Franco

Les textes hispanophones proposés aux écrits et aux oraux de l’ENS en A/L ont souvent un lien avec un cadre historique. L’histoire espagnole contemporaine a notamment été utile lors de la dernière épreuve écrite d’espagnol au concours ainsi qu’en 2017. Maîtriser les grandes périodes de la guerre civile à la transition démocratique te sera donc indispensable pour réussir ! Cet article te donne les clés de compréhension des grands enjeux historiques et littéraires du XXᵉ siècle en Espagne.

La guerre civile espagnole (1936-1939)

Pour rappel, dans les années 1920, l’Espagne est pendant sept ans sous la dictature militaire de Miguel Primo de Rivera. S’ensuit la Deuxième République qui dure de 1931 à 1939. La bascule vers la dictature franquiste se fait à la suite de la guerre civile, qui constitue un tournant sur les plans historique et littéraire.

Le soulèvement nationaliste du 17 juillet 1936

Depuis 1934, les milieux militaires, conservateurs et nationalistes s’agitent. Ils sont antirépublicains et se structurent autour de la Phalange. Cette organisation a été fondée par José Antonio Primo de Rivera, fils de l’ancien dictateur. Sa sœur Pilar crée par ailleurs une Sección Femenina. On y défend l’idée, entre autres, que « la seule mission assignée aux femmes est le foyer ».

À l’aube de la guerre civile, la Phalange est en mauvaise posture. L’organisation est interdite et les nationalistes obtiennent des résultats mitigés aux élections remportées par le Frente popular en 1936. Cette large coalition réunit l’ensemble de la gauche, des socialistes aux communistes. Elle effraie une partie des élites qui craignent de potentielles mesures anticléricales et une influence soviétique accrue.

De fait, le mécontentement des militaires majoritairement conservateurs monte. Le soulèvement débute en juillet à Melilla, dans le Maroc espagnol. Le rendez-vous est fixé le 17 à 17 heures (el 17 a las 17 horas). Malgré tout, les historiens retiennent souvent le 20 juillet 1936 comme le début de la guerre civile. À cette date, le coup d’État n’a pas permis aux généraux de prendre le pouvoir, mais le pays est coupé en deux. Les républicains contrôlent l’Espagne industrielle et urbaine, et les putschistes une partie des régions rurales.

Au départ, le général Sanjurjo mène le mouvement, mais celui-ci succombe dans un accident d’avion au tout début du conflit. Primo de Rivera meurt condamné et fusillé par les républicains. Ainsi, ne restent que les généraux Mola et Franco. Le premier disparaît également dans un accident d’avion. Le second accède au pouvoir par un concours de circonstances et du fait de sa proximité avec Hitler et Mussolini.

La fin de la guerre civile

Dans un premier temps, la guerre est difficile pour les putschistes qui sont défaits à Madrid en 1936. À l’automne 1937, ils s’emparent cependant du nord du pays (Asturies et Pays basque). C’est dans le cadre de cette opération qu’a lieu le tristement célèbre bombardement de Guernica par la légion Condor allemande.

Ensuite, la guerre bascule après la bataille de Teruel (début 1938) qui scinde le territoire républicain en deux. La Catalogne tombe début 1939, suivie de Madrid, elle aussi bombardée par la légion Condor. Franco mate brutalement les dernières résistances républicaines. Le 1er avril 1939, dans une lettre signée El Generalísimo, ce dernier annonce : « La guerra a terminado. » (La guerre est terminée.)

Conséquences de la guerre civile dans la littérature

La République espagnole a été un Edad de Plata (un âge d’argent) pour la littérature et la culture. Les générations de 1898 et de 1927, marquées par l’influence du modernisme et d’auteurs célébrissimes comme Federico García Lorca, atteignent leur apogée avant la guerre civile.

Sous l’ère républicaine, un enseignement libre se développe et des missions pédagogiques luttent contre l’analphabétisme. On met en place des bibliothèques ambulantes, de nombreuses conférences, des expositions au Prado à Madrid et des projections de films. García Lorca, avec sa troupe la Barraca, sillonne l’Espagne rurale pour y jouer des pièces de théâtre classique.

La guerre civile décapite ce mouvement intellectuel. La plupart de ces auteurs sont forcés à l’exil et dénoncent le régime depuis l’étranger. C’est le cas des poètes Rafael Alberti et Vicente Aleixandre. D’autres sont tués lors du conflit. On peut citer Miguel HernándezManuel Machado et García Lorca, dont la dépouille n’a pas été retrouvée.

Les débuts et le cœur de la dictature franquiste (1939-1970)

Le 1er avril 1939 se met en place le régime franquiste. L’universitaire Daniel-Henri Pageaux le décrit comme « un national catholicisme incapable d’évoluer ». Si la dictature évolue en fonction d’évènements extérieurs et des bouleversements économiques et sociaux, elle ne remet pas en cause ses fondements. C’est pourquoi on constate une censure constante pour ce qui est des arts et de la littérature, mais aussi de la langue catalane.

Les années 1940 : l’écrasement des vencidos (les vaincus)

Les débuts de la dictature sont difficiles pour les vaincus et les plus pauvres. On parle des années 1940 comme des années de la faim. De fait, il s’agit d’une période de violences, où la population cherche à survivre. Cette réalité est couverte par la propagande triomphaliste du régime.

Cette propagande oppose les vencedores (les vainqueurs) aux vencidos. C’est dans ce contexte qu’est construite el Valle de los Caidos (qu’on peut traduire comme « la Vallée de ceux qui sont tombés »). Il s’agit d’un vaste sanctuaire surplombé par une croix de plus de 150 mètres de haut. Il est censé honorer tous les morts de la guerre civile. En réalité, il résonne comme une humiliation pour les républicains. Déjà parce que ce sont des prisonniers des franquistes qui ont construit le monument, mais aussi parce que leurs défunts y sont enterrés dans des fosses communes. L’édifice a récemment fait l’objet d’âpres débats sur la mémoire historique en Espagne.

Dans la littérature

En littérature, on constate deux camps. D’une part, les auteurs qui se sont ralliés au régime et qui contribuent à la propagande. De l’autre, des auteurs qui dénoncent les conditions de vie atroces. On parle parfois de néoréalisme ou de tremendismo (terribilisme) pour décrire cette esthétique romanesque de la violence crue et de pessimisme existentiel.

L’auteur le plus célèbre de ce mouvement est le prix Nobel Camilo José Cela avec ses romans La familia de Pascual Duarte (1942) et La Colmena (1951). On l’a souvent décrit comme le Sartre ou le Camus espagnol en raison de la portée existentialiste de ses textes. Il est également un exemple d’auteur ciblé par la censure. La Colmena doit s’exporter en Argentine pour être publiée… Des poètes s’engagent, à l’image de Gabriel Celaya avec sa « poésie sociale ». Il dénonce les conditions de vie difficiles de ses contemporains, tout en rappelant le souvenir glorieux des anciens et des exilés.

Les années 1950 et 1960 : une ouverture de façade

Dans les années 1950, l’Espagne est reconnue par la communauté internationale grâce à l’intervention des États-Unis. Cette « ouverture » se poursuit avec le miracle économique espagnol et le développement touristique. Ces évolutions économiques s’expliquent par la présence de technocrates de l’Opus Dei au gouvernement. Il s’agit d’une institution de l’Église catholique qui a été accusée d’avoir collaboré avec plusieurs régimes autoritaires du monde hispanophone.

Ces nouveaux ministres technocrates s’imposent face aux représentants de la Phalange. Comme l’explique Daniel-Henri Pageaux, ces interventions extérieures influencent le franquisme. Pour autant, la dictature ne s’en trouve pas transformée en son cœur. La censure, les restrictions économiques et de liberté se poursuivent pendant cette période.

Elle motive de nombreux auteurs à s’engager. On parle de realismo social. On trouve dans ce courant de nombreux romans écrits par des niños de la guerra (enfants de la guerre) nés pendant ou peu avant la guerre civile. On peut citer Sánchez Ferlosio ou encore Goytisolo. Ils écrivent dans un style plutôt épuré pour s’assurer de la bonne compréhension et de la diffusion de leur message. Cette simplicité sera remise en cause dans les années 1960 au moment où explose le Boom de l’autre côté de l’Atlantique (essor de la littérature latino-américaine). Les mêmes romanciers du realismo social chercheront alors une écriture plus élaborée.

Dans le théâtre

Cet engagement se retrouve au théâtre avec des auteurs comme Buero Vallejo. Son engagement républicain le conduit en prison, mais ne le dissuade pas d’écrire. Ses pièces sont parfois teintées d’existentialisme et soulignent tant l’absurde de la condition humaine que les vices de son époque. Une de ses pièces les plus célèbres est Historia de una escalera (Histoire d’un escalier). On peut également citer le théâtre de l’absurde de Mihura qui crée la revue La Codorniz (La Caille) qui eut de nombreux problèmes avec la censure.

Les années 1970 : du « franquisme tardif » à la transition démocratique

L’essoufflement du franquisme

Une partie des ministres emblématiques des années 1950 et 1960 font l’objet d’importants scandales financiers. Ils auraient détourné des millions de pesetas au détriment de l’État espagnol. On remplace donc par un gouvernement représentatif de la haute bourgeoisie ceux qui formaient la colonne vertébrale du régime depuis plus de vingt ans. Franco est très affaibli et s’efface de plus en plus jusqu’à sa mort le 20 novembre 1975.

Par ailleurs, en vertu de la loi de succession de 1947, c’est le prince Juan Carlos de Borbón qui devient roi d’Espagne. Il doit à présent composer les trois corps franquistes : l’armée, le Mouvement national (parti unique) et les Cortes franquistes. Il s’allie aux aperturistas (littéralement « ceux favorables à l’ouverture ») qui soutiennent une réforme du régime. Il doit en revanche faire face aux bunkeristas, les franquistes hostiles à toute transformation sociétale ou politique.

La construction politique de la transition démocratique

En 1976, Juan Carlos Ier nomme Adolfo Suárez président du gouvernement. Ensemble, ils prévoient une série de réformes permettant la transition démocratique. Le vote d’une amnistie générale a lieu en juillet 1976. Elle permet la libération des prisonniers politiques et de conscience. En novembre a lieu le « hara-kiri » des Cortes franquistes qui votent leur propre dissolution.

Ensuite, on observe un retour légal des partis de gauche dans la vie politique espagnole. En 1977, les Espagnols élisent l’assemblée constituante lors d’élections remportées par Suarez. En décembre 1978, la nouvelle constitution garantissant le système politique démocratique est approuvée par référendum.

Cet engagement de Juan Carlos explique sa grande popularité au début de son règne. Cet héritage démocratique confronté aux scandales financiers qui l’ont touché dans les années 2000 et 2010 font de lui une figure paradoxale.

Les conséquences de cette transition dans la littérature

La période du « franquisme tardif » est propice à l’expérimentation en littérature. On observe notamment un développement de la science-fiction et du roman policier (on peut citer les œuvres de Vázquez Montalbán).

Par conséquent, contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, la fin du franquisme ne rime pas avec une explosion immédiate de la production littéraire. On va cependant constater une diversification des thèmes et des styles qui se fait progressivement. Ces évolutions restent loin d’un « Boom à l’espagnole ».

Cette période est néanmoins marquée par la redécouverte en Espagne des romans écrits par les nombreux exilés. On peut citer Ramón J. Sender ou Rosa Chacel.

En conclusion

Le franquisme est une période paradoxale. Elle est marquée par un immobilisme résolument et archaïquement conservateur et antidémocratique. Pour autant, cette inflexibilité ne l’empêche pas d’être une période extrêmement riche historiquement et littérairement.

La maîtriser est indispensable non seulement pour comprendre un certain nombre de textes littéraires, mais aussi pour saisir certains débats politiques qui déchirent encore l’Espagne.