Ce poème est tiré du recueil Capitale de la douleur, (section « Répétitions ») paru en 1926.

LA PAROLE

J’ai la beauté facile et c’est heureux

Je glisse sur le toit des vents

Je glisse sur le toit des mers

Je suis devenue sentimentale

Je ne connais plus le conducteur

Je ne bouge plus soie sur les glaces

Je suis malade fleurs et cailloux

J’aime le plus chinois aux nues

J’aime la plus nue aux écarts d’oiseau

Je suis vieille mais ici je suis belle

Et l’ombre qui descend des fenêtres profondes

Épargne chaque soir le cœur noir de mes yeux.

Le « je » ici désigne la parole : le poème énonce les conditions de son existence et les formes qu’elle revêt.

J’en conviens, lorsqu’on le lit une première fois sans réfléchir au sens profond des mots, il est difficile de voir le rapport avec la parole. Et pourtant, si : en analysant ce poème, sans trop entrer dans le détail, certains éléments sont à noter.

  • La parole est marquée par la beauté (eh oui, c’est un poète qui parle). On note ceci dans le premier vers (« j’ai la beauté facile ») et le vers 10 (« je suis belle »). Dans ce vers, Eluard nous rappelle que la parole est « vieille », ancienne et que c’est peut être cela qui en fait sa beauté.
  • Ce poème est ancré dans le surréalisme : la parole ne connaît « plus le conducteur ». Ce vers traduit la nouvelle conception de l’écriture qu’est le surréalisme : le poète ne fait que transmettre la parole qui le traverse et ne cherche plus à la diriger consciemment : elle s’offre à lui. Les vers 6 et 7 le confirment : les multiples oppositions échappent à tout contrôle de la connaissance.
  • Le mot « chinois » (vers 8), est intéressant à analyser car il peut avoir plusieurs sens.
    • Quelque chose d’incompréhensible (« c’est du chinois » ! ) : le surréalisme ne cherche pas à faire sens et les expressions ne sont pas claires
    • Quelque chose d’exotique : la parole avouerait alors sa prédilection pour les individus excentriques, ou pour les mots bizarres/peu communs (rappelons-nous que le « je » désigne la parole)
    • Il peut également être une référence à l’Empereur de Chine et à l’empire chinois : il s’agit, pour Eluard, de la terre où toutes les contradictions se résolvèrent.

Finalement, la parole poétique est pour Paul Eluard un mélange harmonieux d’arbitraire apparent et de rigueur profonde qui ne tombe jamais dans le non-sens. Malgré toutes les contradictions qui habitent le poème, l’ordre du sens est toujours respecté.

En résumé, voilà ce que tu peux en retenir pour les concours :

  • Le premier vers « J’ai la beauté facile et c’est heureux ». C’est un des vers les plus connus d’Eluard, et ça peut constituer une accroche du tonnerre
  • Vision du surréalisme : l’homme ne guide pas la parole mais celle-ci le traverse et il ne fait que la transmettre de façon inconsciente
  • L’exemple du mot « chinois » serait un parfait exemple pour illustrer une partie sur la polysémie des mots.