Début juillet, la BCE annonçait via un communiqué de presse les premières décisions relatives à la réforme du concours 2023. Ce millésime sera en effet le premier qui verra composer les nouvelles prépas ECG ; la disparition des séries du bac général au lycée (S, ES, L) ayant pour corolaire de rendre les filières ECS et ECE caduques.

Pour autant, les premières mesures annoncées concernent d’abord l’ESH, mais aussi et surtout les langues vivantes, qui sont a priori peu impactées par cette réforme structurelle de la prépa économique et commerciale.

Ainsi les écoles chargées de concevoir les sujets proposés à la BCE ont souhaité profiter de ce contexte pour repenser plus largement la manière dont les candidats sont évalués – et donc sélectionnés – dans l’antichambre des Grandes Écoles de management. C’était sans compter l’opposition parfois vive des professeurs des classes préparatoires, dont certains ne goûtent guère les modifications envisagées initialement.

Des groupes de travail mêlant écoles et professeurs de l’APHEC  (Associations des professeurs des classes préparatoires économiques et commerciales) ont donc été mis en place afin de parvenir à un consensus satisfaisant pour l’ensemble des acteurs de la filière. Nous avons interrogé Christine Pires et Christophe Viscogliosi, Gérard Péhaut et Sylvie Laurent, respectivement professeurs d’espagnol et d’ESH, afin de connaître le sentiment des enseignants de classe prépa quant aux annonces finalement entérinées.

La réaction des professeurs de langues à la réforme du concours 2023

Major-Prépa : En ce qui concerne les épreuves de langues, l’opposition a d’abord été vive entre les écoles conceptrices et les professeurs. Qu’est-ce qui vous déplaisait dans les modifications initialement proposées par les écoles ?

Christine Pires : Lorsque l’on nous avait fait part de la décision de modifier l’épreuve, la suppression de la traduction ainsi qu’une réflexion profonde de l’épreuve avec l’étude de plusieurs pistes de travail nous avaient été annoncées. L’exemple de Centrale chez les scientifiques, c’est-à-dire la synthèse d’un corpus de documents, avait alors été cité. La levée de bouclier a été immédiate parmi nos collègues avec, tout d’abord l’opposition à un appauvrissement de nos outils de travail avec la disparition de la traduction.

En effet, celle-ci nous permet un travail de fond sur la langue dès l’arrivée en CPGE où les préparationnaires revoient (ou voient) toutes les bases grammaticales. Cet exercice, qui figure en bonne place dans nos programmes, est du reste plébiscité par les préparationnaires comme le montre l’enquête qu’un de nos collègues a effectuée auprès de 1000 étudiants en Grande École. De plus, les collègues qui enseignent également dans les filières scientifiques ont nourri le débat en relatant leur expérience négative de l’épreuve de synthèse. C’est donc la position qu’a défendue l’APHEC lors de son audition par le GT Elvi. 

Que pensez-vous de la formule finalement entérinée ?

Il y a des éléments que nous saluons comme le maintien du thème, à défaut d’avoir gardé la version. Celui-ci sera ancré dans un des documents du dossier, ce qui peut avoir le mérite d’être en lien avec la thématique proposée. De même, une expression nous paraît essentielle pour évaluer les compétences de production des étudiants.

Autre point à saluer : le passage de l’épreuve à quatre heures en LV2. C’était en effet nécessaire pour une épreuve plus longue et exigeante. 

 Cette épreuve s’inscrit dans la lignée de l’épreuve du baccalauréat et plus précisément de l’épreuve de spécialité. Nous pouvons voir là une certaine cohérence voulue par l’Inspection Générale. 

Toutefois, certains collègues regrettent la présence de la synthèse, titrée “résumé analytique”, à laquelle ils s’opposaient fermement, une expression qui dérive du corpus en y prenant appui. Pour ma part, c’est la multiplicité des supports de production de l’exercice d’expression qui m’interroge. Je crains que la forme et le travail méthodologique que cela suppose ne fasse perdre de vue l’essentiel : le fond, à savoir les connaissances et la qualité de la langue. 

Pour le thème, qui est bel et bien conservé, faudra-t-il s’attendre à un changement majeur dans la nature des textes qui seront proposés à la BCE ?

Il semble que le thème sera tiré du document en français qui intègre le corpus. Il est précisé qu’il s’agira d’un article ou d’un texte tiré d’un ouvrage “dans une langue peu spécialisée”. Cela paraît répondre à une évolution pragmatique qui correspond au profil de nos candidats, même si les littéraires que nous sommes voient leur fibre contrariée ! 

Quelles seront les attentes précises du “résumé analytique comparatif” ? Quelles compétences doivent être évaluées par cet exercice ?

Eh bien… Nous sommes tous très pressés de le savoir afin de préparer au mieux nos étudiants. Nous devrons attendre pour cela les sujets 0, les barèmes et grilles de compétences que la DAC nous a promis pour le 10 septembre.

En plus de cela, l’APHEC a demandé à ce qu’un corrigé précis nous soit fourni par les concepteurs pour ces sujets 0. Il est important que nous comprenions parfaitement les attendus de cette nouvelle épreuve dont nous ignorons tout. Un “résumé analytique” a-t-il les mêmes contraintes méthodologiques que la synthèse des scientifiques ? Quel est le format attendu ? Quels sont les écueils à éviter, autres que la paraphrase ? Difficile à ce stade de se faire une idée précise. 

On observe également une augmentation significative du nombre de mots dans les essais, tant en LVA qu’en LVB. Pourquoi ce parti pris ?

Il est vrai que cela surprend mais étant donné que c’est l’exercice qui “pèse” le plus (50% de la note), il est assez logique que sa place soit prépondérante. C’est aussi l’exercice préféré de nos étudiants qui peuvent s’exprimer et valoriser leurs connaissances. Là encore, cet exercice est assez cohérent avec ce qu’on attend d’un étudiant qui est censé pouvoir s’exprimer et argumenter. 

Toutefois, les collègues craignent qu’un étudiant plus faible ne soit désarçonné par une telle longueur en LV1. 

Mais outre la longueur, ce sont – je le répète -, les supports multiples qui me semblent totalement artificiels et contre-productifs. Ils risquent de détourner l’attention du fond et de la qualité de l’expression, ce qui est, à mon sens, primordial.

Autre point qui pose question : une expression qui prend appui sur certains documents du dossier ne peut être ni personnelle ni base à démontrer des connaissances propres. Les collègues craignent, à juste titre, une répétition des arguments de la question 1. 

De manière plus générale, dans quelle mesure cette réforme changera la manière dont les langues sont enseignées en classe prépa EC ?

Le gap entre l’arrivée en première année et les concours est de plus en plus important et nous multiplions là les exercices. Il est donc naturellement à craindre que les CPGE dont les étudiants présentent les trois banques ne puissent préparer cette épreuve aussi minutieusement qu’elle ne l’exige, notamment avec un temps très long à maîtriser les outils méthodologiques du discours, de la lettre, du rapport, de la synthèse, etc… au détriment des bases linguistiques et du contenu. J’espère sincèrement que cette épreuve ne sera pas réservée à quelques lycées qui ne présentent que la banque Elvi ou aux officines qui peuvent ajouter des heures d’enseignement aux trois heures hebdomadaires réglementaires. 

Le nouveau format semble complexe, manquera de lisibilité pour les préparationnaires et inquiète logiquement de nombreux collègues enseignant en filière ECT ou dans des prepas de proximité pour qui les termes d’ouverture sociale ne sont pas seulement un concept. 

Ce sont là des préoccupations et réactions immédiates sur nos listes, en réponse à une annonce très récente et qui sont à prendre avec les réserves nécessaires de contextualisation de cette interview. Nous serons plus à même d’estimer la difficulté en découvrant les sujets 0, leurs attends et… les corrigés !  Nous espérons aussi que rien n’est gravé dans le marbre et que l’échange avec la DAC pourra continuer en fonction des retours « de terrain » au cours de cette année de préparation où nous allons tester en avant-première le nouveau format. 

La réaction des professeurs d’ESH à la réforme du concours 2023

Major-Prépa : Pourquoi l’épreuve d’ESH a-t-elle été repensée à partir du concours 2023 ?

Christophe Viscogliosi, Gérard Péhaut et Sylvie Laurent : L’épreuve d’ESH a été repensée en raison de ce que l’on peut considérer comme la fusion des deux programmes d’ESH et d’économie approfondie : au lieu de six heures d’ESH et de deux heures d’économie approfondie, le programme d’ESH se traite désormais en huit heures et intègre les aspects micro et macro économiques jusque-là traités à part. 

On peut lire dans le communiqué de presse relayé par la BCE que les débats se sont principalement cristallisés autour de la place des mathématiques et de l’économie (micro et macro) au sein de l’épreuve : pourquoi cela ?

C’est la conséquence directe de ce qui est signalé plus haut : les écoles conceptrices des sujets d’ESH de la BCE, HEC et ESSEC d’une part et ESCP et SKEMA d’autre part souhaitent approfondir la dimension théorique dans le traitement des questions posées. Pour les représentants de l’ESH au sein du Conseil d’Administration de l’APHEC* (Association des Professeur des Classes Préparatoires Commerciales) il va cependant sans dire que nous espérons que les sujets proposés prendront en compte l’ensemble du nouveau programme en respectant son originalité : une domination des aspects économiques tant dans leur dimension factuelle que théorique, un poids accru de la sociologie, le tout s’inscrivant dans un cadre historique pouvant permettre d’intégrer tant les problématiques les plus contemporaines que des questions nécessitant une réflexion s’inscrivant dans le temps long.

La réforme du lycée et de la prépa EC qui en découle va permettre à des étudiants qui n’ont pas suivi la spécialité SES ou même HGGSP au lycée de suivre un enseignement d’ESH en prépa. Pensez-vous que ces nouvelles classes a priori plus hétérogènes en termes d’acquis poseront problème dans l’enseignement de l’ESH ? Ce facteur a-t-il été pris en compte au moment de remodeler les attendus des épreuves ?

L’hétérogénéité potentielle des classes de première année qui proposent l’ESH exigera de rapidement combler les différences de niveau entre ceux qui ont fait des SES au lycée et les autres. Pour ces derniers, il faudra proposer un accompagnement spécifique pour leur permettre de maîtriser au plus vite les concepts et le vocabulaire de base. Cela dit, ce n’est pas tout à fait nouveau : pendant des années il était possible de recruter en ECE des bacheliers L option maths, qui n’avaient donc pas fait de SES au lycée et qui ont montré qu’ils étaient capables de très vite s’adapter.

La diversification des parcours au lycée a été signalée aux concepteurs d’épreuves de la BCE. Affirmer que cela a guidé leur réflexion est un pas que nous ne pouvons pas vraiment franchir.

Concrètement, à quoi faudra-t-il s’attendre à partir de 2023 ? Qu’est-ce qui dans les sujets proposés et les compétences évaluées va fondamentalement changer ?

Il faudra que les candidats soient capables d’aller plus loin dans la mobilisation des concepts théoriques pour armer leur réflexion : il faudra être capable d’intégrer des représentations graphiques, de les expliquer et d’intégrer les expressions mathématiques de base en les justifiant.

Un mot enfin sur l’épreuve d’ESH TBS, qui fera son entrée à la BCE en 2023 : pourquoi cette nouvelle épreuve, quelles en seront les spécificités et quelles écoles la prendront en compte ?

Cette épreuve sera une dissertation en quatre heures mais à la différence de ce qui est prévu pour les autres épreuves BCE et, semble-t-il pour Ecricome, il y aura possibilité d’adjoindre au libellé du sujet des documents factuels simples (Graphiques, tableaux statistiques voire textes courts…) qui permettront d’orienter la réflexion du candidat sans pour autant lui donner la problématique. Pour l’instant, nous ne savons pas quelles écoles adopteront l’épreuve proposée par TBS.