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Les animaux sont souvent représentés dans les œuvres d’art, que ce soit sous forme picturale, sculpturale, littéraire ou même musicale. Dans cet article, nous nous attardons sur un exemple pictural, celui de Chagall, et un exemple sculptural, celui de Brancusi.

Les animaux chez Chagall

Présentation de Marc Chagall

Marc Chagall (1887 – 1985) est un peintre biélorusse née dans une famille juive d’origine modeste. Il vit une enfance heureuse, puis découvre l’avant-garde parisienne. Entre Paris et la Russie, il se laisse inspirer par le cubisme, le fauvisme et l’impressionnisme. Il peint à la fois des paysages et des œuvres empreintes d’un esprit révolutionnaire qui attirent sur lui l’attention des autorités russes. Il obtient la nationalité française, mais l’occupation allemande le chasse vers les États-Unis. Ses œuvres traduisent alors ses angoisses nées du climat antisémite. A la fin de la guerre, déjà mondialement renommé, il diversifie ses techniques, qu’il perfectionne jusqu’à sa mort : céramique, vitraux, peintures morales, tapisseries…

Les animaux chez Chagall

La présence d’animaux chez Chagall est souvent liée aux traditions russes et juives dans lesquelles il ancre son œuvre. Dans la tradition juive, les animaux sont sacrés. La chèvre est l’un des animaux les plus fréquents chez Chagall. Elle a pour lui une signification autobiographique, car elle exprime la complicité qu’il ressent vis-à-vis des animaux et symbolise les similitudes de nature entre l’homme et l’animal.

L’image de la chèvre est liée à l’art traditionnel russe. Elle rappelle le loubok, art populaire de gravure sur bois dans l’univers de la fable, où les animaux de l’imaginaire russe sont souvent représentés. Cette inspiration se mêle aux souvenirs de l’enfance de Chagall, marquée par des séjours à la campagne où les animaux domestiques sont nombreux. Chagall se sent proche de l’univers animal, car hommes et animaux partagent le même destin : naître, vivre, souffrir, par exemple de la guerre, et mourir.

Chagall représente les animaux comme des créatures presque humaines, par exemple jouant du violon (La Mariée), ou proche d’une femme pouvant représenter Bella, son épouse (La Nuit verte). Il en est de même dans l’Autoportrait à la pendule, où le caractère autobiographique de l’âne est signalé par la présence d’une femme en blanc, Bella. Le coq, comme symbole de l’amour viril, peut aussi symboliser le peintre lui-même, ou un message positif d’espoir et de justice, conformément à la tradition russe. On le retrouve notamment dans Le Coq, où l’animal est chevauché par une femme.

La chèvre a pour lui une connotation positive : il s’agit d’un animal doux et calme qui représente son enfance. Parce qu’il est fragile, il symbolise le rejet de la violence. Pour Chagall, il est un « appel à la tendresse et à la compassion ». Il rappelle la comptine traditionnelle Had Gadya, dont le titre signifie « agneau ». Dans cette comptine sont décrits une série d’actes de violence commis pour sanctionner un acte d’injustice, qui sont à leur tour punis à cause de leur violence.

Couplet 4 :

« Un agneau, un agneau, que mon père avait acheté pour deux sous.
Et le bâton arrive et frappe le chien
Qui avait mordu le chat, qui avait mangé l’agneau
Que mon père avait acheté pour deux sous »

Le poème est ainsi construit avec une structure cyclique de récapitulation, qui fait de la persécution de l’agneau le point de départ d’une série de châtiments. Dans l’imaginaire juif, le poème peut représenter les différents peuples ayant habités la terre d’Israël promise au peuple élu, le peuple Juif, symbolisé par l’agneau. D’autres animaux peuvent avoir une signification religieuse, comme la génisse.

Ce poème exprime la croyance en l’existence d’une justice suprême. En effet, la dernière violence commise est celle de l’ange de la mort qui fait saigner le chohet, c’est-à-dire la personne chargée d’exécuter le rite juif de purification des animaux lors de l’abattage. Cette violence est punie par le « Saint Béni soit-il », autrement dit Dieu lui-même, qui par cet ultime châtiment rétablit la justice.

Un exemple de tableau : Les amoureux de Vence

Ce tableau, peint en 1957, montre au premier plan un couple enlacé devant une colline, dans un coucher de soleil. Au loin, une chèvre sur la colline surplombe une cité entourée de remparts. Elle regarde le soleil rouge disparaître à l’horizon. Le couple reflète le bonheur de deux amoureux dans un paysage paisible, peint de couleurs chaudes. Cette image tranche avec la réalité de la vie de Chagall, marquée par la guerre et l’antisémitisme.

La couleur rouge du soleil représente à la fois l’amour et la mort, la destruction. La chèvre regardant le soleil figure donc la réflexion de Chagall lui-même sur les souffrances liées aux deux guerres mondiales et à la persécution juive. Par contraste avec le rouge agressif du soleil, elle renvoie une image de douceur, d’innocence et de fragilité. Située à l’écart du couple, la chèvre représente aussi la solitude de l’artiste, loin de l’atmosphère paisible et amante.

Comme symbole de douceur et de compassion, la chèvre fait écho aux tons doux de bleu et de vert qui caractérisent le paysage du tableau. Son regard tourné vers l’avenir et sa position en hauteur la transforment en force quasi divinisée capable d’annoncer le destin des hommes. Ce destin peut être funeste : la mort, la séparation du couple, symbolisés par le coucher de soleil. La chèvre peut aussi faire office de figure protectrice pour les amants, voire pour les animaux, comme symbole d’une cohabitation pacifique entre les hommes et les animaux.

Les animaux chez Brancusi

Présentation de Constantin Brancusi

Constantin Brancusi (1876 – 1957) est un sculpteur roumain, né dans une famille pauvre de paysans. Ses études d’art le mènent à Paris, où il s’installe définitivement, après avoir traversé l’Europe.

Il est souvent considéré comme le précurseur de la sculpture abstraite. En cela, il a beaucoup influencé la sculpture autant que la peinture contemporaine. Notamment, il a posé les bases de la sculpture surréaliste et du courant minimaliste des années 1960. Ce courant cherche à minimiser les moyens utilisés en ayant recours à des formes épurées. Son style traduit l’influence combinée de l’avant-garde parisienne et de son expérience rurale en Roumanie.
Son influence libère la sculpture de l’imitation de la réalité, car il cherche d’abord à représenter l’essence des choses plutôt que leur apparence. Paradoxalement, il ne considère pas ses sculptures comme abstraites mais comme plus concrètes que les œuvres figuratives.

Les animaux chez Brancusi

Les animaux occupent une place primordiale dans l’œuvre de Brancusi. L’une de ses sculptures animales les plus connues est L’Oiseau dans l’espace, mais elle n’est pas la seule. Du coq au phoque en passant par la tortue et le pingouin, Brancusi cherche à chaque fois à représenter non pas la forme de l’animal, mais son essence.

Il dit par exemple à propos de son Poisson (1922) qu’il cherche à « saisir l’étincelle de son esprit » en n’en représentant pas les écailles, mais le reflet lumineux de son corps à travers l’eau et son mouvement. C’est cette lumière et ce mouvement, qui intuitivement ne peuvent pas être capturés dans une sculpture figée, que Brancusi veut donner à voir.

L’ensemble de ses œuvres animales constituent un « Bestiaire ». En effet, disposées dans son atelier, elles constituent ce qu’il appelle un « groupe mobile », un ensemble d’œuvres autonomes dont le rapprochement crée une nouvelle œuvre. Cette nouvelle œuvre, composée des formes, textures et vides entre les œuvres, joue sur les voisinages et les contrastes entre chaque sculpture. Le « Bestiaire » est composé d’œuvres minimalistes, très lisses, en général de marbre ou de bronze, dont la surface polie crée des effets de lumière qui participent à l’œuvre.

Contrairement à Chagall, chez Brancusi, l’animal n’est plus du tout humanisé, mais au contraire abstractisé et réduit à une forme. Brancusi ne cherche pas à représenter ce que les animaux ont d’humain, ou même de vivant, mais leur essence même, qui se trouve dans leur rapport avec leur milieu : le vol pour l’oiseau, le miroitement de l’eau pour le poisson, etc.

Un exemple de sculpture : L’Oiseau dans l’espace

L’Oiseau dans l’espace est une sculpture de Brancusi réalisée en plusieurs exemplaires. Le premier, datant de 1923 et mesurant 140 cm de hauteur, est exposé au Metropolitan Museum of Art à New York.

La sculpture représente un oiseau sans plumes ni ailes, sous la forme épurée d’un ovale posé sur un socle, en marbre ou en bronze poli. Elle prend racine dans l’expérience de berger du jeune Brancusi, qui dès son enfance commence une méditation sur le dualisme irréconciliable entre le ciel et la terre. Ces deux éléments ont pour seul lien le vol de l’oiseau. C’est pourquoi Brancusi cherche davantage à représenter l’essence du vol que l’oiseau en lui-même.

La sculpture s’inscrit dans le Cycle des oiseaux. Son premier oiseau, la Maïastra, date de 1910 et fait référence aux contes traditionnels roumains. La maïastra y est un oiseau fabuleux capable de réunir les amants séparés. En cela, il introduit les thèmes de l’unité et de la métamorphose dans le travail de Brancusi. La sculpture montre l’opposition entre un socle épais représentant un couple enlacé, associé au terrestre, et une forme ovoïde tendue vers le ciel.

Avec l’Oiseau dans l’espace, la silhouette de l’oiseau semble encore davantage libérée de la pesanteur grâce à sa forme étirée. Elle incarne un élan pur vers le ciel, comme si la sculpture pouvait se détacher du sol. Cet aspect presque immatériel est atteint par un travail d’épuration et de polissage du matériau. Brancusi continue à perfectionner cette forme tout au long de sa vie. Par sa conception, il rejoint le philosophe Gaston Bachelard, selon qui « le corps de l’oiseau est fait de l’air qui l’entoure, sa vie est faite du mouvement qui l’emporte ».

Pour résumer

L’animal est un élément constitutif de l’enfance de Chagall et de l’imaginaire populaire qui a nourri son inspiration artistique. Les représentations des animaux dans ses tableaux sont l’occasion d’une projection autobiographique, mais ont aussi une signification symbolique, ou expriment le désir d’une reconnexion à la nature et d’une unité entre l’homme et le monde animal. Elles montrent surtout que l’animal est semblable à l’homme et joue un rôle fondamental dans son univers et son imaginaire.

Chez Brancusi, l’animal est l’occasion d’une réflexion sur le lien qu’il entretient avec son milieu et la façon dont il est perçu par l’homme. Il est réduit à une forme épurée à travers laquelle son essence-même doit transparaître. Alors que l’homme est associé à la terre, les animaux représentent d’autres éléments (air, eau) et sont déshumanisés par leur apparence minimaliste.