Entre velléités séparatistes et intolérances politiques de chaque côté… La Catalogne et l’Espagne vont-elles divorcer ?

L’indépendantisme catalan existe depuis exactement 300 ans. Le 11 septembre 1714 (c’est la Diada, devenue fête régionale en actuelle Catalogne), l’armée royale pris Barcelone et ce fut alors la Catalogne entière qui passa sous le giron espagnol. Comme un symbole, la Catalogne (où les velléité séparatistes sont exacerbées en cet aube de XXIème siècle) veut organiser un référendum pour l’autodétermination ce 11 septembre 2014. Cependant début avril, le parlement espagnol (qui a l’autorité en Espagne) a définitivement rejeté tout éventuel référendum pour une quelconque indépendance de la Catalogne. L’impasse semble ainsi guetté car comme le disait si bien le grand poète espagnol Francisco de Quevedo au sujet de la Guerra de los Segadores (1640) « Mientras haya piedras en el campo y catalanes, habra guerra » (Tant qu’il y aura des pierres dans le champ et des catalans, il y aura des guerres)… Alors en quoi la situation actuelle en Catalogne met en évidence les problèmes irrésolus du système des communautés autonomes et demande donc des réformes structurelles qui présupposent temps et consensus afin de maintenir l’intégrité espagnole ?

I / L’apogée des revendications souverainistes en Catalogne : les indépendantistes musclent le jeu.

Selon Artur Mas (Président de la Generalitat [=parlement catalan]), « como en Europa, España del norte se ha cansado de la del sur » (A l’instar de ce qui se passe en Europe, l’Espagne du nord s’est fatigué de l’Espagne du sud). Dans ce contexte de crise, le principal argument d’Artur Mas est que la Catalogne en a marre de payer pour les régions dites « pauvres » comme l’Andalousie. Il veut un pacte fiscal (plus d’autonomie fiscale pour réduire les impôts payés par les catalans pour le reste de l’Espagne). Le gouvernement central de Mariano Rajoy l’a refusé en 2013. Cela va considérablement ternir les relations entre Barcelone et Madrid d’un point de vue politique.

Mais d’un point de vue social la Catalogne bouillonne. Lors de la Diada de 2012, Barcelone a été le théâtre d’une manifestation stratosphérique : 1,5 millions de Catalans ont défilé pour l’indépendance. En 2013 l’indépendantisme exhibe à nouveau ses forces avec une énorme chaîne humaine de 400 km de long pour l’indépendance avec plus de 1,6 millions de participants (Via Catalana para la independencia).

Artur Mas joue donc sur cette fièvre séparatiste pour se faire réélire en promettant un référendum sur l’autodétermination (ce référendum est censé déterminé si oui ou non la Catalogne demeurera espagnol. Mais quand bien même il aurait lieu, il n’aurait aucune valeur légale car le parlement vient de rejeter toute éventuelle indépendance catalane par voie de référendum début avril 2014).

Or si Aujourd’hui des sondages montrent que plus de la moitié des catalans sont favorables à l’indépendance on peut se demander quelles sont les raisons d’une telle résurgence des velléités indépendantistes.

II/ Pourquoi une telle fièvre indépendantiste ?

      1. L’intolérance du PP (Parti Populaire [=droite espagnole]) et l’Estatuto

En 2005, le PSOE (PS espagnol) promulgue un Estatuto conférant à la Catalogne beaucoup plus d’autonomie (presque un statut de nation tout en faisant partie de l’Espagne). Tous les partis catalans l’approuve sauf le PP. Deux députés du PP vont donc emmener l’affaire au tribunal constitutionnel et ce dernier va déclarer l’Estatuto inconstitutionnel. Ainsi le sentiment catalan selon lequel « Les Espagnols ne nous aiment pas » c’est renforcé.

Par ailleurs les intransigeances du PP (qui veut un État fort et centralisé) vis-à-vis de la Catalogne alimente les velléités séparatistes.

      1. L’impact de la crise économique et l’instrumentalisation politique de l’indépendantisme

Selon un éditorial du journal espagnol El Pais, Artur Mas effectue une fuite en avant (huida hacia adelante). Car c’est que la crise économique a particulièrement affecté la Catalogne : c’est la région la plus endettée d’Espagne. Or étant également la région la plus dynamique, l’argument de Mas (et d’autres Catalans) est d’incriminer le reste de l’Espagne en la disant responsable de l’actuelle situation économique en Catalogne (« On est fatigué de payer pour les régions pauvres »). Ainsi la crise a été un catalyseur de l’indépendantisme, elle a popularisé l’idée selon laquelle la Catalogne se porterait mieux économiquement sans l’Espagne.

Or avec les élections de novembre 2012 en Catalogne, Artur Mas (voyant menacer sa place en tant que président de la Generalitat) a choisi d’exalter le sentiment nationaliste. Or comme le montre Daniel Cohen dans La Prospérité du vice (fiche disponible sur major-prépa), le nationalisme est un artefact politique utilisé pour fédérer une nation (ici une région) et lui faire oublier les incapacités du pouvoir en place en désignant un bouc émissaire extérieur. L’indépendantisme est ainsi instrumentalisé en Catalogne, et la manœuvre politique d’Artur Mas a pour corollaire des tensions exacerbées entre Madrid et Barcelone.

      1. La transformation de la société catalane (= une société post-franquiste) est également à prendre en compte pour expliquer l’apogée de l’indépendantisme

En Catalogne il y a aujourd’hui une nouvelle génération qui n’a pas connu les années Franco (Rappel : de 1939 à 1975 Franco s’était attelé à écraser les mouvements identitaires en Catalogne, en Galice et au Pays Basque. Le Franquisme rétablit la monarchie et met également fin à la Seconde République [1931-1936] qui avait accordé une plus grande autonomie notamment à la Catalogne afin de permettre la coexistence pacifique de la Catalogne au sein de l’Espagne). Selon Josep Ramoneda dans un article del Pais, « les nouvelles générations ont été éduquées à l’école catalane. Fort de référents culturels très distincts [par rapport à ceux sous Franco], elles ont assumé avec naturel la condition de Catalogne comme pays ». Dans cette société la presse n’est plus muselé. Ainsi les médias catalans tels que La Vanguardia favorise l’indépendantisme catalan.

      1. Mais le facteur déterminant de l’indépendantisme catalan sont les problème irrésolus du système des communautés autonomes qui débouchent sur une « injustice fiscale » selon Mas

Pour faire simple, ce système se situe à mi-chemin entre le fédéralisme et l’État centralisé. Mis en place par la constitution de 1978, aujourd’hui ce système est à bout de souffle. Les défaillances de ce système sclérosé se traduisent par exemple dans le domaine judiciaire, administratif (bureaucratie pléthorique, par ailleurs les séparations des compétences entre communes, régions et État demeurent floues) ou encore économique (les régions ne reçoivent pas assez d’argent de l’État pour appliquer les politiques autonomes, d’autant plus qu’avec la crise, la région catalane perd beaucoup d’argent pour venir en aide aux régions espagnoles encore plus en difficulté). D’un point de vue fiscal, la Catalogne estime qu’elle donne plus (70 milliards) qu’elle ne reçoit (16 milliards) d’ou le malaise

III/ La réforme de la Constitution : l’éclaircie venant chasser de sombres perspectives ?

L’Espagne a plus que jamais besoin de la Catalogne, sa région la plus dynamique, la plus ouverte vers l’Europe et la méditerranée (Barcelone est le 6ème port européen). La perte de la Catalogne serait grave d’un point de vue économique (18% du PIB) mais aussi d’un point de vue social (besoin d’unité et de solidarité pour sortir de la crise) et territorial. Car concéder l’indépendance à la Catalogne inciterait des régions aux fortes identités (telles que la Galice et le Pays Basque) à faire de même.

Cependant contrairement à ce que pourrait croire les indépendantistes, la Catalogne a également besoin de l’Espagne. Précisons que la Catalogne possède 820.000 chômeurs et une dette conséquente (22% du PIB catalan). Par ailleurs sortir de l’Espagne signifierait sortir de la zone euro… Avec quelle monnaie commercerait dès lors la Catalogne ? De plus sortir de l’Espagne signifierait sortir de l’Union Européenne. Or étant donné que la Catalogne réalise 70% de son commerce avec l’Espagne et l’U.E. 70% des produits qu’elle importe seraient renchérit (car des barrière douanières verrait le jour) et 70% des produits qu’elle exporte seraient également renchérit donc perdraient en compétitivité. Au total ce serait une catastrophe économique pour la Catalogne c’est pourquoi les entreprises sont réticentes à l’idée de l’indépendance et font pression en prétendant que si la Catalogne sort de l’Espagne alors les entreprises tels que Seat, Nissan ou encore Nestlé partiraient de la Catalogne (Cité par The Guardian, le chef du groupe hispanique Planeta [une des plus grandes compagnies espagnoles], José Manuel Lara, a déclaré que « Si la Catalogne venait à devenir indépendante, Grupo Planeta devra partir. Aucun média ne peut être basé dans un pays étranger, qui parle une langue différente »). Enfin les marchés prêteraient à un taux extrêmement élevé à la Catalogne. Aussi la crise serait-elle encore plus importante en Catalogne.

Dans ces conditions seule une résolution de la crise du système des communautés autonomes semble être en mesure de contenter tout le monde et être la réponse la plus viable. Cela pourrait passer par le fédéralisme comme c’est le cas en Allemagne avec des Landers ultra-dynamique très autonomes à forte identité (la Bavière par exemple). Le système fédéral présente l’avantage de favoriser l’unité de la nation (ce que veut l’Espagne) sans pour autant porter atteinte à la diversité de chaque régions qui se verraient transférer de nombreuses compétences notamment dans le domaine judiciaire, économique, éducatif et fiscal (autonomie que demande la Catalogne). Cela passe ainsi par une réforme de la Constitution.

Tel est le nouveau défi espagnol : la réforme constitutionnelle. (Prochainement sur Major-Prépa)

Ezékiel SEDAMINOU

Major-Prepa

article connexe : synthèse d’actu de septembre 2015 sur les législatives en Catalogne.

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