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Il est bien connu que la chaleur rend les relations plus difficiles. C’est en cette période de chaleur extrême (surtout atteignant les 40 degrés régulièrement en Espagne) que la Catalogne a (encore) décidé de se séparer progressivement de l’Espagne.

Est-ce maintenant LA tentative définitive ou simplement un éternel recommencement ? Pour le comprendre, il faut remonter plus de 5 siècles dans l’histoire de cette région.

Nous traiterons son histoire en trois parties: 1) Les débuts du régionalisme catalan et les dates clés / 2) L’essor du catalanisme / 3) Enfin, le séparatisme dans la période actuelle.

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I. Les débuts du régionalisme catalan et les dates clés

A. La prospérité précoce de la région

La Catalogne a été depuis le Moyen Age une des régions les plus riches de l’Espagne, notamment parce qu’elle possède des ports qui lui ont permis de faire du commerce avec l’extérieur très tôt. Mais ce n’est que pendant l’ère industrielle qu’elle a consolidé « une longueur d’avance », avec notamment un puissant secteur textile.

Les facteurs qui vont commencer à distancer la population de la Catalogne de celle du reste de l’Espagne sont surtout d’ordre économique. A l’époque la bourgeoisie catalane, enrichie par le commerce et l’essor du secteur textile, se voit constamment relayée au second plan par Madrid, où le gouvernement central prend les décisions nationales les plus importantes. Privés ainsi d’un rôle politique qu’ils jugent essentiel de part leur poids économique, ces bourgeois commencent à éprouver à l’égard de la noblesse madrilène la frustration de ceux qui se voient usurpés du droit à faire partie de la vie politique.

La Catalogne s’industrialise rapidement au XIX et proclame une république catalane confédérée à l’Espagne, après la victoire électorale de partis indépendantistes.

B. Les dates qui ont façonné la spécificité de la Catalogne

DateEvénement
11 septembre 1714
Occupation de la région par les troupes des Bourbons. S’ensuivent de nombreuses interdictions comme celle de parler catalan.
D’après les indépendantistes, c’est le symbole de l’oppression de la Catalogne par l’Espagne.

Le jour de cette défaite devient une fête nationale: la Diada.
1871Début du tirage du journal “La Renaixença” (“la renaissance”) qui canalisera les forces catalanistes du XIXème.
1889Campagne pour défendre le droit catalan et la modification de l’article 15 du nouveau Code Civil espagnol qui interdisait la reconnaissance de droits régionaux.

Ce fut la première vraie victoire du catalanisme par l’obtention d’une négociation sur le Code Civil avec le gouvernement central.
1906nric Prat de la Riba écrit La Nacionalitat Catalana. Le catalanisme prend une force politique considérable au niveau régional.

II. L’essor du catalanisme

A. Le passage du régionalisme au nationalisme

Attention : “régionalisme” et “nationalisme catalan” sont deux expressions bien différentes ! Le premier englobe l’ensemble des caractéristiques d’une région : ici, ce sont par exemple le drapeau catalan ( la “senyera” ), les fêtes propres à cette région (les “festes Majors” ou la “Patum de Berga”), leur tradition littéraire écrite etc. “Catalanisme”, lui, est un mot bien plus spécifique: il désigne uniquement le courant politique qui considère la Catalogne comme une nation d’après ses droits historiques et ses spécificités.

Nous en venons donc au passage dans l’histoire du premier au deuxième. C’est en effet à la fin du XIX que l’ensemble des caractéristiques qui faisaient la spécificité de la Catalogne se sont concrétisées en un mouvement beaucoup plus fort: le nationalisme catalan (ou “catalanisme”).
Le premier parti indépendantiste, l’Estat Català, est fondé par Francesc Macia en 1922 et il va réussir à rassembler l’ensemble des forces séparatistes de la région. Ce personnage deviendra d’ailleurs un mythe du nationalisme catalan.

B. Le catalanisme sous la deuxième république

Le 14 avril 1931 est proclamée la Seconde République espagnole, date à laquelle Macià va laisser de côté son rêve d’une République Catalane pour faire naître une “Generalitat” catalane dans la république espagnole. Après négociation avec Madrid, elle obtient donc un statut d’autonomie en 1932 qui fonde cette “Generalitat”. Au Parlement de Catalogne, l’ERC obtient la majorité et Lluis Companys est nommé président de la Generalitat.

En 1939, à la victoire de Franco après la guerre civile, ce statut est annulé. La Generalitat ne sera rétablie qu’en 1978 avec le retour de Josep Tarradellas. La transition démocratique, suite à 36 ans de dictature militaire, permet ensuite aux idées catalanistes de fleurir plus librement.

III. Enfin, le séparatisme dans la période actuelle

A. Pourquoi un élan renouvelé depuis les années 2000?

Maintenant que nous avons parcouru ensemble près de 500 ans de l’histoire, allant du régionalisme catalan au nationalisme, la situation se corse encore un peu. Ce que l’on appelle l’“indépendantisme catalan” est un courant politique dérivé du nationalisme. Il revendique une Catalogne indépendante de l’Espagne ainsi que l’instauration d’une République catalane.

Encore une fois et notamment depuis la crise de 2008, les revendications se font surtout au niveau économique, où le sentiment d’injustice est le plus poignant. En effet, LE chiffre de référence ici est ce 11% qui fait tant souffrir la population catalane: malgré le fait qu’elle contribue à hauteur de 18% au PIB espagnol (et 21% pour les recettes fiscales), la région ne reçoit que 11% des investissements publics nationaux. Résultat: la Catalogne endosse un déficit fiscal de 8% de son PIB. Comme les catalans sont techniquement “plus pauvres” après la redistribution, on dit que le système de fisc espagnol ne respecte par le principe d’ordinalité.

Maintenant, les principaux partis indépendantistes de la région sont:

  • Convergència Democràtica de Catalunya (CDC) : parti centriste catalaniste créé par Jordi Pujol. Elle incarnait CiU avec un autre petit parti (UDC) jusqu’en juin 2015, où les deux se sont séparés. Le 9 juillet 2016, la CDC est remplacée par le Parti démocrate Catalan.
  • Esquerra Republicana de Catalunya (ERC) : créée en 1931, elle milite pour l’indépendance des “Pays Catalans”, ces régions qui partagent la même langues (Catalogne, Baléares, le Roussillon français etc). Il est présidé par Orial Junqueras et fait partie de Junts Pel Si.
  • Candidatura d’Unitat Popular (CUP) : parti indépendantiste catalan de gauche radicale.

De l’autre côté, les partis d’envergure nationale tiennent des positions bien hétérogènes à ce sujet:

  • Partido Popular (PP de Mariano Rajoy): opposé aux tentatives de division de l’unité espagnole et défense du Statut des Autonomies qui doit reconnaître la Constitution Espagnole.
  • Partido Socialista Obrero Español (PSOE de Pedro Sanchez): également opposé à la tenue d’un référendum qui donne le droit aux citoyens de la région de se séparer de l’Espagne. Mais il propose un Pacte Politique avec la Catalogne qui reconnaisse sa spécificité et renforce ses compétences.
  • Ciudadanos (C’s d’Albert Rivera): opposé à l’idée de convoquer un référendum qui déboucherait sur une séparation. Mais ouvert à une réforme de la constitution pour favoriser la consolidation d’un statut catalan et clarifier les compétences nationales et régionales.
  • Podemos (Pablo Iglesias): propose la convocation d’un référendum en Catalogne pour que les citoyens de la région décident de la nature du lien territorial qui l’unit au reste de l’Espagne

B. L’enchaînement d’évènements

Puisque la période récente est surtout jonchée par un enchaînement d’événements qui s’inscrivent dans la grande marche vers une possible séparation, voici un tableau chronologique:

Dates clésEvénements
2003PSC et ERC lancent le nouveau statut d’autonomie de la Catalogne dans le but de rendre plus avantageux le système fiscal pour leur région (respectant le principe d’ordinalité).
2006Le texte est voté par le Parlement catalan, puis espagnol et enfin ratifié par référendum par les catalans.

Mais le PP dépose un recours contre ce nouveau statut auprès du Tribunal Constitutionnel, qui finit par jeter à l’eau tout le projet en 2010. C’est le véritable coup d’envoi de l’indépendantisme.
13 décembre 2009Un référendum populaire est organisé sur la question : “Etes-vous d’accord pour que la Catalogne devienne un Etat de droit, indépendant, démocratique et social, intégré dans l’Union Européenne?”

La participation est de 30% et le OUI gagne à près de 95%.
Juin 2010Après 4 années de délibération, le Tribunal rejette donc le nouveau Statut d’autonomie.
Une manifestation est organisée, dont le thème “Nous sommes une nation, nous décidons” a rassemblé tous les partis sauf le PP et C’s.
Novembre 2010Artur Mas est investi en tant que nouveau président de la Generalitat, après des élections au Parlement catalan gagnées par CiU (Convergencià i Unió).
2011Rajoy devient Président de la nation à la tête du PP, un parti qui refuse tout dialogue avec les leaders catalans au sujet de l’indépendantisme.

Désormais, le PP va envoyer au Tribunal Constitutionnel toutes les lois importantes votées par le parlement catalan, annulant de facto les compétences dont la région voulait se doter.
20 septembre 2012Artur Mas, alors président de la Generalitat, se réunit avec Mariano Rajoy pour lui proposer un “Pacto fiscal” à pour alléger les contributions fiscales de la région, à l’instar du consensus entre le gouvernement central et le Pays-Basque.

Cependant, Rajoy se nie à discuter ce pacte. Cela est interprété par la région comme le refus de leur dernière tentative de s’entendre avec le gouvernement.
23 janvier 2013Le parlement catalan vote pour la “Déclaration de Souveraineté y du droit à décider du peuple catalan” qui ratifie que le Parlement pourra désormais décider à lui seul de la nature de la région.
8 mai 2013Le Tribunal Constitutionnel annule cette déclaration en la qualifiant de “Défi à la Constitution”.
11 septembre 2013La Voie catalane vers l’indépendance prend place: une chaîne humaine de 400kms traversant la région du Nord au Sud et à laquelle prirent part plus d’1.5m de personnes. L’objectif ? Revendiquer l’indépendance de la Catalogne.
9 novembre 2014Consultation d’autodétermination: “Souhaitez-vous que la Catalogne devienne un Etat? Et dans l’affirmative, souhaitez-vous que cet Etat soit indépendant? “

La participation est de 33%, dont 80.7% répondent OUI à ces deux questions et se prononcent dès lors pour l’indépendance.

La tenue de ce référendum est jugée illégale par le gouvernement de Madrid. Cependant, il débouche sur un consensus avec Artur Mas, et annonce alors la tenue de nouvelles élections régionales le 27 septembre 2015 sur la question de l’indépendance.
27 septembre 2015Les indépendantistes remportent près de 48% des voix au Parlement régional (pas la majorité absolue) mais sont majoritaires en sièges grace à Junts Pel Si (ensembles pour le oui) et la CUP.
9 novembre 2015Une déclaration sur le lancement du processus d’indépendance de la Catalogne est adoptée par le Parlement catalan, alors que Ada Colau vient d’endosser le rôle de maire de Barcelone (issue de l’alliance indépendantiste Junts Pel Si).
Juillet 2016Les partis indépendantistes, ayant la majorité au Parlement Catalan, ont renouvelé le processus amenant à un vote pour la séparation de l’Espagne.
Ce “mécanisme unilatéral” vise à suspendre la validité des lois nationales en territoire catalan pour, à terme, faire adopter la première constitution catalane.

Un point plus technique: La Constitution espagnole affirme bien que l’Espagne est une nation indivisible (article 2). C’est pourquoi, si les catalans veulent organiser un référendum sur leur séparation de l’Espagne, ils doivent faire réformer la Constitution. Pour cela, il s’agit d’obtenir les 2/3 des voix au Parlement. Malheureusement, et surtout depuis l’arrivée de Rajoy au pouvoir, le PP s’est appuyé sur une majorité absolue au Parlement pour empêcher que cela se réalise.

Petit plus: les catalans veulent-ils réellement l’indépendance?

Le cas est, comme vous l’aurez peut-être déjà constaté, très similaire à la volonté du Royaume-Uni d’obtenir plus d’indépendance à l’égard de l’Union Européenne. Entre autres, les revendications économiques semblent au coeur de la frustration ressentie par la région / pays et constituent la source d’un certain sentiment d’injustice. C’est pourquoi, dans les deux cas, la menace d’indépendance a toujours été d’avantage une arme de pression sur le pouvoir central.

Cependant, il y a une différence importante entre les britanniques et les catalans: ces derniers ne sont pas majoritaires à vouloir l’indépendance. En effet, certains sondages comme celui du Centro de Opinion Publica de septembre 2015 indiquent que 50% des catalans ne veulent pas que leur région devienne un état indépendant, alors que 43% veulent une séparation.

Mais les conséquences des élections du 26 juin vont peut-être changer la donne…