Dans cet article, nous vous proposons un résumé de la théorie de l’évolution de Darwin ainsi que de ses conséquences sur la conception philosophique de l’homme.

Survie de l’espèce ou survie de l’individu ?

Pour bien comprendre la théorie de l’évolution de Charles Darwin, il faut d’abord éviter un contresens très répandu depuis la publication de L’Origine des espèces, publié en 1859. On croit souvent, en effet, que le comportement des animaux vise à assurer la perpétuation de l’espèce en tant que telle. Les séances d’épouillage mutuel des chimpanzés, par exemple, seraient à considérer comme des stratégies pour assurer une perpétuation optimale de l’espèce chimpanzé en général : en débarrassant son voisin de ses parasites, chaque chimpanzé sert directement la survie de l’espèce.

Mais ce n’est pas le cas. Le mécanisme de la sélection naturelle, en réalité, concerne les individus en tant que tels, et non l’espèce en général. Le comportement d’un animal vise sa propre perpétuation, et non celle de son espèce. Bien sûr, la perpétuation de l’individu sert indirectement la perpétuation de l’espèce ; mais il s’agit d’une conséquence accidentelle, et non de la finalité immédiate du comportement individuel.

Variation + héritage + adaptation = évolution

La véritable théorie de l’évolution de Darwin découle de trois principes différents, liés les uns aux autres, et dont elle est la conclusion logique.

Le premier principe est celui de la variation individuelle. Il existe des variations dans tous les individus d’une espèce donnée. Ces variations peuvent être des variations physiologiques, des variations morphologiques ou encore des variations dans le comportement. Autrement dit, tous les individus ne sont pas exactement identiques. La correspondance au « modèle » de l’espèce laisse une certaine place à des différences individuelles.

Le deuxième principe est celui de l’héritabilité : les différences qui existent dans un individu, ou du moins certaines d’entre elles, seront transmises aux descendants de l’individu. Autrement dit, les enfants tendent à ressembler aux parents, bien qu’ils ne leur ressemblent pas en tout point. Les variations individuelles sont héritables.

Le troisième et dernier principe est celui de l’adaptation. Il réclame une explication un peu plus détaillée. Les individus ont des besoins fondamentaux, qu’on peut réduire aux trois suivants : la nutrition, la reproduction et le logement. Tous les individus d’une espèce cherchent donc de la nourriture, des partenaires sexuels et des espaces de vie. Si ces « biens » existaient en quantité illimitée, tous les individus de l’espèce pourraient survivre et se reproduire sans problème. Mais, dans la réalité, ces biens existent en quantité limitée : il n’y en a pas assez pour tous. Cette rareté des ressources a pour conséquence une compétition entre les individus qui en ont besoin. Dans cette compétition, il y a des vainqueurs et des perdants. Or, certains individus de l’espèce ont des caractéristiques qui leur permettent d’être plus efficaces dans cette compétition ; d’autres ont au contraire des caractéristiques qui les rendent moins efficaces.

De ces trois principes découle le principe de l’évolution : les plus forts dans la compétition pour les ressources survivront mieux (grâce à la nourriture et aux abris qu’ils obtiennent) et se reproduiront plus (grâce aux partenaires sexuels qu’ils obtiennent) que les autres. Or, selon le principe de l’héritabilité, les caractéristiques qui ont favorisé leur survie et leur reproduction se transmettront à leurs descendants. Dans la génération suivante, il y aura donc une plus grande quantité d’individus ayant les traits des « gagnants » de la génération précédente. Chaque génération tend ainsi, par ses caractéristiques héritées, à être plus efficace que la précédente dans la compétition pour les ressources. Autrement dit, les individus s’adaptent progressivement à leur environnement. C’est ce qu’on appelle le principe de l’évolution.

Evolutionnisme, fixisme, créationnisme

La théorie de l’évolution appliqué aux animaux est scandaleuse par rapport aux croyances de l’Europe du XIXe siècle. Dans le champ scientifique, le fixisme (dont Linné est l’un des principaux représentants), c’est-à-dire l’idée que les espèces sont immuables, est encore largement répandue. Dans le champ religieux, la conception que l’on se fait du monde découle du récit biblique :  on considère que les espèces animales ont été fabriquées par Dieu au moment de la création du monde. Dieu leur a alors donné une forme fixe et définitive.

La théorie de l’évolution de Darwin est donc, de ce point de vue, éminemment subversive : elle bouleverse à la fois les croyances scientifiques et les croyances religieuses de l’époque.

L’évolution de l’homme

Mais c’est avec un autre livre, La Filiation de l’homme, publié en 1871, que le scandale darwinien atteint son paroxysme. Dans cet ouvrage en effet, Darwin applique la théorie de l’évolution à l’espèce humaine. Darwin est bien conscient de l’ampleur du scandale.

Deux principales considérations permettent à Darwin de resituer l’être humain dans l’histoire de l’évolution. La première, qui relève de l’anatomie comparée, est la très grande analogie de structure anatomique qui existe entre l’homme et les singes qui sont les plus proches de l’homme. La seconde est que les trois principes exposés précédemment s’appliquent manifestement à l’homme : il existe des différences marquées entre les individus humains, et ces différences sont héritables. En outre, ces différences s’accentuent à travers la lutte pour l’existence.

Darwin est bien conscient des objections qu’on peut lui adresser, notamment de celles qui relèvent d’une croyance dans le caractère unique de l’être humain dans le monde. On peut penser par exemple que les capacités intellectuelles et morales de l’homme lui sont spécifiques. Darwin s’attache au contraire à montrer qu’elles existent aussi chez les animaux. Il n’y a, selon lui, qu’une différence de degré entre les capacités psychologiques de l’homme et celles des animaux, et non une différence de nature. Il y a par exemple, à cet égard, beaucoup plus de distance entre une lamproie (un poisson très ancien dans l’histoire de l’évolution) et un chimpanzé qu’entre celui-ci et un être humain.

Darwin, sur la base d’une argumentation dont la forme générale demeure identique, rejette toutes les autres objections du même genre. On peut citer par exemple l’objection selon laquelle l’homme est le seul animal qui utilise des outils. En réalité, certains singes se servent de bâton pour ouvrir des noix. De ce phénomène à celui de l’homme utilisant pour la première fois un silex comme outil, il n’y a là encore qu’une différence de degré, et non de nature. Il en va de même pour les autres caractéristiques supposées spécifiques à l’homme, telles que la conscience de soi ou le sens de la beauté.

La théorie de l’évolution et la blessure narcissique de l’homme

En appliquant la théorie de l’évolution à l’animal, Darwin avait heurté les croyances scientifiques et religieuses de son époque. Mais en appliquant la théorie de l’évolution à l’homme, il va à l’encontre d’une croyance plus profonde et plus répandue encore, qui est la croyance de l’homme en son absolue singularité dans le monde. En effet, le darwinisme considère l’homme comme un animal ordinaire, né de l’histoire évolutive comme tous les autres organismes présents dans le monde. Il ne peut plus se considérer comme une créature unique, mais simplement, au mieux, comme la plus évoluée des créatures, sans rupture nette avec les autres animaux. Cette découverte constitue pour l’Europe du XIXe et du XXe siècle l’une des trois « blessures narcissiques » de l’humanité selon Freud, avec l’héliocentrisme et la psychanalyse.

Pour résumer

Le comportement de l’individu vise sa propre survie, et non celle de l’espèce en tant que telle.

Le principe de l’évolution est la conséquence de trois principes différents mais liés les uns aux autres, à savoir le principe de variation individuelle, le principe d’héritabilité et le principe d’adaptation.

Dans L’Origine des espèces (1859), Darwin applique la théorie de l’évolution à l’animal et heurte les convictions scientifiques (le fixisme) et les croyances religieuses (le créationnisme) de l’époque.

Mais l’application de la théorie de l’évolution à l’homme lui-même, dans La Filiation de l’homme (1871), heurte la croyance plus profonde encore de l’homme dans son absolue singularité. Darwin resitue l’homme dans l’histoire évolutive de la vie et soutient par conséquent qu’il n’existe qu’une différence de degré, et non de nature, entre l’homme et l’animal.

Cette découverte constitue pour l’homme, comme Freud l’a remarqué, une « blessure narcissique ».

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