À peine signé (juin 2019), l’accord commercial entre l’Union européenne et le Marché commun du Sud (Mercosur) semble aujourd’hui être en mauvaise passe. Après vingt ans de négociations, le traité semble désormais être au point mort depuis la déclaration du président français en août 2019, signifiant qu’il ne le ratifierait pas en l’état actuel des choses.

Dans un premier temps, je te propose donc de revenir sur les enjeux et controverses de ce qui pourrait devenir l’accord de libre-échange le plus important au monde (770 millions de consommateurs). En fin d’article, nous verrons pourquoi sa ratification est loin d’être évidente, en analysant notamment les récentes évolutions de la vie politique latino-américaine.

I – Les enjeux d’un traité en négociation depuis 20 ans

Les négociations entre l’Union européenne et le Mercosur débutent en 1999 et seront, par la suite, suspendues à de nombreuses reprises en raison, entre autres, de désaccords clivants sur la question des exportations de bœuf et d’éthanol. Toutefois, l’élection de Donald Trump et la mise en place de sa politique protectionniste poussèrent les Européens à relancer les négociations afin de trouver rapidement une entente avec le Marché commun du Sud.

L’arrivée au pouvoir de candidats favorables au libre-échange (Michel Temer au Brésil et Mauricio Macri en Argentine) a aidé les parties prenantes à signer, le 28 juin 2019, un accord de principe concernant le traité.

S’il venait à être ratifié par les différents parlements nationaux, l’accord abrogerait graduellement les barrières douanières, offrant ainsi la possibilité aux Européens et aux quatre pays latino-américains de profiter d’un marché de plus de 770 millions de consommateurs. Pour rappel, le Mercosur représente aujourd’hui près de 80 % du PIB latino-américain et exporte l’équivalent de 41 milliards d’euros vers l’UE. Il représente ainsi 2,4 % du commerce de l’Europe, là où l’Europe est, elle, l’un de ses principaux partenaires.

Membres du MercosurStatut
ArgentineMembre permanent
BrésilMembre permanent
ParaguayMembre permanent
UruguayMembre permanent
BolivieEn cours d'adhésion
VenezuelaTemporairement suspendu en raison du caractère autoritaire du gouvernement de Nicolas Maduro

Quels avantages pour les producteurs européens ?

Avec ce nouveau marché et la suppression de 99 % des droits de douane au niveau des secteurs industriel et agricole, les Européens espèrent pouvoir exporter davantage de biens à haute valeur ajoutée en Amérique latine ; que ce soit dans le secteur automobile ou dans le domaine des nouvelles technologies. Les exportations européennes, bien qu’importantes, restent limitées du fait de droits de douane souvent très élevés (35 % sur le secteur automobile par exemple). Une baisse progressive des barrières tarifaires permettrait ainsi de faire économiser aux entreprises européennes près de quatre milliards d’euros chaque année.

Selon les estimations de l’Union européenne, la France fera partie des États membres qui bénéficieront le plus de ce traité. Selon ses termes, cela offrira « des opportunités à l’industrie française [ainsi qu’à] son secteur agricole ». En effet, il ne faut pas oublier que la France est le deuxième fournisseur de biens et services du Mercosur parmi les membres de l’Union européenne. Chaque année, elle exporte quelque six milliards d’euros de biens (2016) et trois milliards d’euros de services (2016).

L’Europe bénéficiera également d’un accès privilégié aux marchés publics. Concrètement, les entreprises européennes pourront candidater à des appels d’offres sur un pied d’égalité avec les entreprises du Mercosur. À terme, les producteurs européens espèrent accroître leur compétitivité et augmenter leurs économies d’échelle. L’accord entend également garantir un niveau élevé de protection aux marques européennes. En raison des liens historiques évidents entre les parties prenantes, beaucoup des produits que nous consommons le sont également en Amérique latine, mais sont purement et simplement copiés. Avec cet accord, ces produits (fromages, vins, etc.) bénéficieront du même niveau de protection qu’en Europe grâce à la reconnaissance, de la part du Mercosur, de 357 indications géographiques.

Quels avantages pour les producteurs latino-américains ?

À partir de 2015, le retour au pouvoir de gouvernements de droite (Brésil, puis Argentine) va inciter les politiques à renouer, comme l’explique Christophe Ventura, avec une croissance basée sur les exportations à travers la promotion du libre-échange. L’accord entre l’Europe et le Mercosur apparaît ainsi comme une aubaine pour de nombreux producteurs sud-américains qui entendent profiter de leurs exportations compétitives pour concurrencer le grand marché européen.

Leurs exportations (essentiellement des matières premières, de la viande, etc.) seront toutefois limitées puisque des quotas ont été mis en place, notamment sur la viande (99 000 tonnes de bœuf par an) et le sucre (180 000 tonnes par an).

L’environnement, un enjeu mis en avant dans ce traité

Le texte inclut un chapitre sur le développement durable, censé couvrir des questions telles que la gestion et la préservation durables des forêts. Par cet accord, l’Union européenne et le Mercosur s’engagent à mettre en œuvre les accords de Paris sur le changement climatique.

II – Un traité controversé et loin d’être ratifié

Malgré les quelques précautions prises par cet accord (mises en place de quotas et quelques prescriptions sur l’environnement), celui-ci est d’ores et déjà contesté, que ce soit en Europe ou en Amérique latine.

L’un des principaux points d’achoppement concerne les futurs échanges dans l’agriculture et l’élevage. Si l’accord est validé, alors – comme je le précisais quelques lignes plus haut – les pays du Mercosur pourront exporter chaque année près de 99 000 tonnes de bœuf et 180 000 tonnes de sucre ; ce qui a de quoi alimenter les craintes des éleveurs. Pour eux, il ne s’agit ni plus ni moins d’une concurrence déloyale dans la mesure où ils ne possèdent absolument pas le même cahier des charges que les producteurs brésiliens ou argentins. Ces derniers ont en effet la possibilité d’utiliser des farines animales (interdites depuis 2001 dans l’Union européenne à la suite de la crise sanitaire de la vache folle) ainsi que des antibiotiques, utilisés comme activateur de croissance. Ces différences de normes remettent, de fait, selon les organisations syndicales, le bien-fondé du traité de libre-échange. Beaucoup considèrent ainsi que l’agriculture est sacrifiée au profit du secteur industriel, grand gagnant dans cet accord.

L’autre critique de poids renvoie aux arguments écologistes exprimés, par exemple par l’ancien ministre Nicolas Hulot. Pourquoi l’Europe, devenue autosuffisante depuis la signature de la PAC en 1962, irait-elle chercher de la viande en traversant l’Atlantique ? Beaucoup d’organisations pointent d’ailleurs du doigt le fait que l’obligation de se conformer aux accords de Paris (volet écologique de l’accord) n’est en aucun cas suffisante, voire rassurante, dans la mesure où il s’agit simplement d’un accord non contraignant. Autrement dit, rien n’empêche Jair Bolsonaro (le président brésilien) de ne pas respecter ces accords. Justement, c’est à la suite de sa gestion catastrophique des incendies en Amazonie qu’Emmanuel Macron a déclaré (le 23 août 2019) qu’il refuserait, en l’état actuel des choses, de ratifier l’accord de libre-échange. L’inaction du président brésilien en matière de biodiversité et de climat risque donc de paralyser, au moins pour les mois à venir, la ratification de ce traité.

Quand bien même nous ne connaissons pas encore le statut juridique que prendra le traité (ratification à l’unanimité ou à la majorité relative), il est fort peu probable que la France soit absente des négociations. Pour l’instant, il s’agit donc d’une impasse.

À bien y réfléchir, on pourrait même considérer que cette paralysie fasse finalement le jeu de Jair Bolsonaro. Contrairement à son prédécesseur (Michel Temer), la politique qu’il défend ne va absolument pas dans le sens du multilatéralisme, bien au contraire. Sa position méfiante à l’égard de l’accord est d’ailleurs de plus en plus partagée, notamment par les exportateurs brésiliens qui le trouvent trop déséquilibré. Pour plusieurs entreprises, les quotas fixés seraient bien trop faibles. Si aujourd’hui le quota est fixé à 99 000 tonnes pour l’exportation de bœuf, il faut savoir qu’en 2004 le gouvernement brésilien refusait lui que ce quota soit inférieur à 300 000 tonnes.

Finalement, pour Bolsonaro, cette déclaration du président français et peut-être même une aubaine. Comme le souligne Gaspard Estrada (directeur de l’OPALC à Sciences Po), il aurait peut-être été compliqué pour le président brésilien d’avouer publiquement qu’il était en désaccord avec ce traité compte tenu de la publicité qui a été faite autour.

Pour finir, il semble que le contexte international actuel en Amérique latine ne soit pas totalement favorable à ce genre d’intégration. Mis à part l’Uruguay, qui a récemment connu un tournant libéral inédit (lire l’article concernant la « coalition multicolore »), l’Argentine a décidé de rompre avec le discours très libéral de Mauricio Macri en élisant le péroniste Alberto Fernandez. Au-delà du Mercosur, l’Équateur, la Colombie et le Chili ont été (certains le sont encore) en proie à de grandes manifestations pour dénoncer les excès d’un système libéral qui appauvrissait les classes sociales les plus fragiles.

III – Conclusion

Bien que l’accord soit loin d’être exempt de tout défaut, il dispose, encore aujourd’hui, d’un large soutien, notamment dans l’hémisphère Sud. L’ouverture d’un tel marché permettrait aux producteurs latino-américains de profiter de leurs exportations (essentiellement des matières premières et de la viande) très compétitives pour gagner des parts de marché importantes. Reste à savoir, par la suite, comment seront redistribués ces bénéfices. Seront-ils, comme le craignent les classes sociales les plus fragiles, exclusivement accaparés par les classes les plus aisées ?

Du côté européen, la réduction des droits de douane devrait permettre aux secteurs agricole et industriel d’accéder à un marché, jusqu’à présent, très protégé (35 % de droits de douane sur le secteur automobile).

Quoi qu’il en soit, encore faut-il que l’accord soit ratifié, ce qui semble loin d’être évident au vu de la position française et de ses nombreuses critiques (producteurs agricoles et écologistes).