Taïwan

Cette semaine inaugure notre podcast intitulé « La Pause géopolitique » : il a pour objectif de te donner des clés de lecture pour comprendre les grands faits qui jalonnent l’actualité internationale. Dans chaque épisode d’une trentaine de minutes, tu trouveras des rappels sur les faits, des chiffres, une rétrospective historique, des concepts, des éléments prospectifs… Tout ce qui pourra t’être utile en dissertation dans un format hyper efficace ! C’est Anne Battistoni, ancienne professeure de géopolitique en prépa, qui anime ce podcast.

Ce premier épisode va s’interroger sur Taïwan, petite île qui cristallise les rivalités de pouvoir et les tensions entre les deux grandes puissances de ce début du XXIᵉ siècle que sont la Chine et les États-Unis.

Ferons-nous un jour la guerre pour Taïwan ? Sommes-nous vraiment concernés ? Qui est prêt à mourir pour Taïwan ? 

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L’événement : des avions survolent l’espace d’identification aérien de Taïwan

Le 21 octobre dernier, Joe Biden, lorsqu’on lui a demandé si les États-Unis seraient prêts à défendre Taïwan en cas d’attaque de Pékin, a répondu : « Nous avons un engagement en ce sens. » Pourtant, il n’y a aucun traité d’alliance entre Taïwan et les États-Unis. Alors, pourquoi ?

Il faut regarder le contexte. Progressivement, depuis un an, l’armée chinoise accentue sa pression sur Taïwan. Elle s’est mise à effectuer des incursions quasi quotidiennes dans la zone d’identification et de défense aérienne de Taïwan, frôlant souvent le harcèlement. Le 15 avril 2021, par exemple, 28 appareils chinois ont survolé l’espace d’identification aérien taïwanais (ce serait un acte de guerre).

Le 1er octobre 2021, 150 incursions de l’aviation chinoise ont été recensées dans la zone d’identification de défense aérienne. En octobre 2021, Xi a rappelé que la « réunification devra être réalisée et le sera », tout en appelant à une réunification pacifique avec Taïwan. Pacifique ? Jusqu’à quand ? La Chine ne cesse d’améliorer son appareil militaire. Elle met le paquet sur la marine et en août dernier, elle a surpris les États-Unis en effectuant un test sur un missile supersonique manœuvrant, une technologie qui a pour but de déjouer les systèmes de défense américains.

Que révèlent ces tensions ? Faut-il s’attendre à un conflit ? Qui mourra pour Taïwan ? 

Quelques données sur les différents acteurs

Taïwan

C’est une île de 36 000 km² (une région française), peuplée de 24 millions d’habitants, dont la capitale est Taipei. Elle fut nommée Formose par les Portugais, ce qui veut dire « la belle île ». Ce nom, issu de la colonisation, est remplacé par le nom chinois de Taïwan. Ancien « dragon », c’est un pays développé ou avancé, riche mais non membre de l’ONU, par opposition de la République populaire de Chine, et qui pour cette raison n’apparaît pas dans bien des classements internationaux.

Son PIB le place à peu près au 20e rang mondial. Le pays est réputé pour son industrie électronique, même si ses marques travaillent souvent en sous-traitance (par exemple : Foxconn ou Pegatron, sous-traitants de Apple, ou encore TMSC, leader de la fabrication des semi-conducteurs). C’est un pays qui conserve une croissance économique relativement vigoureuse, mais qui contraste avec son atonie démographique. Il a l’un des plus bas taux de fécondité au monde (1,1).

Le pays est un cas unique dans les relations internationales. L’État existe depuis 1949, mais depuis 1971, il n’a pas de reconnaissance dans la communauté internationale. En effet, la Chine communiste a obtenu progressivement son isolement. Il n’y a plus que 15 États qui entretiennent avec Taïwan des relations diplomatiques et ils sont mineurs. Ce sont des micro-États des îles du Pacifique et des Caraïbes essentiellement.

Le gouvernement de Taïwan s’est progressivement démocratisé à la fin du XXᵉ siècle. Il y a aujourd’hui un système démocratique garantissant les libertés fondamentales et l’État de droit. L’alternance politique se fait entre le Kuomintang, héritier du parti de Tchang Kaï-chek, et le parti démocrate indépendantiste. Le pays est aujourd’hui dirigé par Mme Tsai, élue en 2016 et réélue en 2020, qui appartient à ce parti indépendantiste.

La Chine

Pour reprendre l’expression de Pierre Gentelle, « la Chine, c’est beaucoup de gens, beaucoup d’espace et beaucoup de temps ».

Ce pays, vaste comme plus de deux fois l’UE (9,5 millions de km²) rassemble environ 1,4 milliard d’individus. C’est dire que les 24 millions de Taïwanais sont une goutte d’eau… Il est dirigé par Xi Jinping depuis 2013. Celui-ci accomplit actuellement son deuxième mandat (de cinq ans) de Secrétaire général du PCC, de Président de la République populaire de Chine et de Président de la Commission militaire centrale. Autrement dit chef de l’Armée populaire de Libération, qui est l’armée chinoise mais d’abord l’armée du parti. L’idéologie chinoise est un communisme nationaliste. Les deux ne sont pas séparables ici.

Qu’est-ce que la Chine ?

À cette question, le sinologue Simon Leys ne répondait pas qu’il s’agissait d’un pays, d’un État, ou même d’une civilisation. Il répondait que la Chine était d’abord « la religion des Chinois ». C’est dire qu’il y a là l’expression d’une représentation politique qui pense la Chine comme principe d’organisation du monde. Un Empire du Milieu (Zhongguo), qui règne sur tout ce qui est sous le ciel (le Tianxia).

La Chine ne se pense pas comme une nation comme les autres. L’histoire lui confère son identité. Il y a, par-delà les vicissitudes historiques, une continuité avec l’Empire chinois, qui est né à la fin du troisième siècle avant notre ère par le regroupement des royaumes combattants par la première dynastie impériale (la dynastie Qin), et une continuité avec la Chine contemporaine. Cette continuité, c’est l’État chinois. C’est le principe d’unité.

Pour comprendre la Chine, il faut savoir que la guerre de conquête n’est pas dans l’ADN des Chinois

Leur réflexion stratégique est imprégnée de la pensée de Sun Tzu, philosophe chinois du Vᵉ siècle av. J.-C., dont le traité, L’Art de la guerre, montre l’importance de se situer dans la durée. Il y écrit : « Soumettre l’ennemi par la force n’est pas le summum de l’art de la guerre. Le summum de cet art est de soumettre l’ennemi sans verser une seule goutte de sang. »

Pour Sun Tzu, le stratège est celui qui sait tirer profit des opportunités et agit en exploitant le contexte donné, il sait attendre. Lorsqu’au XVᵉ siècle la Chine entreprit de grandes expéditions maritimes menées par l’Amiral Zheng He, qui amenèrent la marine chinoise dans l’océan Indien aux portes de la mer Rouge et jusqu’aux rivages du Mozambique, elle ne prit pas possession des territoires découverts (contrairement aux Européens qui s’élancèrent peu après à la conquête du monde, sur la route des Indes). Il lui suffisait de faire étalage de sa puissance, de faire reconnaître sa suprématie… bref, que les autres pays, par le versement de tribut, reconnaissent sa place d’Empire du Milieu. D’ailleurs, les priorités continentales conduisirent brutalement le pouvoir impérial, sous la pression des Mandarins, à mettre un terme à ces expéditions maritimes en 1433.

Ses dirigeants attachent une très grande importance à l’unité du pays

Si la Chine assure ainsi que son histoire n’a rien de commun avec celle des puissances occidentales qui furent impérialistes, il faut néanmoins comprendre que ses dirigeants attachent une très grande importance à l’unité du pays. Le pays a connu des frontières différentes au cours des siècles. La Chine communiste revendique des frontières qui, à l’exception de la Mongolie, furent largement celles de l’Empire sous la dernière dynastie (Mandchoue ou Qing, 1644-1912).

Cela veut dire une intransigeance vis-à-vis du Tibet, du Xinjiang, et l’intégration pleine et entière de Macao et Hong Kong (c’est chose faite), et donc la récupération de Taïwan un jour et voir sa souveraineté reconnue sur les territoires maritimes convoités.

Sous l’impulsion de Xi Jinping, le pays entend accomplir une ascension pacifique. Autrement dit, la Chine revendique désormais la puissance (après avoir privilégié la croissance et adopté en diplomatie un profil bas, sous Deng Xiaoping). Cette perception d’une Chine en ascension est inséparable de la conviction que l’Occident est en déclin et que les valeurs qu’il porte sont obsolètes.

Le temps est venu de renouer avec la grandeur passée de l’Empire, d’effacer le siècle de domination occidentale. Le siècle de la honte qui avait débuté avec la défaite contre les Anglais en 1842 (perte de Hong Kong) et s’était clos par la victoire de Mao en 1949. Xi s’est ainsi donné pour horizon le centenaire de cette révolution chinoise au plus tard, soit 2049, pour que la Chine retrouve la prééminence dans tous les domaines. Cela implique que l’unité soit réalisée.

Les États-Unis 

Que font-ils ici ? Les États-Unis n’ont jamais quitté l’Asie pacifique après la Seconde Guerre mondiale, au grand dam de la Chine aujourd’hui. À l’époque de la guerre froide, c’était au nom de la lutte contre le communisme qu’ils faisaient régner leur Pax Americana, autrement dit qu’ils apportaient leur soutien et leur alliance à la Corée du Sud, au Japon, aux pays de l’ASEAN (fondé en 1967), et qu’ils luttèrent près de 10 ans pour empêcher l’unification du Viêtnam par les communistes.

La défaite du Viêtnam ne les amena pas à quitter la région. La guerre froide n’est pas finie, trois États sont encore communistes. Ils garantissent la sécurité de pays comme le Japon qui dépend totalement des États-Unis.

À partir des années 1990, l’émergence asiatique et l’ouverture de la Chine les convainquirent que la région était centrale au XXIᵉ siècle, raison de plus pour ne pas la quitter mais tisser d’autres liens avec elle (le libre-échange proposé dans le cadre de l’APEC).

Au XXIᵉ siècle, la montée en puissance de la Chine démontra que le pays devenait bien leur rival systémique, sur tous les champs de la puissance. En 2011, l’administration Obama et Clinton formula la stratégie du Pivot qui expliquait que les forces armées aériennes et navales extérieures à l’étranger devaient être concentrées vers l’Asie Pacifique.

Ils n’entendent donc pas quitter la région, pour y assurer la liberté de circulation maritime affirmée dans le traité de Montego Bay, pour assurer la sécurité de leurs alliés directs comme la Corée du Sud et le Japon, pour surveiller les velléités d’expansionnisme chinois en mer de Chine méridionale… ou vers Taïwan.

Quelles sont donc leurs relations avec l’île ? 

L’île de Taïwan est-elle chinoise ? Pourquoi doit-elle l’être ?

L’île a toujours été une marge de l’Empire chinois. C’est à la fin du XVIIᵉ siècle que la dynastie des Qing (ou dynastie Mandchoue) en fait la conquête pour empêcher qu’elle ne soit aux mains de forces adverses (partisans de la dynastie des Ming). L’île est rattachée institutionnellement à la Chine, d’abord à la province continentale du Fujian, puis en 1885, elle obtient le statut de province de l’Empire. À l’époque, l’Empire sur le déclin craint la convoitise des étrangers.

En 1895 a lieu une guerre sino-japonaise. L’empire japonais vainc la Chine. Par le traité qui suivit, le traité de Shimonoseki, le Japon obtient l’île de Taïwan. L’île subit une acculturation forcée, ses hommes sont enrôlés dans l’armée japonaise.

En 1945, à la défaite du Japon, l’île est rendue à la Chine, mais le pays est en guerre civile entre forces communistes de Mao et forces nationalistes de Tchang Kaï-chek. Ce sont ces forces nationalistes du Kuomintang qui s’y installent dès 1945 et, quatre ans plus tard, lors de leur défaite, qui s’y replient en 1949. Au total, un million de militaires et civils s’y replient dans un climat d’une grande violence par rapport aux populations locales.

Dans la guerre civile qui opposait les communistes chinois et les nationalistes, les États-Unis avaient soutenu le camp de Tchang Kaï-chek, et ils l’aidèrent à s’installer à Taïwan lors de sa défaite en 1949. Leur marine contrôle le détroit de Formose. La victoire de Mao sur le continent est totale et lui suffit, car la tâche est immense. La situation se fige.

Tchang Kaï-chek transforme Taipei en capitale provisoire de la République de Chine à partir d’octobre 1949

C’est un régime fictif qui n’entend pas reconnaître la victoire des communistes en Chine. C’est ce régime qui siège à l’ONU jusqu’en 1971. Taïwan est dirigé de manière autoritaire par Tchang Kaï-chek jusqu’à sa mort en 1975, avec l’espoir de reconquérir la Chine. En 1975, son fils lui succède jusqu’en 1988, en percevant toujours le régime communiste comme illégitime, mais en faisant tardivement évoluer le régime dans un sens plus démocratique.

La date clé reste cependant 1971. À cette date, l’ONU vote l’adhésion de la République populaire de Chine, reconnue par les grandes puissances (France dès 1964, États-Unis…), et l’exclusion de Taïwan de l’ONU. Cette décision doit se comprendre dans les nouveaux rapports de force que tentent de tisser les US, avec notamment Kissinger dans le contexte de la défaite au Viêtnam.

Taïwan, dès lors, est un État qui n’est pas reconnu par aucune grande puissance. Les États-Unis ne sont pas son allié, mais néanmoins restent garants de sa sécurité. Différence subtile…

Le Taïwan Relations Act 

Par le Taïwan Relations Act de 1979, ils se sont néanmoins engagés à défendre Taïwan, lui fournissant l’armement nécessaire, mais ils ne nouent pas de relations diplomatiques avec lui, pas d’affirmation de l’indépendance de l’île. Leur marine sécurise le détroit de Formose et l’espace aérien taïwanais est inviolé. Il y a parfois des tensions, comme en 1996 (tirs de missiles chinois dans le détroit et envoi de deux groupes aéronavals américains décidés par Clinton…), mais les tensions retombent.

Le statu quo perdure donc. L’évolution majeure depuis 30 ans est la démocratisation de l’île, avec deux partis majeurs : le Kuomintang et un parti démocrate progressiste et indépendantiste. Dans ce contexte, un débat sur l’identité nationale de Taïwan émerge. L’île de Taïwan a-t-elle une simple identité chinoise, ou existe-t-il une identité taïwanaise ? Ainsi, deux langues sont parlées dans l’île. Au nord domine le mandarin, langue officielle choisie par le Kuomintang et langue des continentaux, et au Sud, on parle le taïwanais.

En 2000 se produit pour la première fois l’alternance avec l’élection d’un président de la République indépendantiste. Il accomplit deux mandats jusqu’en 2008. La Chine encaisse mais répond. En 2005, la loi anti-sécession est votée par le parlement chinois. Elle proclame que toute déclaration d’indépendance de Taïwan sera reçue en Chine comme une déclaration de guerre. Les choses sont claires.

Le statu quo perdure, tout le monde y gagne. La Chine attend son heure, les États-Unis ne veulent pas d’un conflit avec la Chine, Taïwan prospère grâce à l’émergence chinoise… Pourquoi la situation s’envenime-t-elle aujourd’hui ? 

La diplomatie chinoise fait preuve de patience stratégique

C’est une composante clé. Les relations ont évolué au cours du temps. La stratégie de la Chine fut longtemps que le temps jouait pour elle. De fait, l’ouverture du pays a permis la multiplication des flux de part et d’autre du détroit de Formose/Taïwan. Les Taïwanais ont massivement investi en Chine, notamment dans les provinces du Fujian ou du Guangdong. Des firmes comme Foxconn ou Pegatron qui font de la sous-traitance informatique emploient des centaines de milliers de travailleurs chinois pour assembler par exemple les iPhone d’Apple.

Les voyages d’hommes d’affaires se multiplient, les liaisons aériennes et maritimes directes sont rétablies en 2008. Il est vrai qu’à cette date, le Kuomintang vient de remporter les élections. Il est plus favorable à un rapprochement avec la Chine continentale. En 2014, la première rencontre officielle entre représentants de Taïwan et de la République populaire de Chine eut lieu. Plus les années passent, plus la dépendance de Taïwan économique par rapport au marché chinois s’accentue. La Chine peut penser que le temps joue pour elle, elle attend la réunification de cette province chinoise. Elle l’affirme inéluctable, mais le statu quo demeure.

La Chine fait preuve de patience stratégique puisqu’elle semble marquer des points. Elle propose à Taïwan une Union avec des garanties, un pays à deux systèmes. Elle semble réussir dans les années 1990 et 2000 à affaiblir le mouvement indépendantiste et cherche à rendre difficile le lien États-Unis/Taïwan.

Aujourd’hui, pourquoi la Chine semble-t-elle pressée ?

Sa légendaire patience stratégique semble appartenir au passé. Alors, qu’est-ce qui a changé ? Aurait-elle intérêt à déclencher le conflit ?

Quatre facteurs concomitants expliquent que la Chine a désormais l’impression que le temps joue peut-être contre elle. 

1 – L’élection en 2016 d’une présidente indépendantiste a changé la donne à Taïwan

Elle a été réélue en 2020. Attachée à la défense d’une identité taïwanaise, elle peut se prévaloir d’avoir remarquablement géré la crise de la Covid. Taïwan a des atouts et les défend. L’île est indispensable à l’économie mondiale grâce à son industrie informatique (semi-conducteurs notamment).

Elle n’est reconnue que par quelques micro-États, mais elle ouvre des bureaux de représentation dans près d’une soixantaine de capitales et ses officiels sont reçus en Europe et aux États-Unis…

Le Japon soutient explicitement Taïwan contre la Chine. Les derniers sondages montrent que 63 % des Taïwanais ne s’identifient que comme Taïwanais et 31 % comme Taïwanais et Chinois. Mais 8 % seulement sont favorables à l’unification avec la Chine.

2 – La proposition chinoise d’un pays à deux systèmes

Cette proposition a été complètement discréditée par ce qui est arrivé à Hong Kong. Alors que l’île devait avoir un statut spécial jusqu’en 2047, l’ordre communiste s’est imposé depuis deux ans. La démocratie, les libertés fondamentales ont disparu de Hong Kong, comment penser qu’il en serait autrement à Taïwan ?

3 – L’administration Trump et Taïwan

Trump a accentué les livraisons d’armes, a autorisé des ministres américains à se rendre sur l’île… Bref, il a renforcé le lien avec Taïwan qui avait pu sembler se distendre. Il a aussi brisé aux yeux des Chinois le statu quo en place.

4 – La Chine s’est durcie politiquement

L’espoir d’une libéralisation politique a disparu depuis l’arrivée de Xi au pouvoir. Une reprise en main inquiétante. Xi a affirmé que la réunification n’était pas négociable et en 2019 que l’option militaire était envisageable si nécessaire.

La Chine ne parle des indépendantistes que comme des forces sécessionnistes et sous-entend qu’il s’agit largement de descendants de Japonais. En octobre 2021, Xi redit que la réunification devra être réalisée et qu’il était dans l’intérêt commun que ce soit par des moyens pacifiques. Il a ajouté que l’existence politique de Taïwan « est le résultat de la faiblesse et du chaos de la nation chinoise et sera, à coup sûr, résolue lorsque le renouveau national deviendra une réalité ». « Ceux qui oublient leurs ancêtres, trahissent la patrie ou divisent le pays sont condamnés. Ils seront définitivement rejetés par le peuple et jugés par l’histoire. » À force de brandir la menace et de parler de réunification, Xi pourrait bien être pris à son propre piège. Il pourrait paraître comme faible s’il ne fait rien aux yeux de ses compatriotes. Son ambition est que le problème soit réglé sous son mandat.

Bref, la Chine ne peut plus compter sur le temps. Peut-elle gagner sans combattre ? Taïwan peut-il tomber comme un fruit mûr ? Il semble que plus le temps passe, plus la perspective d’une réunification pacifique s’éloigne. Au contraire, cela ne peut que l’inquiéter.

La guerre entre la Chine et les États-Unis pour Taïwan est-elle possible ?

La paix repose sur une double dissuasion militaire :

  • d’une part, celle de la Chine qui interdit à Taïwan de prononcer le mot d’indépendance et masse des forces militaires sur ses côtes, missiles pointés sur Taïwan, forces armées terrestres regroupées au Fujian, prêtes pour un éventuel débarquement ;
  • d’autre part, dissuasion de Taïwan et des États-Unis qui alimentent en armes Taïwan et qui interdisent militairement à la Chine d’intervenir sans prendre des risques majeurs, celui d’un conflit avec les États-Unis qui pourrait fragiliser la stabilité du régime communiste, priorité des priorités.

Cet équilibre conduit au statu quo, donc à la paix. Plus Pékin aura le sentiment qu’elle peut intervenir impunément, plus le risque de conflit est grand. Ce qui se vit aujourd’hui est une phase de test.

La chine veut rendre cette situation avec Taïwan normale

La Chine multiplie les incursions non dans l’espace aérien, mais plus loin dans l’espace d’identification aérien de Taïwan. Autrement dit, plus loin des côtes, elle veut rendre normale une situation qui aurait été jugée anormale il y a 10 ans. Elle cherche doucement mais sûrement à marquer des points. Le jour de la fête nationale, le 1er octobre 2021, elle a lancé 149 avions dans l’espace aérien taïwanais. Cela lui permet d’acquérir du renseignement et de tester son matériel. Elle a été marquée par le départ des Américains de Kaboul et cherche donc à montrer aux Taïwanais que l’alliance américaine n’est pas fiable.

Les États-Unis doivent prouver le contraire

Le maintien du statu quo passe par leur affirmation de leur soutien à Taïwan. La dissuasion doit fonctionner. Cela explique l’affirmation de Biden. C’est dans ce contexte qu’a été signé l’AUKUS, partenariat de sécurité et de défense annoncé en septembre 2021 entre États-Unis, Australie et Grande-Bretagne. Pour la première fois, un sondage aux États-Unis dit que 52 % des Américains seraient favorables à un engagement de troupes pour défendre Taïwan.

Alors, la guerre est-elle possible ? Des Américains devront-ils mourir pour Taïwan ?

La philosophe Thérèse Delpech l’affirmait dans L’Ensauvagement, ouvrage paru en 2005 : Taïwan est l’Alsace-Lorraine du XXIᵉ siècle. Elle expliquait que les Chinois eux-mêmes, et depuis longtemps, faisaient cette comparaison. Zhou Enlai l’avait dit dès les années 1960 aux Français pour séduire ses interlocuteurs.

La Chine ne démordra pas de cette position. Taïwan est une province chinoise et sa libération est un problème intérieur chinois. La question de son statut ne se pose pas : l’île a été rendue à la Chine en 1945. Point.

Alors, la guerre ?

Les deux pays vont tout faire pour l’éviter, mais le dialogue est rare entre eux. Xi n’est venu ni au G20 ni à la COP26. Il n’est pas sorti de Chine depuis janvier 2020. Depuis la Covid, les Chinois ne sortent plus et 97 % des vols internationaux sont supprimés.

Cabestan, qui vient de publier le livre Demain la Chine, Guerre ou Paix ? (chez Gallimard), professeur à l’université baptiste de Hong Kong, ne croit pas à un conflit généralisé entre les deux puissances. Mais la croissance chinoise ralentit et le nationalisme peut-être toujours une porte de sortie pour un régime en difficulté. De là à penser que quand la Chine ralentira, le monde tremblera… (Quand la Chine s’éveillera… le monde tremblera, livre d’Alain Peyrefitte).

La Chine cherche à mettre en œuvre ses capacités et à convaincre les Américains qu’il ne faut pas aller se faire tuer pour Taïwan. Elle essaie d’augmenter les hésitations américaines. La Chine a un arsenal nucléaire limité, mais elle veut montrer que sa capacité nucléaire est crédible, une frappe de riposte qui sera capable de percer la défense antimissile US. Les États-Unis mettent par contre en avant la menace chinoise (cf. essai missile hypersonique) pour montrer qu’il faut accroître les budgets militaires.

À Taïwan, l’inquiétude ne domine pas. Il y a toujours une confiance dans les États-Unis.

S’il y a conflit, ce sera une guerre non voulue, une guerre par engrenage, par accident. Les conséquences stratégiques et économiques seraient énormes pour la Chine. Mais des erreurs de calcul sont possibles, surtout si les Chinois pensent que les États-Unis n’interviendront pas.

L’Europe peut-elle être impliquée dans ce conflit ?

S’il y avait une intervention américaine, il y aurait un conflit d’importance globale. Taïwan a un rôle économique, des dizaines de milliers d’Européens y vivent.

L’Europe est-elle impliquée ? Non, dans la mesure où elle n’a pas les moyens militaires, elle n’a pas les capacités d’intervenir. Les Européens auront un rôle à jouer en cas de conflit. Ils ont un rôle à jouer pour éviter le conflit. Notamment pour montrer qu’ils ont comme priorité le maintien de la stabilité dans le détroit de Taïwan. Il faut montrer le coût de la guerre pour la Chine, et également bien montrer à Taïwan que toute provocation n’est pas utile.