Vox

Traumatisée par les productions atroces du franquisme, l’Espagne s’était prémunie en étant pratiquement le seul pays d’Europe où l’extrême droite n’a qu’une existence politique résiduelle. Pourtant, l’apparition de Vox à partir d’une scission du Parti populaire rompt avec cette « exception ibérique » et marque le retour à un discours d’extrême droite très offensif, qui supplante les voix critiques de ce passé franquiste et de ce qu’il a pu produire dans la société espagnole. Aussi inquiétant que surprenant, comment en sommes-nous arrivés là, plus de quarante-cinq ans après la mort du dictateur ?

L’émergence de Vox, un parti qui puise son discours dans l’héritage franquiste

En 2008, l’Espagne plonge dans une crise sociopolitique et économique qui bouleverse les années de croissance et de stabilité connues sous le mandat de José Maria Aznar. Une des manifestations de cette crise fut le séisme politique de 2014 qui conduit à l’apparition de deux nouvelles forces politiques : Podemos, à l’extrême gauche (aujourd’hui connu sous le nom de Unidas Podemos), et Vox, à l’extrême droite. 

Produit de la scission du Parti populaire (PP), Vox représentait la visibilisation d’une aile droite du PP qui ne se satisfaisait pas du virage centriste pris par celui-ci lors du gouvernement de Mariano Rajoy. Ce dernier avait succédé au bien plus radical José Maria Aznar à la tête du parti et avait remporté les élections générales de 2011 sous fond de crise et de mouvement des « indignés ».

Avec un discours qui puise à la fois dans la stratégie économique ultralibérale, dans la revendication décomplexée de l’héritage franquiste et dans les rhétoriques xénophobes et populistes communes aux extrêmes droites américaines et européennes, Vox est une formation qui représente à la fois une reprise adaptée du national-catholicisme franquiste et son hybridation avec les formes modernes prises par les mobilisations des extrêmes droites populistes.

Un parti qui utilise très habilement les réseaux sociaux

Vox a réussi en quelques années, notamment à partir de sa percée électorale en 2019, à imposer son style dans le débat public et à rendre audibles des propos qui ne l’étaient pas il y a peu. Santiago Abascal, le leader de Vox, maintient un discours fortement xénophobe et antiminorités. Au point même où certains considèrent que son discours est directement issu de la rhétorique franquiste. Comme le slogan « Reconquête de l’Espagne » face à une « invasion des barbares » ou les proclamations autour de l’unité de l’Espagne attisées par la tentative séparatiste en Catalogne en 2017. Malgré la transformation démocratique qui se finalise avec la Constitution espagnole de 1978, Vox est l’incarnation d’un « franquisme sociologique » qui demeure dans la société espagnole. 

Santiago Abascal, président du parti d'extrême droite Vox

Le succès extraordinaire de Vox

Depuis la victoire de Vox lors du scrutin régional andalou en décembre 2018, où il obtint 11 % des suffrages exprimés et 12 sièges sur 109, le parti est en train de s’imposer parmi les principaux mouvements politiques espagnols. Ainsi, aux élections générales du 28 avril 2019, Vox fait son entrée au Congrès des députés avec 24 élus (soit 10,26 % des bulletins valides). Le même jour, il engrange 10,44 % des suffrages lors des élections régionales anticipées dans la Communauté de Valence, soit 10 sièges sur 99.

Le succès de Vox vient en partie d’une normalisation et d’un « blanchissement » de l’héritage franquiste. En effet, Santiago Abascal utilise une rhétorique franquiste qui reste familière à une partie non négligeable de la population qui a grandi sous la dictature et a été socialisée dans ce discours-là. Il rassure en temps de crise et d’incertitude. Une autre partie de ce succès, notamment auprès d’une partie de la jeunesse défavorisée, vient de la gestion du conflit catalan et de la crise des partis traditionnels.

L’irruption de Vox semble ainsi avoir mis fin à une exception espagnole dans le paysage politique européen. Son discours offensif qui puise dans l’héritage franquiste pour s’attaquer aux indépendantistes et à l’immigration gagne en influence au sein d’une société qui ne fait plus confiance aux partis traditionnels. Le prochain scrutin ne sera pas national mais régional, en Andalousie, en 2022. La droite PP-Ciudadanos y gouverne d’ailleurs grâce au soutien de Vox. Au jeu des alliances, l’extrême droite veut passer un cap. Celui d’obtenir un score assez élevé pour devenir incontournable au Parti populaire et le forcer à l’intégrer à l’exécutif. « Je n’ai aucun doute sur le fait que Vox gouvernera », assure la députée Macarena Olona. Si c’était le cas, ce serait une première dans l’Espagne post-franquiste.