L’auteur:

Ulrich Beck, né en 1944, est un sociologue allemand et professeur de sociologie à l’université de Munich. Il enseigne actuellement à Harvard, à la London School of Economics (LSE) et à la Fondation Maison des Sciences de l’Homme. Il a notamment publié: La société du risque, Aubier, 2001, Pouvoir et Contre-pouvoir à l’ère de la mondialisation, Aubier 2003; Qu’est ce que le cosmopolitisme? Aubier, 2006; Pour un Empire européen, avec Edgar Grande, Flammarion, 2007.

C’est un pro-européen convaincu. Il a soutenu à de nombreuses reprises la mise en place d’un Etat supranational et d’un parlement mondial. Il prône une Europe fédérale et “post-nationale”.

Résumé Editeur:

Comment en sommes nous arrivés là? Peut-on venir à bout de la crise européenne? L’union politique est-elle envisageable? Pour Ulrich Beck, nous avons trop longtemps mis de côté la question d’une société commune au profit de l’économie. le célèbre sociologue allemand dénonce la politique d’austérité menée par Angela Merkel, qu’il nomme merkiavélisme en référence au Prince de Machiavel. Ulrich Beck appelle de ses veux un réveil démocratique et pose les principes d’un contrat social européen, seule alternative possible à cette “Europe allemande” vouée à l’échec.

Résumé Major-Prépa:

Introduction : l’Allemagne s’apprête à décider du sort de l’Europe

Aujourd’hui, nous avons une Allemagne européenne dans une Europe allemande. Comment en est-on arrivé là ? Quelles sont les conséquences de cette situation ? Il semble que l’économie occupe toute la place, et que celle-ci ait oublié la société dont elle doit parler.

Aujourd’hui c’est le parlement Allemand qui s’apprête à décider du soutien de la Grèce : ainsi la Grèce perd-elle, à cause du poids de sa dette, son droit à l’autodétermination démocratique ? Mais depuis déjà longtemps il n’est plus seulement question que de la Grèce mais de l’Europe toute entière.

Ainsi une lourde tâche incombe à l’Allemagne : c’est à elle, en tant que leader actuel, de décider de la renaissance possible d’une Europe politique ou de poursuivre une politique faite d’improvisation et d’arrangements hésitants. Et dans cette « Europe allemande » actuelle, l’Allemagne serait tenue responsable de l’échec de l’Euro et de l’Union Européenne.

I. Comment la crise de l’euro divise et rassemble à la fois

  • La politique de rigueur allemande divise les gouvernements et les populations

La crise fait apparaitre de nouvelles fractures : entre pays créanciers et pays débiteurs, entre pays de la zone euro et hors zone euro, et entre dirigeants et populations qui refusent les politiques d’austérité. Dans cette situation on ne trouve que des perdants, les créanciers comme les débiteurs.

Ce qui caractérise la crise actuelle est l’ignorance qui entoure plus globalement cette Société mondiale du risque à laquelle sont aujourd’hui livrées les société occidentale. En résumé plus personne ne comprend rien !

  • Les succès de l’Union Européenne

C’est surement aujourd’hui l’épreuve la plus difficile de son histoire. Le problème est que l’on a réussi à faire naitre un marché commun avec une monnaie commune, mais pas une union politique et économique. Il n’a pas été possible de coordonner efficacement les économies des différents Etats. Cette politique selon laquelle chaque Etat doit lui-même régler ses problèmes économiques et éviter toutes conséquences négatives pour les autres pays est vouée à l’échec en période de crise.

Mais l’Europe persiste comme zone très attrayante en tant qu’espace de démocratie et de prospérité. Et pour les Européens, elle est devenue une seconde nature, une seconde patrie.

“La crise est le moment où l’ancien ordre du monde s’estompe et où le nouveau doit s’imposer en dépit de toutes les résistances et de toutes les contradictions. Cette phase de transition est justement marquée par de nombreuses erreurs et de nombreux tourments.”

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  • L’aveuglement de l’économie

Les économistes ne semblent pas avoir de modèles adaptés pour comprendre l’union monétaire européenne. Par conséquent ils la confondent avec des systèmes pour lesquels ils disposent de modèles.

Pourquoi la sortie de la Grèce de la zone Euro n’est pas la solution :

– Les textes ne prévoient pas la sortie d’un pays de la zone. Elle n’aurait lieu que sur demande des grecs, ce qu’ils ne veulent pas.

– Cela provoquerait une crise financière similaire à la faillite de Lehmann Brothers.

– La Grèce serait de toute façon soutenue par des aides en tant que pays de l’UE en difficulté. Et la crise qu’engendrerait un retour à la Drachme augmenterait encore plus le coût des aides, si l’UE veut éviter que la Grèce tombe dans l’Anarchie.

– Si la Grèce quittait également l’UE les conséquences seraient fatales pour la prospérité du pays et de l’union.

  • L’anachronisme d’une politique purement nationale

La crise de l’Euro montre clairement que les règles doivent être changées. Les anciennes procédures sont trop lourdes et trop lentes pour traiter les défis actuels.

Il faut mettre en place une « grande politique », de changement, une politique intérieure européenne. Elle doit être légitimée démocratiquement et s’engager pour l’intérêt de l’UE. Aujourd’hui l’Europe n’est qu’un thème de politique nationale intérieur, les politiciens se préoccupent d’abord de leur survie politique dans leur propre pays.

  • La crise de l’Union Européenne n’est pas une crise de la dette

Les flux de réfugiés pèsent sur les pays de l’UE déjà fragilisés tels la Grèce, l’Espagne, L’Italie… qui se sentent délaissés face à ce poids.

Le vrai enjeu est de créer une Europe en mesure de répondre aux changements et défis actuels sans céder au racisme et à la violence. Il s’agit d’éviter l’effondrement des valeurs européennes d’ouverture au monde, de liberté et de tolérance.

II. Les nouvelles coordonnées du pouvoir en Europe : comment on en arrive à une Europe allemande

  • L’Europe menacée et la crise du politique

Les catastrophes actuelles ont pour caractéristiques d’être d’ampleur mondiale, du fait des connections de plus ne plus étroites entre tous les espaces de vie et d’action. Ces risques engendrent le paradoxe de « l’incitation par le risque global » : ils font sortir les gens de leur routine et les politiques des prétendues contraintes objectives.

Cette logique de la société du risque se heurte à la logique démocratique. Europe est en effet synonyme de démocratie, mais la catastrophe laissera-t-elle subsister un minimum de démocratie ?

La transformation de l’ordre nationale peut s’orienter dans deux directions :

– Soit devant le danger que représente la crise les Etat adoptent la stratégie du « coopère ou périt », et sur la voie de la coopération démocratique, les Etats arrivent à la surmonter.

– Soit ce risque est instrumentalisé à des fins de chantage. Et cela pourrait déboucher à une remise en question de l’ordre existant, donc la fin de l’Europe, et /ou même la fin de la démocratie. (la fin de l’Europe serait la route à la fin de la démocratie).

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On distingue quatre champs de tension en ce qui concerne l’évolution de l’Union Européenne :

– Aller vers plus d’Europe : créer un ministère des finances européen afin d’avoir une régulation transnationale, bien plus efficace, car aujourd’hui la finance ne se laisse plus réguler nationalement. Créer la fonction de président de l’Europe afin d’avoir un pilier démocratique supplémentaire.

“Beaucoup de choses pourraient être plus simples si les gens, les parties prenantes et les politiques abandonnaient l’idée dépassée de la souveraineté nationale et comprenaient qu’ils ne retrouveront une souveraineté qu’à l’échelle européenne.”

– Aller contre les lois ou ne pas pouvoir contrer la crise : Il faut changer les lois pour faire face aux risques ; mais à quel point le droit peut-il travailler autant dans l’urgence ? et à l’inverse combien de temps l’Europe résistera-t-elle encore à cette situation ? Problème de légitimer auprès des populations le passage d’une échelle nationale à une échelle européenne de l’ordre social, politique et juridique.

– La logique de la menace du risque : C’est ce paradigme du risque qui dans nos sociétés mondialisés fait changer nos conditions de vie et les rapports de force. Pour y faire face, la communication, la coopération, l’intégration d’autres nations, religions… sont indispensables. Ainsi la crise n’a pas seulement déchiré l’Europe, elle a rapproché les européens entre eux.

– Aller vers un capitalisme global : Depuis la vague libéral, le capitalisme s’est complètement dérobé à la gouvernance politique. C’est pourquoi les institutions européennes tentent de contenir ce capitalisme débridé avec des réformes comme l’union bancaire…

Notons que ces réformes vers plus d’Europe peuvent parfois être très impopulaires dans certains Etats.

  • Le nouveau paysage du pouvoir en Europe

Au sein de l’UE, le couple hégémonique Merkozy apparaissait comme supérieur, et Ces nouvelles inégalités recouvrent trois dimensions :

– Les membres et non membres de la zone euro : les pays non membres de l’euro sont de plus en plus écartés des débats européens. De ce fait, les eurosceptiques comme le Royaume-Uni sont de plus ne plus isolé.

– Les pays créditeurs et débiteurs : Pour ces pays en crise, faire partie de la zone euro leur garantit d’être des acteurs du nouveau centre du pouvoir mais aussi d’être dépossédé de leur pouvoir. Ces débiteurs doivent accepter de perdre de leur souveraineté, leur droit à l’autodétermination démocratique est revu à la baisse, et ils se trouvent devant l’alternative d’accepter ces conditions ou de quitter l’euro ! Ainsi y a-t-il un retrait de la démocratie ? Les pays riches seront-ils les seuls à avoir une voix, décidant pour les pays débiteurs ? Et l’Allemagne, en tant que pays le plus riche, doit-elle faire sa loi ?

– Une Europe à deux vitesses : Certain Etats, notamment ceux directement menacés par la crise de l’euro, jouent le rôle de pionniers (parfois malgré eux) en tant que bâtisseurs d’Europe.

“La majorité des allemands souhaitent au contraire pour leur pays un rôle de grande Suisse sur l’autel de la politique mondiale ; Berlin n’exerce la conduite de l’Europe qu’à contrecœur- d’abord au plan économique, rarement en matière de politique étrangère et jamais au plan militaire.”

  • « Merkiavel » : l’hésitation comme méthode de domestication

Angela Merkel a utilisé l’occasion qui s’est présentée à elle avec la crise pour transformer les rapports de force en Europe. On peut détailler sa méthode en quatre piliers :

– Combiner souverainisme et construction de l’Europe : dans le but de ce donner autant de légitimité en Allemagne qu’à l’échelle Européenne.

– L’art de tergiverser comme stratégie disciplinaire : la Caractéristique de la méthode Merkel est son penchant pour ne pas agir ; cela fait office de menace pour les pays endetté, car il y a une seule chose plus grave que de subir le déferlement de l’argent allemand, c’est de ne pas le subir du tout !

– Le primat de l’éligibilité nationale : La priorité n’est pas pour elle d’aider les pays endettés mais de gagner les élections en Allemagne.

– La culture économique de la stabilité : politique de rigueur qu’elle veut imposer à tous.

Cette Europe Allemande s’est réalisée, au moins au début, de façon involontaire et non planifiée.

La hiérarchie du pouvoir qui s’est établi en Europe n’est pas légitimée démocratiquement.

L’Allemagne affiche les meilleurs chiffres d’Europe : 3.7% et 3% de croissance en 2011 et 2012, Et le chômage a diminué de moitié. Mais la politique de rigueur allemande appliquée au reste de l’Europe n’a jusqu’à maintenant nullement fait ses preuves. Jusqu’ici ces programmes ont accentué la crise européenne et mènent à l’opposé de ce qui avait été initialement prévu. En effet, si cette politique a marché en Allemagne lors de la réunification, l’universalisme allemand a trop tendance à croire qu’il a trouvé la recette universelle de la prospérité.

III. Un contrat social pour l’Europe

Il ne servirait à rien de construire la plus belle Europe si les citoyens n’en voulaient pas. Il faut donc qu’elle devienne une chose pour laquelle il vaille la peine de vivre, de se battre et de donner sa voix. Il faut pour ce faire compléter la vision institutionnelle de l’UE et mettre en place un contrat social, qui permette une liberté et une identité au sein de la communauté.

  • L’Europe garantit plus de liberté

Il faut trouver une forme de fédération européenne qui protège juridiquement tous les citoyens européens.

L’Europe signifie un surcroit de liberté et de richesse culturelle. Les jeunes qui se déplacent aujourd’hui très naturellement en Europe à travers les frontières expérimentent l’Europe comme une société mobile des individus, ils apprécient la libre circulation, la diversité des cultures, des langues, des formes de vie… C’est en ce sens que vaut la formule : +d’Europe = +de liberté. Pourtant les politiques pensent l’intégration européenne seulement sur le plan des institutions, ce qui est très insuffisant !

  • … plus de sécurité sociale

Il faut que plus d’Europe rime avec plus de sécurité sociale, notamment parce que la question sociale est devenue une question globale qui ne trouve plus de réponses nationales.

Students take part in a rally to support EU integration in Kiev

  • … plus de démocratie

Il faut poser la question de la démocratie du point de vu des institutions mais aussi des individus. Et cette démocratie ne prend vie que lorsque les individus eux-mêmes s’approprient le projet et construisent l’Europe ensemble.

La capacité d’adopter la perspective de l’autre est la condition de la naissance d’une Europe démocratique, par conséquent nous avons besoin d’une campagne d’alphabétisation interculturelle à l’échelle européenne, et ce pour toutes les couches de la société, pas seulement une élite cultivée.

Reste deux problèmes à résoudre : comment la démocratie nationale peut-elle se maintenir quand la démocratie transnationale gagne en autorité ? Et une Europe démocratique aurait besoin de ressources propres, mais ajouter un impôt pour l’Europe ne serait pas populaire du tout !

  • Qui peut imposer le contrat social ?

L’Allemagne tout comme les pays ayant une lourde dette ont tous avantage à plus de coopération et de solidarité européenne, et ainsi à la mise en place du nouveau contrat social pour l’Europe. De plus, il faudrait faire en sorte que responsabilité collective et contrat social soit mis en place en même temps. Si on y parvenait, les marchés reprendraient confiance et n’hésiteraient pas à investir, et les populations qui protestent contre l’austérité dans les pays endettés s’identifieraient au projet d’une Europe politique au modèle transnational de démocratie sociale.

  • Vers un printemps européen ?

Peu de signes montrent actuellement que le gouvernement allemand ou d’autres se rangeront bientôt en faveur des bâtisseurs de l’Europe.

Mais plutôt que de regarder du côté des élites, peut-être que les motivations qui manquent à la construction de ce projet ne peuvent venir que du bas : de la société civile elle-même ! Ainsi pourra-t-on bientôt assister à un printemps européen ? A un mouvement d’opposition contre la politique de rigueur germano-européenne, qui lutterait « d’en bas » pour une union politique fondée sur des principes sociaux-démocrates. La crise de l’Euro a ôtée toute légitimité à l’Europe néolibérale : en découle un déséquilibre entre le pouvoir et la légitimité.

Points positifs:

  • Une synthèse qui permet de comprendre la crise économique et identitaire que connais l’Europe.
  • Un auteur spécialiste de la question Européenne, qui peut tout à fait être cité comme référence.
  • Un plaidoyer pour une Europe fédérale qui énonce clairement ses arguments, donc facilement réutilisables en DS.
  • Un style simple et agréable à lire.

Points négatifs:

  • Une approche très sociétale, qui ne développe que peu les problématiques de puissance économiques ou de géopolitique.

A conseiller pour:

Les étudiants souhaitant comprendre les enjeux européens actuels ou approfondir leurs connaissances sur l’Europe, et voulant disposer des arguments d’un partisan convaincu d’une Europe fédérale et sociale.

Guillaume Hénault
MAJOR-PREPA