Fondé en 2013, Vox tend aujourd’hui à s’imposer comme l’un des principaux partis politiques en Espagne. Dans cet article, je te propose de revenir sur l’ascension d’un parti auquel personne ne croyait et qui est devenu, le 10 novembre dernier, la troisième force politique du pays.

I – Quelle ligne politique pour Vox ?

Lors de sa création en 2013 par d’anciens dissidents du Partido Popular (PP), Vox avait comme objectif de « recoger el voto de la derecha desencantada con las politicas del PP ». Il y a six ans, le parti assumait déjà son héritage libéral (sur le plan économique) et exprimait son ambition d’attirer une partie des électeurs de droite qui aurait été désabusée par le Partido Popular de l’époque, dirigé par Mariano Rajoy.

Depuis sa création, la ligne politique du mouvement a très peu évolué et reste celle de son dirigeant actuel, Santiago Abascal. Tout d’abord, ce dernier souhaite unifier l’Espagne, ce qui passe – selon lui – par une centralisation des pouvoirs vers l’État notamment dans le domaine de la justice, de la santé et de l’éducation. Le parti prône donc la fin des comunidades autonomas (régions catalanes ayant un fort degré d’indépendance) et de leur parlement. Il défend une vision très conservatrice de l’Espagne, notamment en ce qui concerne les traditions et les droits des femmes (antiféministe). Il a ainsi déclaré être opposé au programme actuel de lutte contre les violences des femmes au nom de l’égalité entre les sexes. Vox soutient également une démocratie chrétienne et défend les valeurs de la famille traditionnelle. C’est donc au nom de la promotion de la « culture de la vie et de la famille » que Santiago Abascal a déclaré être opposé à l’avortement.

L’autre axe important du programme de Vox concerne la question migratoire ; il s’agit d’ailleurs de l’un de ses principaux thèmes de campagne. Récemment, Santiago Abascal, en paraphrasant Donald Trump, a déclaré qu’en matière d’immigration, « les Espagnols passaient en premier », faisant ainsi écho à l’argument du Rassemblement National en France. Celui-ci légitime son discours par sa volonté de préserver l’identité culturelle européenne : « Je m’identifie à l’identité culturelle européenne et je voudrais qu’elle soit préservée (…) Je n’ai pas de problème avec la couleur des gens, mais avec ce qu’ils ont dans la tête ». Cette rhétorique, bien que peu surprenante, a le mérite d’être nouvelle dans une péninsule ibérique longtemps préservée de tout discours populiste. Vox fuit toutefois l’étiquette de « parti xénophobe » en articulant son argumentation autour de l’immigration illégale. Santiago Abascal souhaite ainsi expulser l’ensemble des migrants en situation irrégulière et souhaite être capable de réguler le flux d’immigration au gré de la conjoncture.

Le parti de Santiago Abascal est donc, à bien des égards, assimilable à un parti d’extrême droite. Pourtant, cette idée couramment véhiculée (et à raison) ne fait pas l’unanimité, notamment au sein de Ciudadanos (Cs) et du Partido Popular (PP). C’est d’ailleurs dans l’intérêt de ces deux partis de « dédiaboliser » cette formation dans la mesure où, dans quelques régions, ces partis font front commun en gouvernant main dans la main. On ne peut toutefois nier le fait que Vox, par certains aspects, se différencie des partis d’extrême droite traditionnels, notamment sur la question européenne. Sans être eurosceptique, il rejette le fédéralisme européen et souhaiterait ainsi que la constitution espagnole prédomine sur celle de l’Union européenne. Cette nuance a du sens dans la mesure où l’Espagne est l’un des pays les plus europhiles de la zone euro.

II – L’année 2018 : tournant pour Vox !

Les premières années pour Vox sont difficiles. Non seulement le parti est très vite confronté à des crises internes qui paralysent le mouvement, mais le parti peine à convaincre et cela se ressent nettement dans les urnes.

Tête de listeNature de l’élection% de voix obtenu
2014Santiago AbascalÉlections européennes1,6
2015Santiago Abascal Élections législatives0,23
2015Santiago Abascal Élections municipales0,29
2016Santiago AbascalÉlections législatives 0,2

C’est avec le scrutin andalou de 2018 que tout bascule pour Vox. Le parti, alors peu médiatisé, se voit crédité de 10 % des voix, obtenant le suffrage de plus de 400 000 personnes. Comme l’expliquait Francisco Serrano en 2014, ces résultats montrent que « Vox est le parti des indignés ». Cet évènement illustre un tournant majeur qui était en train de se produire : la formation de gauche radicale, Podemos, qui habituellement récoltait le soutien des sans-voix, commençait à perdre du crédit. Alors que le rival socialiste (PSOE) perdait des sièges lors de cette élection, Podemos, lui, stagnait sans réussir à capitaliser ces voix pourtant si précieuses. Ce succès inattendu s’explique notamment par le discours anti-immigration qui a énormément séduit dans une région particulièrement touchée par l’immigration illégale. L’issu de ce scrutin a marqué les esprits et Vox a permis à l’Andalousie, ancrée à gauche depuis 1982, de virer à droite. L’alliance avec les deux grands partis libéraux (PP et Cs) a été le début d’un nouveau genre qui profitera au parti populiste.

Alors que le Partido Popular pensait se renforcer et annihiler Vox en lui proposant de soutenir sa candidature dans quelques régions (Andalousie en 2018, Madrid en 2019), il lui insuffla une nouvelle énergie et contribua à « dédiaboliser » le parti. Celui qui perdit le plus fut, finalement, le Partido Popular (PP) lui-même. À l’image des Républicains en France, une partie des électeurs de l’aile modérée (et qui voyait d’un mauvais œil le soutien de Vox) fut séduite par Ciudadanos (parti similaire à En Marche) et l’autre par l’alternative populiste proposée par Vox.

Désormais, le résultat est sans équivoque et il est indéniable que Vox risque de jouer un rôle majeur dans la future vie politique en Espagne. En 2019, lors de la première élection législative, il a obtenu 10,26 % des voix. À peine sept mois plus tard, il en obtenait 15,09 %, devenant ainsi la troisième force politique du pays en dépassant la formation de Ciudadanos (Cs) et de Podemos.

III – Comment expliquer et interpréter ces résultats ?

Le scrutin andalou de 2018 fut donc un important tournant pour le parti populiste qui lui permit, entre autres, de brusquement entrer au parlement espagnol lors des élections législatives de 2019. Nous chercherons ici à comprendre quelles sont les principales raisons de ce succès et quels sont les dangers.

Tout d’abord, il est possible que la situation institutionnelle, particulièrement instable (4e élection législative en quatre ans), ait alimenté le ras-le-bol d’une partie des Espagnols. À l’issue de l’élection législative d’avril 2019, PSOE et Podemos ne trouvent pas d’accord et aucun gouvernement n’est formé en Espagne. Les incessantes passes d’armes entre les deux partis auront certainement joué en faveur du parti populiste lors de l’élection de novembre 2019. Toutefois, cette progression spectaculaire de 4,8 points de pourcentage en sept mois ne peut s’expliquer qu’au regard de la situation catalane. Il est certain que Vox a réussi à capitaliser énormément de voix en « surfant » sur le regain de tension vécu en Catalogne depuis ses derniers mois. Santiago Abascal, contrairement à Pedro Sanchez (PSOE), condamne fermement les indépendantistes catalans et réclame leur emprisonnement. Dans une Espagne meurtrie par les divisions (tant sur le plan institutionnel que politique), Vox entend incarner la colère populaire en prônant le retour à un état unitaire.

Si les différentes formations de gauche n’arrivent toujours pas à trouver d’accord pour gouverner et résoudre cette crise, alors, il est fort probable que le parti d’extrême droite poursuive sa montée. En plus d’être lourd de sens, ceci pourrait avoir des conséquences dramatiques sur l’Espagne. Non seulement le parti de Santiago Abascal est xénophobe, antiféministe et anti-indépendantiste, mais certains le considèrent également comme étant néofranquiste.  Après la percée de Vox, le journal Mediapart écrivait ainsi qu’il s’agissait « d’un parti néofranquiste [qui n’a] cessé de diaboliser la figure du sans-papiers étranger durant la campagne [de novembre 2019] ».

Cette proximité avec le régime franquiste est en effet particulièrement inquiétante. Pour la première fois depuis la fin de la dictature de nouveaux élus d’extrême droite siègent au parlement, et ceci n’a rien de rassurant, notamment au regard de la position, plus que contestable, de Santiago Abascal vis-à-vis de la dépouille de Franco. Celui-ci a récemment déclaré ne pas comprendre pourquoi le PSOE s’était autant « acharné » à vouloir faire exhumer la dépouille de Franco de la Valle de los caidos. Pour rappel, l’exhumation du corps de Franco de cette vallée était l’une des priorités pour Pedro Sanchez qui souhaitait que le mausolée construit par les prisonniers de la guerre civile (1936 – 1939) ne soit plus un lieu de recueillement du franquisme.

IV – Conclusion

La formation d’extrême droite dirigée par Santiago Abascal est donc devenue depuis le scrutin andalou de 2018, un acteur majeur sur la scène politique espagnole. Aidé par la crise institutionnelle que connaît l’Espagne et « surfant » sur le regain de tension en Catalogne, Vox, ne cesse de progresser dans les intentions de vote illustrant un « ras-le-bol » flagrant de la part des électeurs. Désormais, seul l’avenir nous dira quelle direction est en train de se prendre le pays.

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