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Dans le cadre du programme de lettres sur la prose, tu trouveras dans cet article un bref résumé de l’ouvrage critique Le Récit poétique de Jean-Yves Tadié.

Présentation

L’auteur

Jean-Yves Tadié est un écrivain et biographe français, professeur émérite à l’université Paris-Sorbonne, né en 1936. Il est diplômé de l’École normale supérieure (promotion 1956), agrégé de lettres et docteur de lettres.

L’œuvre : Le Récit poétique

Il s’agit d’un ouvrage de critique littéraire déterminé à prouver l’existence d’un genre littéraire autonome, à savoir le récit poétique. Il en relève les caractères, à travers des œuvres françaises du XXᵉ siècle, dont certaines sont très connues (Breton, Cocteau, Giraudoux, Gracq) et d’autres, plus méconnues (Limbour, Jouve, Supervielle). L’analyse épouse l’écriture des textes que Tadié commente et renouvelle ainsi la définition même de la prose.

Introduction à l’ouvrage

Prose et poésie : deux concepts qui se rejoignent

Jean-Yves Tadié souligne en premier lieu que l’étude de la poétique se fonde sur le fait que le texte « moderne », par opposition au texte « classique », abolit la vieille distinction entre les genres littéraires, brouille les frontières, s’assoit sur l’estran du roman et de la poésie. La distinction entre la prose et la poésie est en effet bien moins nette aujourd’hui qu’au temps où la poésie était considérée comme le genre noble par essence. La définition contemporaine des genres ne s’opère qu’en se rattachant aux textes classiques.

D’autre part, la poétique est intéressante, car elle permet de révéler des ensembles littéraires qui passeraient inaperçus, parce que leurs éléments seraient restés dispersés sous diverses étiquettes qui leur conviennent mal. La poétique est donc un nouvel outil qui permet de nommer ce que la tradition classique ne nous permettait pas d’identifier.

Une telle approche ouvre ainsi une nouvelle conception littéraire. Le poème en prose se construit grâce à des formes empruntées à la fois à la prose et à la poésie. Les contes et les romans fantastiques ne peuvent se perdre dans l’histoire du roman ou du conte, ni même se confondre avec l’étrange et le merveilleux. La poétique doit travailler aussi sur les frontières entre les genres, c’est-à-dire les contours de la littérature.

Qu’est-ce qu’un récit ?

Ainsi les différences littéraires ne tiennent-elles donc pas à des oppositions brutales comme l’affrontement entre prose et poésie, mais à des nuances plus fines, variables, tangibles. Tout roman a une part de poésie et tout poème est, à un certain degré, récit. C’est donc ce que veut montrer Jean-Yves Tadié dans Le Récit poétique. Pour y parvenir, il s’agit d’abord de définir ce qu’est un récit.

« Tout récit est une relation d’événements, que l’on raconte et que l’on relie. L’exposé consacré à un sentiment n’est qu’une analyse ; à des paroles, il est un discours ou un dialogue ; et l’on ne peut rapporter une succession de sentiments, ou de paroles, que lorsqu’ils prennent forme d’événements. »

Et pour Jean-Yves Tadié, le récit est présent dans tous les genres littéraires et, par-delà, dans toutes les formes d’expression. Et, puisque le récit relie avec nécessité personnages et événements, il est possible d’affirmer, d’une certaine manière, que le récit est une version épurée du roman.

Pourquoi parle-t-on de récit poétique ?

Le récit poétique est la forme du récit qui emprunte au poème ses moyens d’action et ses effets, si bien qu’il doit être lu et analysé sous l’angle du poème et du roman. Autrement dit, le récit poétique est un « phénomène de transition » entre roman et poème. Le critique doit donc chercher à proposer une théorie, un cadre de pensée qui sera ensuite validé ou non par la lecture des textes.

L’hypothèse initiale formulée par Tadié est celle que le récit poétique conserve la fiction du roman. Des personnages auxquels il arrive quelque chose. Et, en parallèle, certains procédés relèvent de la poésie. Il existe donc un conflit permanent entre la « fonction référentielle » du roman qui doit « représenter » et la « fonction poétique » qui se concentre sur la forme du propos.

Jean-Yves Tadié reprend ici l’analyse de Jakobson qui explique que la poésie commence avec un système de parallélisme. Il part de cette idée pour souligner qu’il y a dans le récit poétique un système d’échos, de contrastes, de reprises. Dans le récit poétique, la figure de rhétorique qui s’assoit tout particulièrement sur l’estran entre roman et poésie est la métaphore. En effet, la figure poétique de la métaphore se signale par une « fréquence analogue à celle du poème ».

« Récit de métaphores, le récit poétique peut se définir par la progression linéaire de similarités, ou par la similitude des associations par contiguïté. »

Les caractéristiques du récit poétique pour Jean-Yves Tadié

Les personnages

Ensuite, Jean-Yves Tadié s’intéresse à la fonction et à la forme des personnages dans le récit poétique. Il souligne que les personnages sont parfois absorbés par la narration, « dévorés par le narrateur », surtout lorsqu’il est aussi le protagoniste. Et cet effacement des personnages laisse une place privilégiée au décor, à l’espace, à l’environnement [on peut penser ici à Mrs Dalloway ou Les Vagues de Woolf].

« Peut-on imaginer un récit poétique d’où ils soient absents ? Ce qui relève, en apparence, du contenu dicte la forme même du récit. Parce que récit, il échappe à la contemplation immobile, qui a de préférence sa place dans le poème – ou le tableau. Tout récit poétique, pour durer au sein de la Nature, doit se faire itinéraire : Homère en a donné l’exemple, et l’épopée, mais après plus de vingt siècles, Nerval dans Sylvie, Aragon dans le Paysan de Paris, Gracq dans la Presqu’île le suivent encore. »

Espace et rythme comme éléments incontournables

L’espace du récit poétique est toujours ailleurs, ou au-delà, parce qu’il est un voyage orienté et symbolique. Le recours aux images accroît alors ce mouvement, car chaque phrase glisse de niveau par l’usage de figures rhétoriques littéraires. « L’espace du monde » tel que le représente le livre s’accorde avec « l’espace du langage » qu’incarnent les figures.

Le rythme a donc un rôle important à jouer dans le récit poétique. Le récit est par essence discontinu, fragmenté, car tout ne peut être dit. Or, le « déroulement brisé » du récit poétique tire sa force des procédés de répétition, depuis les mots jusqu’aux événements. Pour Tadié, « le déroulement de la narration est un enroulement », car, bien entendu, le récit poétique ne se livre pas d’emblée au lecteur. Un sens obscur, un principe d’ambiguïté en émerge donc et se dérobe à la fois dans son dénouement.

« L’aventure unique, à travers ses manifestations variées, variations d’une manifestation, que retrace le récit poétique, entraîne et réclame une structure qui, même sous les dehors parfois trompeurs d’une rapsodie, à l’unité, à l’harmonie, le fondu du poème plutôt que l’hétéroclite du roman. » « La double nature de ces livres entraîne qu’au moment de connaître sinon notre monde, du moins un monde imaginaire, le sens se fonde dans un langage tyrannique et qu’au moment de jouir de ce langage se repose l’énigme des significations : tel est le lieu de l’échange entre le récit et le poème. »

Quelques citations et extraits

Tu trouveras ci-dessous un pot-pourri de citations tirées de l’ouvrage Le Récit poétique de Jean-Yves Tadié pour stimuler ta réflexion ou bien t’entraîner sur de potentiels sujets de dissertation.

Chapitre « Les personnages »

« Sur le champ du roman à personnages détruit ne se dresse plus que l’envahissante présence du romancier : tout ce qu’il a retiré aux êtres autonomes du roman classique, il se le donne à lui-même sous la forme du narrateur. Combien de récits poétiques sont écrits à la première personne ! C’est ce qu’affirme Giraudoux : ‘J’écris toujours à la première personne, parce que je ne veux pas faire l’artifice de créer un autre personnage. D’ailleurs, je ne considère que ce que je fais comme une espèce de divagation poétique’. Peu importe de distinguer entre le récit autobiographique en apparence, où le je renvoie à une aventure réellement arrivée (Nadja), celui où le je est fictif, et les récits où le héros est présenté à la troisième personne. […] Ce qui compte, c’est la solitude d’un héros dont la masse, sous la forme d’une répétition pronominale obsessionnelle, présence multipliée, occurrence incessante, a pour caractéristique essentielle d’être une forme vide. Dans les romans personnels du XIXᵉ siècle, d’Adolphe à Dominique, le protagoniste ne construit pas le monde, il le subit ; je ou il, là aussi, le héros est le même. »

Chapitre « La structure du récit poétique »

« Dans le récit poétique, où la signification joue un rôle considérable, la structure, comme dans tout récit, est d’abord prosaïque, linéaire, horizontale. Elle relie les diverses étapes de l’odyssée du héros à travers les espaces et les instants, on l’appelle syntagmatique. Mais elle est aussi poétique, verticale isotopique : des phrases, des segments ou chapitres et, finalement, le récit tout entier ont une pluralité de significations superposées ; de plus, ces segments ou unités de grandeurs diversifiées, se font écho dans une série de comparaisons ou de métaphores structurelles. »

« La construction du récit poétique utilise à la fois les ressources de la prose et celles du poème, en diluant ces deux types de contrainte, parce qu’il est moins tenu à l’enchaînement linéaire que le roman, et qu’il est évidemment libéré de la versification. »

Chapitre « Le style du récit poétique »

« Le poème-récit peut être supérieur au récit poétique en prose. Celui-ci ne peut pas tout dire : pour rester poétique, il faut choisir un certain type d’événements, de personnages, de temps et d’espace ; il n’est pas plus libre de sa matière que les vases liturgiques, c’est sa matière qui lui donne forme. En revanche, le poème peut tout raconter, le Transsibérien comme le Calvaire, le ‘pyrogène à cheveux rouges’ comme la ‘mort des amants’ : les secrets du langage donnent à la surface – et tout, d’abord, surface – les arrière-plans qui lui manquaient. La peinture transforme le monde en poésie ; le récit poétique en prose suggère, lui, un monde poétique : la poésie de son sujet est inversement proportionnelle à celle de ses moyens. »

C’est tout pour cet article, nous t’invitons à consulter cet ouvrage si celui-ci a piqué ta curiosité et ainsi obtenir d’autres citations et exemples utiles pour l’épreuve de lettres !

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