Bien que le Chili ait connu une forte augmentation de son IDH (0,84 en 2018 selon la Banque mondiale), de multiples manifestations ont mené Piñera à annoncer un changement de la Constitution.

Les institutions

Les institutions sont définies par Daron Acemoglu et James Robinson dans Why Nations Fail? (2012) comme « les règles qui conditionnent les incitations économiques des individus, ainsi que les perspectives et opportunités qui s’offrent à eux ». Ces institutions semblent être en crise avec le mécontentement du peuple. Les auteurs différencient donc deux types d’institutions.

D’une part, les institutions inclusives préservent les droits de propriété et le respect des contrats, et elles atténuent les restrictions à la liberté et à l’opportunité de créer et innover, ce qui stimule l’épargne, l’investissement, le progrès technique, et par conséquent la croissance à long terme d’un pays, en permettant la participation de la majorité de la population aux bienfaits économiques et politiques.

D’autre part, les institutions exclusives freinent et inhibent l’innovation, car elles ne garantissent pas les droits de propriété ou bien imposent des barrières à l’entrée qui protègent les intérêts acquis, mais empêchent à la fois l’éclosion de nouvelles idées et entravent le processus schumpétérien de destruction créatrice.

Cependant, on parle souvent du modèle chilien comme un exemple de développement dans une région où, malgré le retour aux démocraties dans les années 1980, il n’y a guère eu les mêmes résultats que dans les pays voisins. Ainsi, les différentes manifestations posent la question de savoir si la fin du miracle chilien est en train d’avoir lieu. Le modèle chilien a-t-il vraiment été si exemplaire ? Les institutions inclusives n’auraient-elles pas plutôt été instaurées par les réformes de ce modèle ? Le Chili pourrait-il être en train de poursuivre son processus de développement par différentes réformes qui adaptent ses institutions ?

Le modèle chilien

Le Chili a été dans les trente dernières années une lumière dans l’obscurité de la région grâce à ses institutions. Cependant, ce modèle est contesté en raison de grandes inégalités qui divisent l’économie. C’est donc la capacité d’adaptation de ses institutions qui a permis le développement du pays. Le Chili a souvent été pris comme exemple par les autres pays de la région, d’une part du fait de la mise en place d’un modèle monétariste, et d’autre part, grâce aux institutions dites inclusives. Depuis la fin de la dictature de Pinochet, le pays a adopté un modèle monétariste différent des modèles suivis par les autres pays de la région. En effet, Sebastián Edwards, dans l’œuvre Left Behind Latin America and the False Promise of populism, affirme que dans les années 1980 et 1990 des mesures comme l’élimination des déficits, la réduction des droits de douane et les privatisations d’entreprises publiques ont garanti davantage le développement que dans les pays sud-américains, fort corrompus, dont la mesure principale était la manipulation des taux de change.

Par ailleurs, la clé de la réussite du pays a été ses institutions. J. Robinson et D. Acemoglu expliquent dans leur ouvrage que la mise en place d’institutions dites inclusives au Chili a permis le succès de son modèle. En effet, ils énumèrent cinq points importants :

  1. La séparation des pouvoirs
  2. La reconnaissance du pluralisme social
  3. L’existence des intermédiaires dans la société
  4. Les valeurs de l’individualisme
  5. La propriété privée

La participation de toute la société à la croissance importante du pays a permis la réduction des inégalités, son coefficient de Gini est notamment passé de 0,57 à 0,45 entre 2002 et 2014 selon la CEPAL. Cependant, on voit aujourd’hui que la société ne se sent plus représentée par les institutions. Dès lors, les inégalités sociales frustrent la population en raison d’une élite séparée de la réalité. En effet, Thomas Piketty, dans une interview donnée pour le journal argentin El Clarin, affirme qu’au Chili, même si la population est éduquée, les possibilités d’accès à l’emploi diffèrent selon l’origine sociale. En effet, dans le bilan de 2019 de la CEPAL (Panorama social), on constate que 1 % des plus riches au Chili produisent 20 % des richesses. Dès lors, le système formel de propriété au Chili peut être un obstacle au développement.

En effet, Le mystère du capital de Hernando de Soto, écrit en 2000, est toujours d’actualité. Il affirme qu’il existe dans les pays en développement un capital enfermé dans l’économie informelle, un « capital mort », entravant la croissance, notamment par le manque de crédits et d’investissements, et accentuant donc les inégalités, car les riches peuvent utiliser leur capital, ce dont les plus pauvres sont incapables, privés de capital formel. C’est ainsi que s’est fait le succès du développement chilien, grâce aux réformes mises en place et à la capacité des institutions à s’adapter. Ricardo French-Davis, auteur de la CEPAL, explique les différentes leçons de l’expérience chilienne : le Chili a réussi à transformer ses institutions face aux différents problèmes économiques et sociaux. D’ailleurs, la phase où le pays a eu la croissance la plus rapide a eu lieu après les grandes réformes des années 1990. Les réformes ont mis en place des redistributions pour « rembourser la dette sociale de la dictature » et des politiques contracycliques. Durant cette période, le pays a connu une croissance plus rapide (7,1 % en moyenne par an) que dans les années 80 (2,9 % en moyenne par an). Aujourd’hui, le pays traverse une situation similaire. Il doit donc réformer ses institutions pour retrouver un dynamisme et réduire les inégalités qui frustrent la population.

Conclusion

Les institutions chiliennes ont été inclusives grâce à leur capacité à s’adapter. La leçon à tirer du développement du Chili repose surtout dans la manière dont il a réussi à apprendre de ses erreurs et à innover pour renouveler sa croissance. Dès lors, il faudrait changer la Constitution pour pouvoir intégrer toute la population dans la croissance et arriver à réduire ces inégalités sociales.