Le mois d’octobre a été très riche en actualités économiques, sociales et politiques dans le monde hispanique. En voici une synthèse, made in Major ! Bonne lecture !

Amérique latine

Des mesures libérales à l’origine de tensions en Équateur

Début 2019, le Fonds monétaire international (FMI) a octroyé à l’Équateur un prêt de 4,2 milliards de dollars. En échange, le président Lenin Moreno (élu sous l’étiquette socialiste) avait promis l’application de nombreuses mesures libérales (restrictions budgétaires…). À cet effet, celui-ci a déclaré, début octobre, supprimer les subventions sur le carburant, ce qui – mécaniquement – a augmenté le prix du galon d’essence et de diesel. Face au « Decreto 883 », de nombreuses manifestations ont eu lieu, avec en tête de file le mouvement indigène, communauté pauvre et donc sensible à l’augmentation du prix du carburant.

Après avoir accusé Nicolas Maduro et Rafael Correa (ex-président équatorien) d’orchestrer ces violentes protestations, le président a déclaré rapidement l’état d’urgence (le 5 octobre) et a déplacé le siège du gouvernement à Guayaquil, deuxième ville d’Équateur. Ces deux semaines de manifestations se sont terminées le 13 octobre, après que les parties prenantes se sont mises d’accord sur la rédaction d’un nouveau décret annulant le Decreto 883.

Au total, on dénombre sept morts, 1 340 blessés et 1 152 arrestations.

Pour en savoir plus sur la situation économique, politique et sociale du pays, je vous invite à lire la fiche pays concernant l’Équateur.

Tentative de destitution par la droite Fujimoriste au Pérou

Petit pays andin, le Pérou fait partie de ces économies qui souffrent énormément de la corruption. Ce phénomène a débuté sous le régime très autoritaire d’Alberto Fujimori (condamné pour crime contre l’humanité, notamment suite à la stérilisation forcée de nombreuses femmes) et s’est poursuivi sous toutes les autres présidences. En 2017, Pedro Pablo Kuczynski (PPK) est élu de justesse, mais se voit contraint de démissionner une année plus tard à peine, après avoir été mis en cause dans l’affaire Odebrecht. Depuis mars 2018, c’est donc Martin Vizcarra (ancien vice-président) qui dirige le Pérou.

Depuis sa prise de pouvoir, celui-ci s’est efforcé de lutter contre la corruption, notamment en modifiant les institutions péruviennes en vue de les rendre plus transparentes (référendum de 2018). Toutefois, n’ayant pas la majorité au Parlement, plusieurs de ses mesures ont été bloquées. En quête d’une majorité, ce dernier a annoncé le 30 septembre 2019 dissoudre le congrès en convoquant de nouvelles élections législatives. Cette annonce – bien que totalement légale au regard de la constitution péruvienne – n’a pas plu à l’opposition incarnée par le parti conservateur Fuerza Popular (issu de la dictature), qui a accusé le président de fomenter un coup d’État. Ce dernier, faisant fi de la dissolution, s’est rendu au congrès le lendemain et a voté la destitution du président. Ceci a acté le début de la crise politique.

Toutefois, cette situation rocambolesque n’a duré que très peu de temps. Très rapidement, Martin Vizcarra, soutenu par la population et l’armée, a retrouvé – après quelques manifestations – ses fonctions. Ainsi, le 5 octobre, il a déclaré que « cette confrontation avait été surmontée ». Depuis, le pays semble s’être stabilisé et il ne reste plus qu’à attendre le 26 janvier, date des prochaines élections législatives.

Le Chili : un modèle néolibéral à bout de souffle ?

Comme vous l’aurez certainement constaté à travers différents articles, le Chili vit, depuis le 18 octobre, la plus grande crise sociale de son histoire démocratique récente (depuis 1990). Ces manifestations ont d’abord été causées par l’augmentation du prix du ticket de métro, mais force est de constater que ce mouvement protestataire va bien au-delà. Malgré l’annonce de l’état d’urgence, d’un couvre-feu et de la suspension de cette mesure, le président libéral, Sebastian Pinera, n’arrive toujours pas à calmer les tensions, et pour cause : c’est le modèle économique chilien qui est remis en question à travers ces protestations.

Depuis le coup d’État de 1973, l’économie et la société chilienne sont dominées par une forme d’ultralibéralisme imposé par les tenants de l’école de Chicago (cf. Chicago Boys). Les privatisations excessives (santé, éducation, électricité…) effectuées sous le dictateur Pinochet et sous les gouvernements qui lui ont succédé, ont permis au pays de se développer, mais à quel prix ? Les inégalités sont aujourd’hui plus fortes que jamais et le Chili – bien que membre de l’OCDE – était le 14e pays le plus inégalitaire du monde en 2016. L’augmentation du prix du ticket de métro n’était finalement que la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Les revendications sont simplement de pouvoir mieux vivre, et ce, sans avoir à s’endetter pour acheter de la viande, pour se soigner ou pour s’éduquer.

Face à la persistance de ces manifestations, le président a demandé pardon reconnaissant un « manque de vision ». Il a ainsi décidé de remanier totalement son gouvernement et a récemment déclaré que son pays ne serait finalement pas en mesure d’accueillir la COP25. Affaire à suivre.

La Bolivie, nouveau Venezuela après les suspicions de fraude ?

Dimanche 20 octobre, avait lieu en Bolivie l’élection présidentielle. Celle-ci était d’une importance cruciale pour Evo Morales, en quête d’un quatrième mandat consécutif. En clair, il était candidat à sa ré-ré-ré-élection alors même que celui-ci avait perdu, en 2016, un référendum, lui interdisant de se représenter. Quoi qu’il en soit, ce dernier a été déclaré vainqueur (dès le premier tour) le vendredi 25 octobre, et ce, malgré les suspicions de fraudes importantes. En effet, le tribunal chargé de décompter les voix (TSE) a suspendu la diffusion du décompte pendant 24 h avant de recommencer à transmettre des résultats étrangement favorables au candidat socialiste. Cette manœuvre a permis à Evo Morales de ne pas tomber en ballottage.

Ces suspicions ont provoqué de grandes protestations en Bolivie entre les partisans de Carlos Mesa (l’opposant de centre droit) – qui a déclaré ne pas reconnaître les résultats – et les partisans du président socialiste encore très populaire. Celui-ci dispose encore d’un soutien relativement important au sein de la population (notamment chez les indigènes) grâce à la prospérité économique qu’il a su apporter au pays depuis 2006.

Plus de 20 ans après, l’Argentine dit à nouveau « non » à la politique d’austérité : retour sur l’élection de A. Fernandez

Après Nestor et Cristina Kirchner, le péronisme est de retour en Argentine après la victoire, lors du premier tour, d’Alberto Fernandez. L’élection qui s’est tenue le 27 octobre a d’ailleurs comme un goût de déjà-vu. Tout comme en 2002 avec Nestor Kirchner, Alberto Fernandez s’est fait élire sur un programme anti-austérité. Il ne reste plus qu’à voir s’il saura redresser l’Argentine en proie à une violente crise économique. 

Celui-ci devra en effet faire face à de nombreux défis. Tout d’abord, il devra engager des discussions qui risquent d’être délicates avec le FMI, suite à l’explosion de la dette argentine (demande de rééchelonnement). Celle-ci a en effet doublé au cours des dix dernières années pour atteindre 80 % du PIB en 2018. Il devra également tenter de résorber un taux d’inflation particulièrement élevé et une pauvreté qui s’est fortement accrue sous le mandat de son prédécesseur. En clair, la tâche est loin d’être facile, notamment lorsque l’on sait que les prévisions du FMI sont pessimistes. Selon les estimations, le PIB argentin devrait se contracter de 3,1 % en 2019.

La gauche uruguayenne sera-t-elle reconduite au pouvoir ? 

Malgré sa petite taille, l’économie uruguayenne est sans conteste l’une des plus robustes de la région. Depuis maintenant quinze ans, le pays est dirigé par le Frente Amplio, une coalition de gauche, qui a, entre autres, permis au pays de largement se développer. Depuis 2005, le taux de pauvreté a fortement diminué passant de 40 % à 8 %, l’avortement a lui été totalement légalisé, tout comme le mariage homosexuel et la consommation de cannabis. 

Le candidat Daniel Martinez (candidat pour le Frente Amplio) s’est donc appuyé sur un bilan plutôt positif pour remporter le premier tour de l’élection présidentielle du 27 octobre. Toutefois, rien n’est encore fait et il n’est pas certain que celui-ci remporte à nouveau l’élection lors du deuxième tour face à son opposant du parti national, Luis Lacalle Pou. Ce dernier, plus libéral, axe sa campagne sur la réduction du déficit budgétaire, du chômage et sur un renforcement de la sécurité. Rendez-vous, le 24 novembre pour savoir qui des deux sera le prochain président uruguayen. 

Est-ce le début d’une crise sociale au Panama ? Retour sur un projet de réforme qui déplaît

Les contestations qui embrasent l’Amérique du Sud sont bien arrivées jusqu’au Panama, petit pays pourtant réputé pour sa stabilité. Des affrontements ont éclaté le 31 octobre après qu’un projet de réforme constitutionnelle ait été largement amendé par des députés pour y introduire une motion visant à interdire le mariage homosexuel. Ceci a provoqué la colère des mouvements LGBT et de plusieurs organisations sociales qui ont manifesté au sein de la capitale. Nous aurons l’occasion d’en reparler, puisque cette réforme constitutionnelle sera soumise à référendum en 2020.

Espagne

Fortes mobilisations indépendantistes en Catalogne

Depuis le 18 octobre, la Catalogne est le théâtre de nombreuses manifestations indépendantistes. Ces protestations sont la conséquence directe de la condamnation, lundi 14 octobre, de plusieurs organisateurs du référendum illégal de 2017. Parmi eux, Oriol Junqueras, qui a écopé de 13 années de prison pour détournement de fonds publics

 Il est d’ailleurs fort à parier que ces violentes protestations (blocage de l’aéroport de Barcelone…) impacteront les élections législatives du 10 novembre. L’ERC (gauche républicaine de Catalogne), parti donné gagnant selon les sondages, risque notamment de perdre quelques voix depuis que le parti anticapitaliste d’extrême gauche a décidé de se présenter.

Les élections législatives de novembre

De leur côté, les différents partis de droite (Cs, PP et Vox) profitent justement de la résurgence de la crise catalane pour critiquer fortement Pedro Sanchez (PSOE), accusé de laxisme. Ce dernier cherche justement à maintenir une position modérée, ce qui ne semble pas être facile vu les attaques qu’il subit. Le groupe de gauche radicale Podemos fait face, lui aussi, à des difficultés et est en perte de vitesse depuis qu’Iñigo Errejon – ancien numéro deux – a annoncé créer son propre parti : Mas Pais. Quoi qu’il en soit, il semble que tout ceci fasse le jeu du parti d’extrême droite, Vox, qui pourrait arriver en troisième position lors des élections en novembre.

Finalement, la situation institutionnelle en Catalogne n’est pas plus mauvaise qu’en Espagne, où les partis semblent incapables de trouver des arrangements en vue de former potentiellement un gouvernement. Pour rappel, il s’agira de la quatrième élection législative en quatre ans.

Franco et la vallée de « los caidos »

Quarante ans après la mort du dictateur, ce dernier a finalement été exhumé le jeudi 24 octobre. Il s’agit là d’une grande réussite pour le gouvernement de Pedro Sanchez qui avait fait de cette mesure l’une de ses priorités lors de son arrivée au pouvoir en juin 2018. Franco rejoindra désormais le caveau familial, permettant ainsi à la vallée de los caidos de ne plus abriter l’instigateur d’une guerre civile qui aura fait plus de 145 000 morts. Pour rappel, ce monument avait été construit en l’honneur du dictateur par des prisonniers politiques et renfermait les ossements de plus de 33 000 victimes de la guerre civile (nationalistes et républicains).