L’auteur :

Sylvie Brunel, née en 1960, est économiste, géographe, professeur à Paris-Sorbonne, spécialiste des questions de développement. Elle a publié de nombreux ouvrages dont Famines et politiques , La Planète disneylandisée, ainsi que plusieurs romans.

Résumé éditeur :

Et si l’idée du développement durable n’était qu’une ruse des pays du Nord pour mieux dominer ceux du Sud ? Nouveau mot d’ordre de tous les acteurs de la mondialisation, ce slogan à la mode est aussi devenu un business profitable qui joue sur l’industrie de la peur. La notion de développement durable, qui remonte aux années 1970, s’impose sur la scène internationale en 1992 au sommet de la Terre de Rio de Janeiro : alors que le développement était dirigé vers les sociétés qui devaient en tirer des avantages, la notion de développement durable met pour la première fois en avant le respect de la planète et des équilibres naturels. Sylvie Brunel prône, quant à elle, un développement qui profiterait avant tout aux hommes. Est-ce encore possible ? Dénonçant les contrevérités, les idées reçues et les mauvais combats, enfin un livre salutaire sur une question dont on a pas fini d’entendre parler…

Résumé Major-Prepa :

Préambule : La nouvelle fable des trois petits cochons

« Avant, il fallait construire des maisons en béton […] le seul moyen de résister au grand méchant loup. Honte aux petits cochons paresseux et insouciants, qui se contentaient de bois, ou pire : de paille.

Aujourd’hui, Nif-Nif ou Nouf-Nouf triomphent : c’est en bois et même en paille, qu’il faut construire. Certainement pas en béton. […] La maison solide qui nous était vantée lorsque nous étions enfants est devenue écologiquement incorrecte : elle consomme trop de matières premières, contribue à l’effet de serre, n’est pas biodégradable. […] Et de toute façon, le loup est redevenu un animal gentil. »

Le développement durable remet en cause deux siècles de révolution industrielle, c’est pourquoi il réécrit la fable des trois petits cochons, il exhorte les hommes à cesser de vivre comme si les ressources dont nous disposons étaient éternelles.

« La barrière qui sépare les riches et les pauvres n’est plus géographique mais sociale. »

Interrogation des riches pour savoir si l’adoption de notre mode de vie par les pauvres ne surchargerait pas la barque.

Problème : dans le syntagme « développement durable », les riches mettent l’accent sur « durable » alors que les pauvres continuent à penser « développement ». Toile de fond : 3M de la mondialisation : marché, médias, monnaie.

Les riches ont tout prévu, les supermarchés se remplissent de produits vert…ueux, c’est comme si en donnant de l’argent, on apaise les consciences (des indulgences comme au Moyen-Age).  C’est devenu une nouvelle religion. Digne d’un pari pascalien.

« Bulle verte » : profite aux entreprises occidentales et aux ONG : Green is gold. Green is job. Green is tax. Prétendu être un modèle gagnant-gagnant.

Fracture riches/pauvres : péages aux portes des villes européennes qui interdit l’accès à de vieilles voitures polluantes, celles des pauvres. Le développement durable sonne comme un nouvel apartheid.

Comment faire en sorte que le développement durable soit mis au service d’une amélioration des conditions de vie de tous ?

I. Sauver la planète… plutôt que l’humanité ?

On parle de « faire un geste pour la planète ». Fil conducteur de toutes les émissions sur le développement durable : visions apocalyptiques, commentaires sépulcraux et interviews d’experts. On doit vivre bio, et même mourir bio (cercueils écologiques désormais…)

De nombreux organismes calculent notre empreinte écologique et nous incitent à adopter le mode de vie d’un Burkinabé ou d’un Bolivien, il est « clean » au regard de la planète même s’il ne vit pas plus de 60 ans et a deux enfants sur 10 qui meurent avant 5 ans.

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Slogan publicitaire ou changement de société : loi NRE (Nouvelles Régulations Economiques) adoptée en 2002 qui oblige les entreprises à présenter leurs engagements autour du développement durable. Elles l’utilisent aussi à des fins commerciales, 3 exemples : l’impression des factures à la maison qui transfère la charge d’impression du producteur au consommateur, l’arrêt de la distribution gratuite des sacs plastiques en caisse qui permet au supermarché de le faire payer au consommateur qui là encore reprend une dépense auparavant réalisée par l’enseigne et l’incitation à remplacer les vieilles voitures par des nouvelles : « Les 20% de voitures les plus anciennes sont responsables de 60% des émissions polluantes automobiles. Remplaçons-les. » (Peugeot). C’est ainsi que le développement durable permet de consommer encore davantage.

Lampes fluo à incandescence : pourraient être moins chères mais barrières protectionnistes de la part des industriels.

L’hypermarché n’est pas si représentatif du gaspillage car limite les déplacements et les produits industriels font gagner du temps.

II. Repenser nos modes de production

Le surcoût lié à ces produits permet de financer la recherche de produits plus « propres ».

Un européen vivant 70 ans aura consommé : 561 tonnes de sables et graviers, 109 tonnes de pétrole, 1,6 tonne d’aluminium et 700kg de cuivre.

Question de l’imbrication entre aménagement du territoire et développement durable : artificialisation croissante de l’espace → extension de ce même espace → plus de déplacements, donc plus d’émissions à priori.

Mars 2005 : intégration de la Charte environnementale dans la Constitution

III. Un concept impérialiste ?

Création du PNUE en 1972. Dans les 70s, les Nations unies annoncent qu’au rythme actuel, la planète comptera 700 milliards d’habitants en 2100 ! Première conférence mondiale sur la population à Bucarest (1974) où les pays du Sud se montrent très natalistes, ce qui effraie les Occidentaux. Mais les pays du Sud ont entamé leur transition démographique et il devrait y avoir 9 milliards d’hommes en 2100 selon le rapport The limits to growth (Halte à la croissance) du club de Rome.

Lorsque les pays du Sud revendiquent le droit d’entrer dans la société de consommation, les pays du Nord la remettent en question (mouvements hippies, René Dumont premier écologiste candidat à la présidentielle en 1974).

Choc pétrolier : Flambée des cours du pétrole après la guerre du Kippour de 1973 → pétrodollars → financement de l’industrialisation des pays du TM. Légitimation du nucléaire par des mouvements écologistes car moins de rejet de CO2. Puis la logique productiviste de la Guerre Froide efface ces préoccupations.

Tournant des années 1990 pour 5 raisons :

  1. Affaiblissement du socialisme, ouverture à l’économie de marché (« socialisme de marché », 1991). Chine avec Deng Xiaoping et ses ZES (1984), Inde en 1991.
  2. Avènement d’un espace mondial porté par les NTIC : apparition d’une communauté internationale, premier Sommet de la Terre en 1992.
  3. Emergence des ONG comme force planétaire grâce à la promotion de la société civile permise par l’avènement du consensus de Washington dans les pays du Sud. Touchent des subventions des Etats et des organisations internationales.
  4. Nouvelle primauté environnementale : les périls qui menacent le monde ne sont plus ceux de la Guerre froide mais ceux naturels, d’où adoption en 1992 à Rio de 3 conventions internationales : désertification, biodiversité et changement climatique.

Et enfin, l’influence de l’idéologie anglo-saxonne avec la préservation de ce qui est appelé « wilderness », au départ pour des buts récréatifs (chasse, tourisme). Exemple de Tarzan (1912) avec l’idée qu’il faille s’ingérer dans la vie des populations locales, primitives pour protéger un environnement qu’elles préservaient pourtant durant des millénaires.

Première apparition du terme « développement durable » en 1980 dans un rapport des Nations Unies, de WWF et de l’Union mondiale pour la Nature (UICN) pour la conservation nature. Il y a donc une liaison directe entre les fronts baptismaux des ONG anglo-saxonnes et l’apparition du terme développement durable.

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La fin de la Guerre froide permet l’affirmation de ce concept via Our commun future de Gro Harlem Brundtland, première ministre norvégienne qui défini le développement durable comme étant « un développement qui permette d’assurer les besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ». Une variante est plus communément utilisée : « La Terre n’est pas ce que nous avons hérité de nos ancêtres, mais ce que nous avons emprunté à nos enfants. » (Antoine de Saint-Exupéry)

Agenda 21 : principe de précaution est un des principes fondateurs du développement durable, adapté localement « agendas 21 locaux ».

1909, Theodore Roosevelt disait : « Avec la croissance constante de la population et l’augmentation encore plus rapide de la consommation, notre peuple aura besoin de plus grandes quantités de ressources naturelles. Si nous, de cette génération, détruisons les ressources, nous diminuerons le niveau de vie, nous enlèverons même le droit à la vie des générations futures sur ce continent. » (Lui-même était chasseur invétéré et grand massacreur d’éléphants…).

Avec l’avènement du développement durable apparaît une nouvelle dualité vis-à-vis de la Nature sanctuarisée : le Bien (l’homme occidental respectueux de la Nature) contre le Mal (le reste du monde accusé de le détruire et de le dilapider).

Le développement durable comme nouvelle religion : hérité de ce que Tocqueville avait dès 1835 identifié comme « l’esprit de religion » américain, le développement durable est véhiculé par des personnalités charismatiques qui s’en servent pour y imposer leur marchandise (revues, livres, émissions, etc.), on peut citer : Al Gore, Michail Gorbatchev, Michael Bloomberg, Harrisson Ford, George Clooney, Leonardo di Caprio, Nicolas Hulot (Ushuaia est une entreprise avant tout), Yann Arthus-Bertrand, Jean-Louis Etienne, etc. Les gens leurs délèguent les missions de protection de l’environnement par des dons, comme s’ils pouvaient acheter un certificat de bonne conduite : ce sont eux qui profitent du développement durable et bénéficient d’un train de vie luxueux et pollueur, à l’opposé de ce qu’ils prétendent combattre.

Les grands principes du développement durable s’insèrent dans les logiques de mondialisation, les entreprises font du développement durable à des fins mercantiles. Stratégie assez efficace.

IV. Durable…pour qui ?

Développement : Processus de long terme, auto-entretenu, endogène et cumulatif, d’augmentation de la richesse et de diversification croissante des activités économiques, permettant à un nombre croissant d’êtres humains de passer d’une situation de précarité à une meilleure maîtrise de leur destin, comme des aléas de la nature.

Le développement durable est donc un pléonasme…

3E du développement durable à concilier : Economie (entreprises, Etats, IFI voulant produire plus), Equité (syndicats, altermondialistes et associations humanitaires voulant plus de partage), Environnement (l’affaire des écologistes).

François Mancebo distingue deux conceptions de la durabilité :

  • Celle forte qui donne la priorité à la conservation des ressources de la planète (décroissance).
  • Celle faible qui donne le primat au développement qui, poussé à l’extrême, devrait trouver des solutions de remplacement et accorde le primat à l’humain.

Définition de la décroissance par son père fondateur (Nicholas Georgescu-Roegen: programme bio-économique minimal destiné à faire durer le plus longtemps possible le stock d’énergie et de matière disponible pour l’humanité.

V. Le mythe du paradis perdu

James Lovelock, L’Hypothèse Gaïa : la Terre est vu comme organisme vivant à respecter. Vision récupérée par l’écologie politique.

3 mythes sont véhiculés par le développement durable :

  1. La Nature existe indépendamment de l’Homme
  2. La Nature est par nature (quel jeu de mot !) bienveillante et harmonieuse
  3. Les civilisations anciennes non-occidentales sont celles de la sagesse et de l’harmonie avec la Nature.

La Nature naturelle est un mythe, ce qu’on imagine comme étant « naturel » est de la Nature aménagée c’est le cas de la forêt des Landes, de Fontainebleau, des forêts australiennes où depuis que les Aborigènes ne font plus de feux, une herbe épineuse colonise le milieu (le Spinifex). (Thèse de Paul Pélissier)

Par nature, la nature est l’espace où des espèces luttent pour accroître leur espace de survie. Ce n’est en rien une cohabitation harmonieuse entre espèces. D’où la stupidité des idéologies affirmant l’égalité entre l’homme et la fougère au motif qu’ils sont tous deux composés d’atomes…

Enfin, les civilisations anciennes sont celles d’un « totalitarisme sans Etat » (Maurice Duval). Le développement durable peut sur certain point s’y approcher et en Scandinavie, certaines municipalités ont des agents qui vérifient le tri sélectif, donc les poubelles des citoyens. Dans ces sociétés, seuls les jeunes hommes forts (qui étaient en fait vieux dès 35 ans) assuraient la survie du groupe et avaient de l’autorité, ce qui n’est pas du tout le cas de nos sociétés actuelles.

VI. L’Afrique, laboratoire du développement durable

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Obsession de la conservation de la Nature, 1/3 de la superficie de l’Ouganda et de la Zambie est protégé. Création d’une « rente verte », la protection de ces espaces étant assurée par des ONG. La Gabon, lorsqu’il a découvert des gisements dans des espaces protégés les a déclassé pour des motifs pécuniers.

Illogisme : dans des pays où des enfants meurent de sous-nutrition, des balises Argos extrêmement chères équipent des animaux… Un récent article de National Geographic affirmait même que pour des éléphants, il fallait « leur creuser des puits pour qu’ils n’aient pas à saccager les mares des paysans » affirment implicitement le primat accordé à ces animaux.

Le vocable animal devient anthropomorphique : tigre « orphelin », « maman » baleine, « euthanasie » des chiens tueurs, etc. Autre exemple du primat accordé à l’animal : les normes concernant l’alimentation animales sont plus exigeantes que celles en vigueur dans les camps de réfugiés. Parfois même, des actions criminelles sont menées par « les talibans et ayatollahs » du développement durable.

L’Afrique est ce qui devrait rester à l’état de jardin d’Eden pour permettre aux riches Occidentaux de se ressourcer lors de safaris. La misère se caractérise par des populations « traditionnelles », des civilisations « préservées » qui flattent les attentes de l’apprenti ethnologue qui sommeille à l’intérieur de chacun de nous.

Et si les Africains étaient précurseurs du développement durable ? Les populations africaines aspirent à avoir le même niveau de vie que les Européens. Et leurs initiatives sont excellentes : ce sont des as du recyclage, de la réparation et de la réutilisation de produits abîmés. De plus, politiquement, les pays qui ont mis fin à leur dictature sans sombrer dans une autre sont des modèles de démocraties participatives où la recherche du consensus est primordiale (exemple du Rwanda et du Sierra Leone). Le microcrédit, présenté abusivement comme la panacée, n’est que la reprise du système ultradéveloppé de tontines.

VII. Le changement climatique, une « merveilleuse opportunité »

Comme Condolezza Rice affirmait que le tsunami indonésien était une « merveilleuse opportunité » de reprendre pied en Indonésie, le changement climatique l’est pour de nombreux acteurs.

Le changement climatique est indubitable, multiplication par 7 des émissions de dioxyde de carbone en 40 ans.

Kyoto prévoyait de réduire de 5,2% les émissions de CO2 entre 1990 et 2008-2012. 2007 : attribution du Nobel de la Paix à Al Gore et au GIEC, dès lors, climat et paix/guerre sont liés.

C’est une aubaine pour les pays du Sud qui peuvent accuser les pays du Nord d’être responsables de ces émissions. Ca l’est aussi pour les pays du Nord qui accusent ceux du Sud de dumping environnemental et leur promettent des sanctions (protectionnisme vert).

Il existe de nombreux bienfaits du réchauffement : terres cultivables aux hautes latitudes (Russie), accroissement de la période de croissance des végétaux, davantage d’héliotropisme (l’industrie touristique croît de 16% par an),

Le réchauffement climatique est une « merveilleuse opportunité » pour l’ONU et des institutions car elles ont à leur disposition :

  • Une tribune mondiale d’expression via le GIEC
  • Des financements grâce à la hausse des crédits environnementaux
  • D’une légitimité, notamment couronnée par un prix Nobel. Les ONG environnementales sont celles qui permettent aux entreprises de réaliser un blanchissement écologique en finançant leur brainwashing.
  • Un rôle mobilisateur : permet de redynamiser l’ONU.

Développement d’entreprises de « compensation carbone » qui sont parfois nocives (l’eucalyptus, souvent replanté, est nocif pour les populations locales car stérilise les sols et utilise l’eau souterraine abondamment).

Points positifs :

  • Une critique construite de la notion de développement durable
  • Lecture agréable, style facile à lire
  • Idées et exemples facilement réutilisables en dissertation (celui de Peugeot notamment)

Points négatifs :

  • Un peu court : 157 pages

A conseiller pour :

Ceux qui s’intéressent aux problématiques du développement durable et ceux qui visent les 10 premières écoles : le développement durable n’est jamais tombé à l’ESCP ! S’il tombe en 2015, la connaissance de ce livre permettra de réellement se différencier par rapport au reste des candidats.

Mehdi CORNILLIET
Major-Prépa