Tu t’es toujours demandé pourquoi les mugs à l’effigie de la reine d’Angleterre avaient un tel succès ? De même, tu t’interroges sur la symbolique de l’allégeance au drapeau, réalisée chaque jour par les élèves aux États-Unis, ou encore sur la signification du Dieu invoqué habituellement par les présidents américains ?

Cet article, à mi-chemin entre culture générale et sociologie, illustré par des éléments de civilisation, a pour but de t’éclairer sur les symboles et rituels sacrés anglo-saxons. C’est en effet le concept de « religion civile » (civil religion ou civic religion) que nous allons expliciter ci-après. Tu trouveras aussi, à la fin de l’article, la traduction anglaise d’un ensemble de mots qui pourraient t’être utiles sur ce thème.

Un détour par la notion d’imaginaire

L’imaginaire social, ou plutôt, les imaginaires sociaux ont un rôle fondamental dans la dimension collective. Il s’agit d’un ensemble de signes, de significations et de pratiques qui légitiment une société et permettent l’existence et le maintien du lien social. 

Parmi les imaginaires sociaux, on trouve l’imaginaire national (dont la religion civile d’un pays est une des manifestations). C’est à l’historien et politologue américain Benedict Anderson (1936-2015) que l’on doit la notion d’imaginaire national (national imagination). On parle aussi de communauté imaginée (imagined community).

La question qui est à l’origine des travaux du chercheur sur l’idée de nation et d’imaginaire est la suivante : pourquoi des individus s’identifient à leurs concitoyens alors qu’ils ne se connaissent pas et qu’ils ne pourront jamais tous se connaître personnellement ?

Selon Anderson, l’idée de nation, qu’il nomme le nationalisme, est en fait une construction historique et anthropologique faite par chaque civilisation. L’idée de communauté imaginée naît dans un espace limité puis se répand à l’échelle d’un pays. La nation est donc construite a posteriori. D’abord imaginée de manière abstraite, elle est ensuite matérialisée à travers les pratiques sociales concrètes des citoyens. Ces derniers partagent le même sentiment d’appartenance à la nation. Les frontières physiques de l’idée de nation sont celles du territoire auquel elle est associée et sur lequel elle prédomine.

La religion civile, une forme d’expression de l’imaginaire national

La religion civile est l’un des volets de l’imaginaire national. Elle se caractérise par un ensemble de croyances, de symboles et de rites qui font partie de l’imaginaire national, mais qui sont précisément relatifs aux choses sacrées et institutionnalisés dans une société. Il ne faut pas confondre la religion civile avec la religion « classique » pratiquée par une partie de la population, même si elles peuvent avoir un lien étroit.

Pour les sociologues Emile Durkheim (1858-1917), Marcel Mauss (1872-1950), Peter L. Berger (1929-2017) et Thomas Luckmann (1927-2016), un groupe social a besoin de se représenter son unité sous une forme sensible, c’est-à-dire à travers un certain nombre de symboles et de signes, reconnus par tous. Ces objets et symboles ne doivent pas être pris pour ce qu’ils sont, mais ils renvoient à autre chose, à un élément sacré, à l’unité du groupe et à la vie sociale. C’est parce qu’ils fédèrent, donnent sens au collectif et que les citoyens y croient que l’on peut parler de religion civile.

Le système de croyances permet à une société d’exister par l’expression du sentiment collectif. C’est aussi le fondement de l’ordre social comme grille de lecture d’un passé commun et instrument de mobilisation au présent. Mais concrètement, comment cela se manifeste-t-il en Angleterre et aux États-Unis ? À quoi ces populations croient-elles collectivement ?

La religion civile en Angleterre : un mélange de sacré et de profane

En Angleterre, on peut s’interroger sur la forme que prend la religion civile dans une société à la fois plurielle et fortement sécularisée. Comment se manifeste alors le sacré dans l’espace public britannique ?

La famille royale est un symbole institutionnalisé dans l’imaginaire national du pays : elle est un fédérateur particulièrement efficace et représente la nation, l’identité britannique. La religion civile britannique passe donc par le vecteur de la famille royale. La reine d’Angleterre est à la fois le chef du pays, mais aussi le chef de l’Église anglicane. La religion civile est donc liée à la religion chrétienne anglicane, mais la famille royale incarne bien plus le sentiment national que la doctrine chrétienne.

Exemple 1 : la mort de Diana

La mort de Diana en 1997 est une bonne illustration de l’expression de la religion civile en Angleterre. À peine le drame fut-il annoncé que des réactions très spontanées ont émergé de la part de citoyens aux profils très variés. Cela s’est manifesté par la multiplication de lieux de recueillements où les Anglais y ont déposé des objets de toutes sortes, avec ou sans lien avec la religion anglicane : photos, fleurs, objets, dessins, cierges, etc. Il s’agissait davantage de petites offrandes rassemblées autour d’autels dans de nombreux endroits du pays (mairie, centres commerciaux, mais aussi églises).

Ces éléments, plus ou moins formels, illustrent bien l’ambivalence de la religion civile anglaise, qui se situe à mi-chemin entre le religieux et le profane.

Source : KYW Newsradio

Les funérailles officielles ont ensuite été organisées par l’Église anglicane, mais elles ont, là encore, démontré la situation ambiguë entre sacré et profane. Des textes religieux ont été lus, mais une chanson populaire a été chantée par Elton John et le frère de Diana, le comte Spencer, a aussi fait un discours.

En fait, en cas de choc, de deuil violent, la religion civile s’appuie sur la religion principale pour rassembler, organiser et gérer l’émotion collective, avec toujours au centre la famille royale. Toutefois, même si on se tourne vers la religion majoritaire, les pratiques vont bien au-delà du sacré.

Exemple 2 : le jubilé de la reine

L’exemple du jubilé de la reine en mai 2002, illustre aussi à sa manière la façon dont la religion civile anglaise navigue entre sacré et profane, autour de la famille royale. À cette occasion, une cérémonie religieuse a été organisée par l’Église anglicane à la Cathédrale Saint-Paul de Londres. Néanmoins, huit responsables d’autres religions ont été conviés afin de manifester la diversité culturelle, ethnique et religieuse de la population anglaise.

Lors de la cérémonie qui a succédé à la messe, un ensemble de concerts (de musique pop, mais aussi du gospel), parades, danses (traditionnelles britanniques mais aussi afro-caribéennes) ont été organisés pour fêter la reine. La religion civile prend donc en compte la diversité de la population. La monarchie est garante de cette pluralité. La famille royale est le vivier de la religion civile anglaise.

Source : The Royal Mint blog

La religion civile américaine : un Dieu fédérateur

Aux États-Unis, on peut s’interroger sur la forme que prend la religion civile, et en particulier sur la figure du « Dieu » invoqué à moult reprises par les présidents.

Avant toute chose, il est important de souligner la pratique religieuse élevée ainsi que la pluralité de cultes qui caractérisent les États-Unis. 40 % des Américains sont des pratiquants réguliers (contre 10 % en France). La majorité est chrétienne et en particulier protestante : il existe plus de 800 églises ! Le judaïsme et l’islam sont aussi présents. Le premier amendement de la Constitution de 1791 stipule d’ailleurs que tous les cultes peuvent se développer et que l’État n’a pas de compétence religieuse.

Alors, comment fédérer les Américains autour d’une religion civile alors que le pays se caractérise par une grande pluralité de cultes ?

Dieu est fortement présent dans les discours politiques. De nombreux présidents (Bush père, Bush Junior, mais aussi Clinton, Eisenhower ou encore Carter) ont fait moult allusions religieuses dans leurs discours, invoquant un Dieu et faisant de la nation américaine une nation élue et bénie.

Il existe un flou autour de ce dernier car ce n’est pas le Dieu des religions monothéistes, c’est-à-dire le Dieu créateur. La religion civile américaine place en son centre une figure symbolique, un Dieu, qui rassemble et fédère un ensemble de citoyens et qui donne sens à l’existence de la civilisation étasunienne.

D’ailleurs, lors de la cérémonie d’investiture, c’est bien Dieu qui est évoqué devant la Constitution. Chaque président se doit de prononcer cette formule bien connue : God Bless You, God Bless America. La devise américaine va dans la même direction : In God we trust. Sur les billets verts, on trouve la mention « Under God ».

Source : Tenor GIF

Il s’agit donc d’un être suprême, qui fait vivre l’État américain. Le président apparaît alors comme le chef d’orchestre de cette entreprise nationale de religion civile.

C’est sous la bienveillance de ce Dieu, incarné par la politique américaine, que se perpétue d’ailleurs chaque année, le quatrième jeudi de novembre, la fête de Thanksgiving (en référence au repas partagé par les Pilgrim Fathers et les Indiens en 1620) et chaque jour l’allégeance au drapeau. De même, chaque premier jeudi du mois de mai depuis 1952, se tient le jour national de prière, invitant chaque citoyen à prier pour la nation.

Source : nationaldayofprayer.org

Récapitulatif du vocabulaire utile

  • Imaginaire social = social imagination
  • Imaginaire national = national imagination
  • Religion civile = civic religion/civil religion
  • Un concitoyen = a fellow-citizen
  • Partager = to share
  • Un symbole = a symbol
  • Un rite = a rite
  • Des rituels = rites
  • Une coutume = a custom
  • Un dogme = a dogma
  • Un historien = an historian
  • l’Histoire = history
  • Anthropologie = anthropology
  • Sentiment d’appartenance = sense of belonging
  • Une croyance = a belief
  • Croire = to believe
  • Un croyant = a believer
  • Une cérémonie = a ceremony
  • Des pratique sociales = social practices
  • Sacré = sacred/holy
  • Profane = pofane/secular
  • Sécularisé = secularised
  • La famille royale = the Royal family
  • Un autel = an altar
  • Le jubilé = the jubilee
  • L’investiture (pour le président étasunien) = the Inauguration Day