« El caso Bárcenas », « el caso Nóos » ou encore « el caso ERE »… Ces noms ne vous disent peut être rien, mais de l’autre côté des Pyrénées, leur évocation suffit à raviver les tensions autour d’un thème qui préoccupe énormément les Espagnols : la corruption. Retour sur une série de cas emblématiques, qu’il serait bon de mobiliser pour étayer votre argumentation avec des exemples concrets.

I) Los casos « Gürtel » y « Bárcenas » entachent l’image du PP

Tel est le nom donné à un réseau de corruption lié au Parti Populaire (PP), qui opérait principalement dans les communautés de Madrid et de Valence entre 2000 et 2008. La trame de ce réseau était dirigée par un entrepreneur espagnol : Francisco Correa. ( C’est d’ailleurs la traduction approximative de son nom en allemand qui a donné lieu à la dénomination « Gürtel » )

Avec d’autres associés, celui-ci aurait crée de toutes pièces un réseau d’entreprises qu’il dirigeait, pour ensuite se voir octroyer de grandes quantités de fonds publiques, et ainsi éviter les interdictions juridiques en matière d’urbanisme et de respect de l’environnement, qui auraient dégradé son activité immobilière le cas échéant.

La méthode utilisée par Francisco Correa était la suivante : organiser certains événements publiques du PP pour se rapprocher du parti, qui, à l’époque, était dirigé par José María Aznar. Pour autant, Correa était également très généreux en pots-de-vin, et le PP, quant à lui, assez conciliant : le chef d’entreprise recevait de nombreux contrats dans les provinces où il opérait, gagnant ainsi des parts de marché.

Mais en 2007, le Ministère public anticorruption débuta l’investigation, suite à une plainte déposée par l’ancien député de Majadahonda, commune située près de Madrid. Si la révélation « del caso Gürtel » va dès lors engendrer un séisme médiatique en Espagne, c’est essentiellement en raison des communautés autonomes qui sont visées : Madrid et la Communauté valencienne, deux bastions traditionnels du PP. Cette affaire est un véritable coup dur pour le parti qui, doté d’une majorité absolue dans ces deux communautés, y gouvernait sans heurts. Pour cause, une étude publiée en 2010, qui évalue la charge sur les finances publiques que cette affaire a pu générer, l’estime à 120 millions d’euros. Inutile de préciser qu’en période de crise, le PP aurait pu se passer d’une telle médiatisation.

Alors que les premières peines carcérales tombent dès 2009, l’affaire de corruption occupe de moins en moins de place dans les médias, si bien qu’on l’oublierait presque. Toutefois, un nouveau tournant est atteint en janvier 2013 : le quotidien El Mundo fait la lumière sur le rôle qu’a joué l’ancien trésorier du PP dans ce scandale. « El caso Gürtel » se mute alors en « caso Bárcenas », pour faire référence au nom du dernier cité. Le trésorier aurait orchestré le financement illégal de son parti. Entre 1990 et 2009, le PP aurait en effet touché plus de 8 millions d’euros sous forme de donations illégales, qui servaient principalement à grossir les poches des principaux dirigeants. ( Mariano Rajoy, mais aussi Dolores de Cospedal, la secrétaire générale du parti entre 2008 et 2010 ). Afin que cette activité passe inaperçue, les donations n’excédaient pas 60,000 euros. La loi permettait alors que celles-ci restent anonymes. Pour Bárcenas, c’était l’assurance d’une totale opacité vis-à-vis du Tribunal des Comptes publiques. Mais ses petites manigances ont fait de lui un personnage notoirement médiatisé en Espagne : pas plus tard que le premier août 2016, le ministère public de Madrid a exigé la poursuite du PP pour avoir effacé les données des ordinateurs utilisés par l’ancien trésorier du parti. Signe que l’affaire n’est toujours pas résolue.

II) El « caso  ERE » : le PSOE n’est pas non plus épargné

Alors que le PSOE se frottait les mains face au scandale du « caso Bárcenas » et de ses futures répercussions sur l’image du parti rival, la juge Mercedes Alaya avertit en juillet 2009 sur un possible cas de corruption politique au sein du gouvernement régional andalou. Ses intuitions furent rapidement confirmées : c’est le début du « caso ERE », ou encore « caso de los ERE ». En réalité, le gouvernement andalou décide en 2001 de mettre en place un arsenal de mesures juridiques pour soutenir économiquement les entreprises de la région en difficulté. Celles-ci devaient présenter au gouvernement des plans de restructuration de l’emploi ( en espagnol : « expedientes de regulación de empleo », d’où la dénomination « el caso ERE » ), suite auxquelles le gouvernement pouvait effectivement octroyer des fonds publiques aux entreprises concernées. Un fonds spécial fut d’ailleurs créé pour l’occasion : el « 31L », d’un montant de 720 millions d’euros, et qui devait progressivement atteindre 1,2 milliards d’euros.

L’origine du scandale réside dans la découverte de graves déficiences dans la gestion des aides publiques : suite à une dénonciation portée par le PP, l’on découvre que Mercasevilla, une entreprise andalouse, bénéficie de préretraites vraisemblablement frauduleuses. En effet, le fonds « 31L » fut même surnommé « fondo de reptiles » ( comprendre « caisse noire » ou encore « fonds occultes ») suite à la concession des aides ci-dessous, pour le moins douteuses :

  • des préretraites frauduleuses, puisque versées à des individus qui n’avaient jamais travaillé dans les entreprises concernées par de telles mesures. (12 millions d’euros)
  • des subventions octroyées à des entreprises qui n’étaient même pas concernées par le plan « ERE », ou encore à des entrepreneurs fictifs, n’ayant jamais créé la moindre entreprise. (74 millions d’euros)
  • des commissions versées à des intermédiaires ( consultants, assureurs, avocats,etc ) entre le gouvernement andalou et les entreprises à des prix largement supérieurs à la valeur de marché

Au total, cette fraude de grande ampleur représenterait pas moins de 150 millions d’euros indûment rétribués à des individus ou entreprises non concernés.

Cette affaire fait toujours la une des journaux. La preuve en est que le 2 juin 2016, Chaves et Griñán – anciens présidents du gouvernement andalou – se retrouvent inculpés pour détournement de fonds aux côtés d’une vingtaine d’anciens hauts fonctionnaires andalous. Résignés à se retirer du PSOE, c’est un coup dur pour le parti, à 25 jours du fameux « 26J ».

III) Quand corruption rime avec famille royale

Si les deux grands partis espagnols ont payé un lourd tribut pour les affaires de corruption dans lesquelles ils étaient mêlés, la confiance en la Monarchie s’est progressivement érodée suite à la révélation d’un cas de corruption désormais emblématique : el « caso Nóos ».

Ce dernier se réfère à l’Institut Nóos, tenu par Iñaki Urdangarin, qui n’est autre que l’ancien duc de Palma de Majorque.

En 2010, l’enquête est ouverte suite à des preuves d’accords entre cet Institut et le gouvernement autonome des Baléares. D’après ces accords, l’Institut Nóos – alors qu’il prétendait être une « organisation sans but lucratif » – a reçu plus de 6 millions d’euros de fonds publiques pour des travaux qui n’ont jamais été réalisés. Ces accords sont évidemment illégaux : les entités publiques ne sont pas autorisées à signer de tels accords avec des entreprises privées à moins de prouver que c’est la seule façon de pouvoir offrir un service.

Urdangarin et son ancien associé Diego Torres furent rapidement inculpés pour délits de corruption ainsi que fraude fiscal et blanchiment d’argent.

Mais l’affaire prend une ampleur jusqu’alors inégalée lorsqu’en 2014, il est décidé que la princesse Cristina sera prochainement jugée comme présumée coordinatrice dans plusieurs délits de fraude fiscal commis par son mari, Iñaki Urdangarin.

Depuis le 22 juin 2016, le procès de l’affaire Noós est désormais clos. Mais la sœur du roi Felipe VI – l’infante Cristina – va devoir patienter plusieurs mois avant l’annonce du verdict final, pour lequel son mari est également concerné.

De cette affaire médiatique, l’on peut en retenir deux choses. Tout d’abord, c’est la première fois qu’un membre de la famille royale s’est assis au banc des accusés. Ensuite, l’on peut souligner l’indépendance exemplaire de la Justice espagnole, qui n’a à aucun moment cédé face aux pressions réclamant la fin des poursuites à l’égard de la sœur du Roi.

IV) L’Espagne face à la corruption

La corruption politique est plus ou moins « fréquente » en Espagne : avant la retentissante affaire « Gürtel », le PSOE avait aussi affolé les médias, notamment avec l’affaire Filesa, en 1993, un réseau d’entreprises qui ont financé illégalement le parti socialiste.

Beaucoup de fonds ont été frauduleusement versés aux partis suite à des travaux ; c’est que la construction est un domaine qui produit des dessous-de-table. Or, pendant la bulle immobilière (1998-2008), l’Espagne a plus construit que l’Angleterre, l’Allemagne et la France réunies ! En 2013, on estime d’ailleurs que 80% des billets de 500€ de l’Union européenne circulent en Espagne.

Si la corruption y semble prospérer, c’est en raison de l’absence d’institution capable de traquer la corruption en politique. Il existe par exemple un Tribunal des comptes. Mais il est administratif, et en aucun cas judiciaire. Cela signifie qu’il obéit à l’exécutif. Si ce Tribunal émet une objection sur la limpidité des comptes d’un parti, il n’a pas les moyens de les sanctionner. Il peut juste les rejeter.

Un autre écueil mérite d’être soulevé : dans le Code pénal, il n’est pas fait mention du financement illégal des partis. Le Greco (Groupe d’Etats contre la corruption en Europe) avait demandé à l’Espagne de légiférer et de modifier son Code pénal. Zapatero s’était saisi du problème, mais son successeur Mariano Rajoy s’empressa d’affirmer que la loi de transparence ne concernerait que l’administration, nullement les partis politiques.

Face à cet immobilisme, les Espagnols ont longtemps tapé du poing. Mais paradoxalement, en pensant que tous les politiciens sont corrompus, leur fatalisme a longtemps conduit à une forme d’ « impunité consentie » : sceptiques, les Espagnols ne font plus confiance aux hommes politiques.

Mais ils se sont longtemps résignés à voter pour les mêmes ténors des partis traditionnels. ( et les très bons résultats du PP lors des élections du 26 juin dernier ne viendront pas contredire notre propos ) Il existe dès lors une grande acceptation sociale de ce phénomène.

« Longtemps » ? Oui, car cette situation prévalait lorsque l’on parlait encore de bipartisme en Espagne. Il est néanmoins évident que l’émergence de Podemos et de Ciudadanos est liée à l’incapacité des deux grandes formations politiques de proposer des solutions concrètes et rapides.

Deuxième sujet de préoccupation derrière le chômage, la corruption fut l’un des sujets abordés par les « Indignés », dont la mobilisation du 15 mai 2011 constitue l’embryon de Podemos. Ce parti a révolutionné la façon de faire de la politique : face au PP et au PSOE, deux partis « sclérosés » et dont l’ouverture vers la société civile fut limitée depuis la Transition, Podemos a su prendre position sur un vaste spectre de problématiques sociales. Et Ciudadanos, qui fit irruption un peu plus tardivement dans le paysage politique, représente pour de nombreux citoyens la promesse d’une authentique rénovation à la tête du pays, notamment grâce à Albert Rivera, son leader charismatique de seulement 36 ans.

Il est l’un des rares à proposer des mesures concrètes pour limiter la corruption, et pas des moindres : en 2016, le chef de file de Ciudadanos lâche, lors d’un discours à Madrid : « Il y a trop de personnes avec une immunité […] Mais nous ne sommes pas là pour satisfaire ceux qui ne veulent rien changer. »

Le message est clair : Albert Rivera milite pour la suppression des immunités (« aforamientos ») qui protègent actuellement environ 17 000 Espagnols, dont plus de 2 000 hommes politiques parmi lesquels l’on retrouve les Rois, les chefs du gouvernements et ministres, les sénateurs et députés.

Le privilège d’une telle immunité ? S’ils commettent un délit, ils seront jugés par un tribunal spécial, contrairement au commun des mortels.

Vocabulaire prêt à l’emploi :

  • « la corrupción sale gratis en España » qu’on pourrait traduire par « la corruption reste impunie en Espagne »
  • la Fiscalía anticorrupción = ministère public anticorruption
  • el concejal = député
  • el costo para el erario público = le coût pour les finances publiques/les contribuables
  • el procesamiento = poursuite (pénale)
  • la Junta de Andalucía = le gouvernement (régional) andalou
  • el procedimiento = procédure
  • expedientes de regulación de empleo = plans de restructuration de l’emploi
  • el  « fondo de reptiles » = caisse noire / fonds occultes
  • las prejubilaciones = préretraites
  • el cohecho = corruption / subornation
  • se dan de baja del PSOE = ils quittent le parti /  se retirent du parti
  • la malversación (de fondos) = détournement / malversation
  • el convenio = accord (écrit)
  • sin ánimo de lucro = sans but lucratif
  • el socio = l’associé
  • el exsocio = l’ancien associé ( en Espagnol, on retrouve très souvent le préfixe « ex » apposé devant un nom, pour signifier l’ « ancien » ou le « précédent » dans un ordre chronologique. )
  • el blanqueo de capitales = blanchiment d’argent
  • la infanta = l’infante / la princesse
  • el Tribunal de las cuentas públicas = Tribunal de comptes publiques
  • los aforamientos = privilèges (liés au droit, à la naissance,etc)
  • la regeneración = rénovation (à la tête d’un parti)