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Dans cet article, nous te proposons une fiche de lecture de chapitres particulièrement utiles de Poétique de la prose de Todorov, qui pourrait te servir pour tes explications de texte littéraire et pour la révision des oraux ! N’hésite pas à consulter notre article sur l’analyse de texte sur Le Pain de Ponge !

L’ouvrage de Todorov

Dans cet ouvrage, Todorov part d’une analyse minutieuse des formes et des fonctions du récit. Il construit une réflexion où est mise en question la préséance de l’intérieur sur l’extérieur, de l’original sur le dérivé, de la présence sur l’absence, de l’être sur l’autre. Il se fonde sur les grands moments de l’histoire de la narration pour former l’objet de ce livre : L’Odyssée et les Mille et Une Nuits, le Graal et le Décaméron.

Nous te proposons ici l’analyse de deux chapitres que nous considérons comme les plus importants : « Le récit primitif » et « Les transformations narratives ».

Le récit primitif : L’Odyssée

Tout d’abord, Todorov nous explique que le récit primitif n’est pas une fiction fabriquée pour les besoins de la discussion. Il s’agit d’un texte fondateur qui a donné au récit toutes les lois de son esthétique. Les principales sont :

  • la loi du vraisemblable : un personnage doit agir et s’exprimer selon une certaine vraisemblance psychologique ;
  • la loi d’unité des styles : le bas et le sublime ne peuvent pas se mêler ;
  • la loi de la non-contradiction : deux passages doivent s’enchaîner, il ne doit pas y avoir « incompatibilité référentielle ». Les passages qui n’obéissent pas à ce principe sont inauthentiques ;
  • la loi de la non-répétition : dans un texte authentique, il n’y a pas de répétitions.

Or, Todorov souligne que L’Odyssée ne répond pas à tous ces critères. Il en conclut donc qu’il n’y a pas de récit primitif. Aucun récit n’est naturel parce qu’un choix et une construction présideront toujours à son apparition. Il s’agit d’un discours et non d’une série d’événements liés sans vision, de façon mécanique et froide. Todorov explique donc qu’il n’y a pas de « récit propre », mais seulement des « récits figurés ».

Avant le chant

Le récit se sert de différents types de discours aux propriétés très différentes : la parole-action et la parole-récit. La parole-action consiste à accomplir un acte qui n’est pas seulement l’énonciation de ces paroles. Et cette parole implique souvent un risque pour celui qui parle. La parole est alors considérée comme performative. Par exemple, toute la vengeance d’Ulysse dans laquelle il alterne ruses et audaces se traduit par une série de silences et de paroles, les uns étant commandés par sa raison, les autres, par son cœur. En somme, parler, c’est assumer une responsabilité, c’est prendre un risque.

Cependant, si la parole-action est considérée comme un risque, la parole-récit est un art. Le discours devient alors un plaisir, une joie. Dans L’Odyssée, le champion incontesté de la parole-récit est l’aède, nous dit Todorov. L’admiration générale va à l’aède, car il sait bien dire, il sait bien raconter. Autrement dit, c’est un bonheur de l’écouter.

La parole-récit trouve également sa sublimation dans le chant des sirènes, dont le chant est le plus beau sur Terre. Todorov considère les sirènes comme un aède qui ne s’interrompt pas. Il s’agit donc d’un degré supérieur de la poésie, de l’art du poète. Et en même temps, il s’agit de l’acte le plus violent qui soit, car se laisser emporter par le chant des sirènes équivaut à se donner la mort. Le chant des sirènes est ainsi cette poésie qui doit disparaître pour qu’il y ait vie, et cette réalité doit mourir pour que naisse la littérature.

La parole feinte

À ces deux types de paroles s’ajoute un autre registre verbal, très répandu dans L’Odyssée, qu’on peut appeler la parole feinte. Ce sont les mensonges proférés par les personnages. On peut désigner ces mensonges comme un décalage visible qui s’opère entre la référence et le référent, entre le sens et les choses. Cependant, la parole feinte ne se cantonne pas au récit. En d’autres termes, parler pour mentir n’égale pas parler pour constater, mais parler pour agir. La parole feinte est donc à la fois récit et action.

« Le constatif et le performatif s’interpénètrent sans cesse », nous dit Todorov à propos de la parole feinte. Il pousse cependant le raisonnement plus loin en appliquant cette interpénétration au récit lui-même. On frôle toujours le mensonge, tant qu’on est dans le récit. Il en conclut que « dire des vérités, c’est presque déjà mentir ».

Les transformations narratives

Todorov souligne que la théorie littéraire est sans cesse menacée par deux dangers antithétiques. Soit on bâtit une théorie structurée, mais stérile ; soit on se contente d’énoncer des constats qui ne forment pas de réelles thèses. On peut aussi se contenter de décrire des genres à travers une analyse historique ou plutôt en suivant les constructions de la tradition critique. On peut encore dire que la combinaison de différentes techniques littéraires construit un système de genres. La vision de la littérature est alors extrêmement limitée.

Or, le but d’une théorie des genres est de nous expliquer le système des genres existants : pourquoi ceux-là et non d’autres ? La distance entre la théorie et la description reste irréductible.

Todorov déplore l’absence de théorie du récit pendant un long moment

On se contentait de remarques, de rapides analyses sur l’organisation d’un récit. Propp a permis d’apporter une première théorie du récit en travaillant sur la structure des contes de fées. Il postule que la structuration du récit répond à un schéma précis et repris dans chaque conte. Il a ainsi ouvert un angle mort de la théorie du récit. De nombreux travaux ont repris son analyse pour tenter de préciser sa pensée, et surtout pour combler le vide entre la généralité de sa théorie et la singularité des récits.

Todorov y voit donc l’avènement d’une nouvelle approche théorique du récit, qui se situerait entre la généralité de la théorie littéraire et la singularité des récits. Dans la spécification de la théorie se trouverait, non plus le général, mais le générique ; non plus le générique, mais le spécifique.

Il développe ainsi le concept de transformation narrative, qui se situe précisément comme un « intermédiaire ». Il procède en trois temps. Par une lecture d’analyses déjà existantes, il montre à la fois l’absence et la nécessité de cette catégorie. Dans un deuxième temps, il décrit son fonctionnement et ses variétés. Enfin, il évoque rapidement les utilisations possibles de la notion de transformation narrative.

Les transformations narratives qu’il évoque relèvent de l’aspect syntaxique. Il distingue d’autre part les niveaux d’analyse suivants : le prédicat (ou motif, ou fonction), la proposition, la séquence, le texte.

Lecture

« Propp refuse toute analyse paradigmatique du récit. […] C’est ce qui a provoqué une réaction, également inadmissible à mes yeux, chez certains commentateurs de Propp (Lévi-Strauss et Greimas) qui refusent toute pertinence à l’ordre syntagmatique, à la succession, et s’enferment dans un paradigmatisme tout aussi exclusif. […]

Dans le cas qui nous intéresse ici, et pour dégager la catégorie de transformation, fondamentale pour la grammaire narrative, nous devons combattre le refus par Propp de toute perspective paradigmatique. Sans être identiques entre eux, les prédicats que l’on rencontre au long de la chaîne syntagmatique sont comparables, et l’analyse a tout à gagner en mettant en évidence les rapports qu’ils entretiennent. »

Application

Une des applications de la transformation narrative est la possibilité de caractériser des textes par la prédominance quantitative ou qualitative de tel ou tel type de transformations. Todorov reproche à l’analyse du récit d’être incapable de rendre compte de la complexité de certains textes littéraires. Or, la notion de transformation permet à la fois de surmonter cette objection et de poser les bases d’une typologie des textes.

En fait, le récit se constitue dans la tension de deux catégories formelles, la différence et la ressemblance. La présence exclusive de l’une d’entre elles nous mène dans un type de discours qui n’est pas récit. Si les prédicats ne changent pas, nous sommes en deçà du récit. Mais s’ils ne se ressemblent pas, nous nous trouvons au-delà du récit, dans un reportage idéal.

La simple relation de faits successifs ne constitue pas un récit, il faut que ces faits soient organisés. Mais si tous les éléments sont communs, il n’y a plus de récit, car il n’y a plus rien à raconter. Or, la transformation représente justement une synthèse de différence et de ressemblance. Elle relie deux faits qui n’ont a priori rien à voir ensemble.

Pour finir, plutôt qu’une « unité à deux faces », la transformation est une opération à double sens. Elle affirme à la fois la ressemblance et la différence. Elle permet au discours d’acquérir un sens sans que celui-ci devienne pure information. En somme, la transformation rend possible le récit.

Nous espérons que cet article t’aura été utile pour découvrir la thèse de Todorov, auteur incontournable en prépa littéraire !