Massimo d’Azeglio, l’un des principaux acteurs de l’unification (il Risorgimento) italienne, a déclaré : « Fatta l’Italia bisogna fare gli Italiani ». Cette phrase, prononcée il y a près d’un demi-siècle, semble pourtant garder tout son sens à l’heure actuelle comme le montrent les rivalités historiques entre le Nord et le Sud de l’Italie ou encore le « populisme italien » porté par Salvini depuis les élections de 2017. C’est pourquoi, il est encore légitime de se poser la question suivante : ça veut dire quoi « essere italiano » ?

La naissance de l’identité italienne

Après des siècles de domination étrangère et de divisions en plusieurs États de diverses grandeurs, l’unité italienne est achevée en 1861 avec la naissance du Regno d’Italia. Il est le point de départ (il punto di partenza) symbolique de la construction de l’identité nationale.

En effet, en 1861, l’Italie est encore bien loin d’être une nation (una nazione). Ce nouveau pays qu’est l’Italie est alors constitué d’une multitude d’États ayant des degrés de développement économique et social (sviluppo economico e sociale) très variés et dans lesquels, pour la plupart, on ne parle même pas la même langue. De plus, le Risorgimento n’a mobilisé que des secteurs limités de la population.

L’interview donnée par Padovani à Rai Educational en 2001 résume bien dans quelle mesure une identité nationale italienne semblait improbable : « Cos’era l’Italia par il contadino pugliese mandato a morire sul Carso? Cos’era l’Italia per il contadino friulano costretto ad emigrare in America? Che significato aveva la parola « patria » in un’Italia analfabeta, in cui si parlava solo in dialetto e in cui votava soltanto una minoranza dei cittadini maschi? »

Vous l’aurez sans doute compris : on peut en réalité difficilement parler d’une « naissance » de l’identité italienne. Il s’agit plus d’un processus qui s’inscrit dans une dimension historique et qui n’est toujours pas terminé à l’heure actuelle.

1861 est donc la date de la naissance de l’État, mais l’Italie est encore loin d’être une nation.

La difficile affirmation de l’identité italienne

Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale

À partir de 1925, le fascisme tente de s’appuyer sur cette identité nationale et de l’instrumentaliser via la propagande, en s’efforçant de la consolider afin de la faire coïncider avec l’identité fasciste. Or, l’alignement de plus en plus étroit de l’Italie sur l’Allemagne nazie dans la seconde moitié des années trente, érode le consensus dont le régime avait bénéficié jusqu’alors. La résistance italienne s’organise en parallèle, créant ainsi plusieurs identités nationales qui regroupent chacune une portion différente de la population.

Le boom économique (il miracolo) et l’Europe

Le boom économique des années 1960 et l’immigration des Italiens du sud vers le nord ont contribué à faire de l’Italie et de l’identité italienne ce qu’elles sont aujourd’hui. La société de consommation, la création de richesses et les échanges qui en ont découlé ont en partie unifié l’Italie.

Mais c’est sans aucun doute l’Europe qui a eu le plus gros impact sur ce processus. En effet, elle a obligé l’Italie à se considérer et à agir comme un pays ayant une identité propre. L’Italie a été l’unique pays européen qui a dû se soumettre à une taxe supplémentaire pour pouvoir accéder à la monnaie unique en 1996. Elle a également dû diminuer sa dette publique pour pouvoir participer pleinement au projet européen. Plus que n’importe quel fait ou évènement historique auparavant, l’Europe a forgé l’identité italienne. L’Italie a dû s’assumer comme une entité consciente d’elle-même et capable de sacrifices au sein d’une entité bien plus grande, et qui compte des identités nationales fortes à l’image de la France, à savoir l’Europe.

Les années 1990

Les années 1990 occupent une place importante en Italie. Elles marquent sans aucun doute un tournant historique et c’est pourquoi elles ont influencé la vision qu’ont les Italiens d’eux-mêmes.

Au niveau politique, le système italien, construit au lendemain de la guerre, s’effondre avec l’opération « mani pulite » marquant ainsi la fin de la Première République. Les identités et les cultures politiques qui structuraient l’Italie républicaine doivent se recomposer. De nouvelles identités nationales apparaissent à l’image de la Ligue du Nord (Lega Nord) qui s’efforce alors d’inventer un nouveau mythe identitaire et de tenir un discours presque séparatiste.

Il s’agit d’un facteur supplémentaire de crise pour l’identité nationale italienne qui est déjà fragilisée à ce moment-là.

Qu’en est-il aujourd’hui ?

Cette identité italienne est toujours en construction et doit faire face à de réels défis.

Les fractures économiques et sociales persistent

La plus profonde est sans aucun doute la fracture territoriale entre le Nord et le Sud. Cette fracture entre un Nord, industrialisé et dynamique, et un Sud, paysan et pauvre, est loin d’être récente, mais contribue à rendre difficile une entente entre tous les italiens. Cette fracture possède même une appellation : il s’agit de la question méridionale (la question meridionale).

La persistance des dialectes et des mentalités régionales

Ici, je vous renvoie vers l’article réalisé par Léa au sujet de la langue italienne depuis le Risorgimentohttps://major-prepa.com/italien/langue-italienne-naissance-risorgimento-evolution

Le populisme

La résurgence du populisme avec Salvini lors des élections de 2017 s’explique en partie par ces fractures persistances, tant d’un point de vue économique et social que linguistique. Ce type de populisme revendique justement une identité nationale forte face à l’extérieur et c’est sans aucun doute ce qui a contribué à la popularité de Salvini auprès des Italiens. Il est néanmoins encore trop tôt pour déterminer son impact sur l’identité italienne en tant que telle.

Conclusion

L’identité nationale italienne est encore aujourd’hui en construction. Elle repose sur des valeurs communes, sur une culture et surtout sur son histoire.

Parfois mise à mal et menacée, elle s’est néanmoins trouvée et affirmée au fil des années grâce au « miracolo économico » et à la construction européenne. Il s’agit d’évènements qui ont renforcé le sentiment d’appartenance à un collectif et qui ont éveillé les consciences nationales.

Finalement, il ne s’agit donc pas de quelque chose de figé et d’inscrit, qui répondrait à certains critères bien précis. L’identité italienne a toujours dû faire face à de nombreux défis : hier, le fascisme, et aujourd’hui, le populisme. Ce sont justement ces défis qui la forgent et qui la poussent à continuellement se repenser en tant qu’entité collective.