Et si 2016 sonnait le glas de l’UE, annonçait son déclin progressif, sa dislocation progressive ? Depuis 2008 et le début de la crise économique, les voix divergentes se multiplient au sein même de l’Union européenne (UE) et remettent en cause ce processus d’intégration régionale vieux d’un demi-siècle. Ainsi, ce qui divise les 28 pays de l’UE semble aujourd’hui plus important que ce qui les rapproche. J.C. Juncker affirmait de facto l’an passé: «Notre Union européenne ne va pas bien. Il n’y a pas assez d’Europe dans cette Union. Et il n’y a pas assez d’Union dans cette Europe ». L’UE autrefois le parangon de l’intégration régionale, pourrait finalement devenir le symbole de l’incompatibilité entre zones d’intégration régionales et mondialisation. Cet ensemble régional est effectivement à la croisée des chemins et attaqué de toutes parts par des motifs de désunion multiformes.

L’Europe dos au mur et au pied du mur

L’un des principaux motifs de désunion est aujourd’hui la crise des réfugiés qui divise à la fois les populations et les Etats. On assiste de facto à une recrudescence des frontières et à un « repli paroissial » (Z.Laïdi). En effet, aucune solution commune n’a été prise à cause de la multiplication des voix dissonantes. L’espace Schengen, pourtant tant mis en avant, perd actuellement tout fondement avec la remise en cause de la libre circulation des hommes. Le contrôle aux frontières a ainsi été réactualisé dans de nombreux pays courant 2015 et 2016, témoignant d’une volonté étatique de contrôler les flux de migrants notamment avec la menace terroriste actuelle.

Depuis peu, les murs repoussent également en Europe, par exemple la barrière d’Edirne en Grèce. La Hongrie d’Orban se présente quant à elle en pourfendeur de l’afflux de migrants en Europe. Elle a ainsi construit un mur anti-migrants sur la totalité de sa frontière avec la Serbie et sur 40km avec la Croatie pourtant membre de l’UE. Au sein même de l’espace Schengen, l’Autriche à Spielfeld ou encore la France à Calais ont construit des clôtures, ce qui est contraire aux principes de libre circulation de Schengen. Ces événements ont des conséquences au sein même de l’UE, puisque Jean Asselborn, ministre des affaires étrangères luxembourgeois, a récemment demandé la sortie de la Hongrie de l’UE en raison de sa politique à l’égard des réfugiés. On pourrait aussi s’interroger sur la pérennité de l’espace Schengen qui se retrouve actuellement au centre des débats.

Les atermoiements de la politique migratoire commune ne sont pas une exception dans le paysage politique européen. L’UE est en effet incapable de proposer une politique étrangère ad hoc comme l’affirmait Chris Patten, commissaire européen en 2002: « La politique étrangère européenne est comme une phrase mal formée: beaucoup d’adjectifs – on n’est pas avare de jugements – mais pas beaucoup de verbes – on n’est pas équipé pour l’action ». Cette absence de diplomatie commune permet de comprendre à la fois les dissensions au sein et en dehors de l’UE  concernant des défis contemporains, notamment au Moyen-Orient où les deux anciens « Grands » de la Guerre Froide, les États-Unis et la Russie, font la pluie et le beau temps. Par conséquent, l’Union apparaît désunie diplomatiquement, se résumant à une somme de diplomaties cherchant à exister sur la scène internationale. C’est d’ailleurs avec cette volonté de devenir une puissance coercitive, chose impossible par le biais de l’Union, que l’Allemagne a publié courant 2016 son livre blanc de la défense véritablement tourné vers l’offensive.

Économiquement, de profondes divergences demeurent entre les États européens qui sont dans l’incapacité de proposer une politique commune. Il s’agit tout d’abord de constater qu’il n’y a pas une Europe mais bien des Europes qui n’avancent pas au même rythme. La crise grecque ainsi que la crise monétaire actuelle symbolisent les dysfonctionnements de la zone euro. Ainsi, l’UE n’a jamais semblé aussi divisée que sur la question monétaire, la zone euro étant aujourd’hui la région du monde connaissant la plus faible croissance et la plus importante montée de chômage.  D’ailleurs, les divergences politiques concernant la question monétaire entre l’Allemagne et la France sont trop nombreuses et pourraient annoncer une fin de l’euro devenue inéluctable sans politique fédérale efficace et une meilleure homogénéisation. Or la zone euro est actuellement le socle sur lequel l’UE est fondé. La fin de la zone euro annoncerait donc la désunion européenne.

La Grande-Bretagne, précurseur d’une vague de désunion ?

Alors même que la Grande Bretagne de Margaret Thatcher avait réussi à renégocier une « Europe à la carte » durant les années 1970, la construction européenne a connu un coup d’arrêt aussi brutal qu’inattendu avec le choix du Brexit le 23 juin dernier. Même si l’Union était frappée de réticences depuis les années 1990, était déchirée par de multiples forces centrifuges lui reprochant d’être non-démocratique et était contrôlée par des technocrates, personne ne s’attendait à ce revirement de situation. L’europessimisme est devenu si important au sein même des différents États de l’UE que l’on en vient à se demander s’il y aura encore une Union dans 20 ans.

Le Brexit par exemple ne correspond pas qu’à une simple critique à l’égard de la politique migratoire européenne : il s’agit d’un rejet des institutions européennes, comme l’affirme Nicolas Dupont-Aignant, candidat à la présidentielle de 2017 en France, dans son dernier livre Le mur de Bruxelles est tombé!. Ne pourrait-on pas y voir un parallèle entre un Brexit menant à l’effondrement de l’UE et la chute du mur de Berlin qui a mené à l’effondrement de l’URSS? De nombreux partis d’oppositions (tels que l’AfD en Allemagne ou le Front National en France) ont d’ailleurs profité de cet événement pour exacerber les tensions en appelant à la tenue de référendums similaires, ce qui pourrait donc annoncer un nouveau processus de « déconstruction européenne ».

Et si l’UE sortait grandie de cette année ?

Alors que les motifs de désunion sont protéiformes, le processus d’intégration européen pourrait sortir grand gagnant de cette année difficile. N’est-ce pas Jean Monnet qui affirmait: «J’ai toujours pensé que l’Europe se ferait dans les crises et qu’elle serait la somme des solutions qu’on apporterait à ces crises».  Les multiples crises qui semblent fragiliser l’UE aujourd’hui pourraient lui permettre de devenir plus forte, plus cohérente et donc plus puissante. Débarrassée de la Grande-Bretagne, qui lui coûtait cher et qui freinait l’approfondissement, l’UE a désormais l’occasion d’envoyer un message clair aux autres États membres en proposant un projet plus fort. Le Brexit peut en effet rimer avec la fin de « l’UE à la carte » et permettre à l’UE de « sortir de son coma » en se fondant sur plus d’intégration et de fédéralisme. C’est ainsi que la France et l’Allemagne se positionnent désormais en promoteurs d’une Union beaucoup plus intégrée.

L’UE se trouve donc à la confluence de deux tendances: la « déconstruction européenne » amorcée par la Grande-Bretagne et les multiples défis menaçant la pérennité de l’union actuelle (parmi lesquels on aurait également pu développer les divergences concernant la politique énergétique ou le libre-échange avec le TAFTA ou le CETA) et l’approfondissement autour du moteur franco-allemand, qui souhaite surfer sur un « esprit de Bratislava » fondé sur la concorde entre les 28 États membre de l’Union le mois dernier.

Bibliographie:

http://www.liberation.fr/debats/2015/09/28/refusons-la-desunion-europeenne_1392823

https://ec.europa.eu/commission/node/366388_fr

http://ddc.arte.tv/nos-cartes/des-frontieres-qui-se-re-ferment

http://www.liberation.fr/planete/2016/09/16/l-esprit-de-bratislava-celui-d-une-europe-en-bout-de-course_1499808

http://www.diploweb.com/Brexit-quels-enjeux-geopolitiques.html#nh1