trouver à la sortie est tellement colossal qu’il ne faut surtout pas avoir peur.

Surtout, il n’y a pas un profil ingénieur, ni un profil pour aller en prépa. C’est comme l’entrepreneuriat au fond, ce qui compte c’est de se lancer.