Italie

La version latine fait partie des épreuves des Écoles normales supérieures (ENS), et en particulier de celle de Paris, à traiter en quatre heures. De ce fait, les qualités requises ne sont pas les mêmes qu’en dissertation : on te demande de la rapidité, de la justesse et de la rigueur. Cet article propose une méthode afin de t’aider à aborder un texte latin le plus sereinement possible. La version latine est un exercice mathématique, il convient donc de l’aborder avec un protocole préétabli.

Cet article s’inscrit dans le prolongement d’un précédent, proposant d’aborder le latin en CPGE A/L, disponible juste ici.

Travail préliminaire

Le chapô

Commence par bien lire le « chapô » et repérer l’auteur. Si tu le connais, c’est tant mieux : tu pourras replacer le texte dans un contexte et une époque. Même des informations très légères peuvent parfois aider à prendre un texte par le bon prisme. Par exemple, s’il s’agit d’un texte de Lucrèce, tu peux t’attendre à y trouver un épicurisme au moins sous-jacent. Au contraire, Sénèque tiendra des propos proches du stoïcisme.

Si tu n’as jamais entendu parler de l’auteur, pas de panique. Le chapô peut encore être bien utile et surtout sauver de gros contresens. Garde-le en tête pendant toute l’épreuve, jusqu’au moment de la relecture. Attention, ne t’attarde pas non plus sur ce dernier car cela pourrait te faire perdre du temps.

La découpe du texte et du temps

Une fois que tout le paratexte a été élucidé, il convient d’attaquer le texte. Souvent, celui-ci fera entre 15 et 20 lignes. La technique la plus fréquemment choisie par les étudiants est de diviser le texte en trois grandes parties. Chaque partie fera l’objet d’une heure de travail. La dernière des quatre heures est alors consacrée à la relecture, la copie au propre du texte traduit et l’éclaircissement de passages éventuellement compliqués (si tu travailles mieux par demi-heure ou quart d’heure tu peux adapter la division). Il ne sert à rien de s’attarder pendant de longues minutes, voire de longues heures, sur un passage difficile à comprendre. Bien souvent, la suite du texte permettra d’y voir plus clair.

Une fois que le texte est divisé en trois parties, numérote les lignes ou les phrases (selon tes préférences) pour y voir encore plus clair.

Analyse logique des propositions

Ce travail préliminaire terminé (il ne doit pas prendre plus de dix minutes), il est temps de se pencher sur le texte en lui-même. Lis-le lentement au moins deux fois et essaie de voir si certains passages s’éclairent déjà.

Maintenant que tu commences à bien sentir le texte dans son ensemble, tu peux commencer un travail mathématique de découpage des phrases en elles-mêmes. La meilleure méthode est sans doute de faire dès le début l’analyse logique et syntaxique de tout le texte. Tu te lanceras ensuite dans une traduction avec, si besoin, l’aide de ton bien-aimé Gaffiot.

Concrètement, l’astuce peut être d’utiliser des crayons de couleur et de faire le travail d’analyse logique avec ceux-ci. Par exemple, le rouge peut servir à souligner les verbes conjugués et à encadrer les propositions, le bleu à noter les sujets, le vert les COD et ainsi de suite. Cette méthode te permettra de travailler avec rigueur en amont de la traduction et surtout de ne pas faire d’erreur d’inattention au moment de traduire. Il ne sert cependant à rien de surcharger le texte d’annotations qui pourraient le rendre illisible (tu peux par exemple utiliser des crayons de couleur effaçables). Là encore, à toi de trouver le juste milieu.

La traduction en elle-même

Au plus près du texte

Ici, ton objectif est très précis : rendre le texte le plus justement possible. Point important : on ne te demande pas une traduction de type Belles-Lettres mais une traduction rigoureuse qui respecte les fonctions et les natures des mots, c’est-à-dire la traduction la plus proche possible du texte. Rien n’est pire qu’un beau texte infidèle au propos d’origine.

Lorsque tu traduis, le plus important est d’agir de manière méthodique. Nous te conseillons donc de garder la même méthode pour chaque phrase : sujet-verbe-complément. Normalement, ton analyse a été faite en amont (avec les crayons de couleur) et tu n’as désormais qu’à suivre ton code couleur en traduisant directement. L’ordre (sujet-verbe-complément) est crucial car il t’empêche les contresens. Il t’aide surtout à ne pas te perdre dans le texte. Retiens aussi que ce qui est difficile dans un texte ce sont les compléments, les adverbes, etc., le plus souvent tu bloques sur des petits mots qui ne sont pas le corps du texte. Laisse-les donc de côté et concentre-toi sur la colonne vertébrale du texte. Une fois que tu l’auras traduite, tu pourras plus facilement comprendre le sens des compléments.

Trouver le sens des mots par le sens de la phrase

Pour aller à l’essentiel et ne pas t’épuiser inutilement, nous te conseillons de savoir ce que tu recherches, c’est-à-dire d’avoir une idée du sens du mot avant d’ouvrir le Gaffiot… sans quoi tu pourrais te perdre.

À ce propos, si tu ne sais vraiment pas ce que veut dire la phrase et que tu ne trouves pas le sens d’un mot, préfère toujours une traduction qui respecte la nature et la fonction des mots latins plutôt qu’une traduction éloignée du texte, même si elle a plus de sens !

Ton état d’esprit pendant la traduction doit donc être le suivant : traquer les fautes d’inattention, se fier au texte plutôt qu’à ton intuition et surtout être intraitable sur l’analyse logique et grammaticale de la phrase.

La relecture

Une fois que le travail de traduction est fait sur ton brouillon (si tout va bien, il te reste une heure), relis ta traduction et essaie de revoir les traductions imparfaites ou les endroits flous. C’est le moment de trouver la cohérence du texte. Un accord d’adjectif au féminin que tu ne comprends pas ? Peut-être qu’un sujet féminin est caché quelques lignes plus haut… Un verbe à l’infinitif qui a l’air seul ? Peut-être qu’il y a un verbe introducteur de propositions infinitives en amont…

Une fois que tout ce travail est fait, réécris ton texte au propre en vérifiant cette fois le texte français : les fautes d’orthographe, les accords des verbes et les erreurs de syntaxe. Il serait fâcheux de perdre de précieux points à cause de ta langue de prédilection.

Après le devoir

Le devoir corrigé et rendu, il te reste le travail le plus important à faire : la compréhension de tes erreurs. Cet exercice est difficile car il te demande de te replonger complètement dans ton devoir. Prends à tes côtés une grammaire si tu as la moindre hésitation. L’objectif est que tu comprennes ce qui t’a amené à faire tel ou tel type d’erreurs. Tu peux ensuite les noter dans un carnet pour les relire avant la prochaine version. On fait souvent les mêmes erreurs, alors autant les éviter le plus vite possible ! N’hésite pas à relire sans cesse les versions que tu as traduites pendant l’année et les corrigés que t’en feront les professeurs. Plus tu verras et reverras tes erreurs, moins tu seras susceptible de les refaire.

Exemple d’analyse d’une phrase

Texte initial : Cicéron, De natura deorum, Tome 4, Livre I, Paragraphe XVII

« Cum enim non instituto aliquo aut more aut lege sit opinio constituta maneatque ad unum omnium firma consensio, intellegi necesse est esse deos, quoniam insitas eorum vel potius innatas cognitiones habemus; de quo autem omnium natura consentit, id uerum esse necesse est; esse igitur deos confitendum est. »

Analyse du paragraphe

Tout d’abord, il faut lire deux fois le texte et faire le repérage des propositions. Les marques de ponctuations fortes sont un premier indicateur et permettent de faire émerger au minimum trois propositions : « Cum…habemus » ; « De quo… necesse est » et « esse igitur… est ».

Ensuite, il faut repérer les verbes conjugués :

« Cum enim non instituto aliquo aut more aut lege sit opinio constituta maneatque ad unum omnium firma consensio, intellegi necesse est esse deos, quoniam insitas eorum vel potius innatas cognitiones habemus; de quo autem omnium natura consentit, id uerum esse necesse est; esse igitur deos confitendum est. »

Une fois que les verbes sont repérés, on peut se pencher sur les conjonctions de subordination et de coordination (ainsi que les virgules, qui sont souvent des indices laissés par les éditeurs). Ici, on va les mettre en gras :

« Cum enim non instituto aliquo aut more aut lege sit opinio constituta maneatque ad unum omnium firma consensio, intellegi necesse est esse deos, quoniam insitas eorum vel potius innatas cognitiones habemus; de quo autem omnium natura consentit, id uerum esse necesse est; esse igitur deos confitendum est. »

Ensuite, les propositions commencent à se dégager et on peut analyser la structure des phrases. Ce travail permettra notamment de distinguer les coordinations de propositions ou uniquement de mots. Par exemple, dans la première phrase, la répétition de « aut » fait ressortir trois ablatifs et non pas trois propositions différentes : « instituto aliquo », « more » et « lege ». Ainsi de suite, on avance dans le déchiffrage. On remarque aussi que la conjonction de coordination suivante,« –que », se situe à proximité directe de deux verbes conjugués : on comprend vite qu’elle sert à les coordonner. En revanche, le « vel » de la fin de la première phrase ne coordonne pas deux propositions, mais bien deux adjectifs « insitas » et « innatas. »

De plus, dès la première lecture, on aura repéré la présence par deux fois du verbe « esse » à l’infinitif à côté de mots à l’accusatif. Il s’agit sans doute des propositions infinitives. On a donc maintenant une petite idée du nombre de propositions. On peut alors mettre des crochets entre les propositions et on arrive à ce résultat :

« [Cum enim non instituto aliquo aut more aut lege sit opinio constituta] [maneatque ad unum omnium firma consensio], [intellegi necesse est esse deos], [quoniam insitas eorum vel potius innatas cognitiones habemus]; [de quo autem omnium natura consentit], [id uerum esse necesse est]; [esse igitur deos confitendum est. ] »

Enfin, on a suffisamment d’indices pour passer à un rapide et systématique repérage des cas grammaticaux des mots. Par exemple, les nominatifs sont : « opinio » et « constituta », « firma consensio », « natura », « id ». Après avoir effectué ce travail avec les autres cas, on peut traduire et se plonger dans le dictionnaire. Ici, j’ai effectué un travail de juxtalinéaire rigoureux pour bien comprendre comment les phrases s’articulent. Ce dernier travail est cependant assez fastidieux et ne pourra pas toujours être reproduit en devoir lorsque le temps est compté.

Cum enim non sit opinio constituta Puisqu’en effet cette opinion n’a pas été constituée
instituto aliquo aut more aut lege par une quelconque institution par la coutume ou la loi
maneatque ad unum omnium firma consensio, et que l’accord de tous sans exception demeure valable,
intellegi necesse est esse deos, il est nécessaire de comprendre que les dieux existent
quoniam eorum cognitiones habemus puisque nous en avons des connaissances
insitas vel potius innatas ; inculquées ou bien plutôt innées.
de quo autem omnium natura consentit, Cependant, la nature de tous concorde sur ce point,
id uerum esse necesse est ; à savoir que ceci est nécessairement vrai.
esse igitur deos confitendum est. Ainsi, il faut admettre que les dieux existent.

On voit donc que pour traduire une phrase, il convient de l’analyser avec méthode et précision. N’hésite jamais à te replonger dans ta grammaire si jamais tu as des doutes sur certains points. Surtout, le travail du dictionnaire et du vocabulaire n’arrive qu’à la fin d’un long processus. La phrase latine ne doit maintenant plus avoir de secret pour toi, alors n’hésite pas à te lancer dans la version et n’oublie pas, il faut voir la traduction comme un jeu aux règles très précises.