Dans cet article, nous allons te présenter le concept de monde chez Hartmut Rosa. Nous nous appuierons sur son livre Résonance: Une sociologie de la relation au monde . Il s’agit d’une référence originale, qui pourrait te permettre de te distinguer au concours.

Quelques mots sur Hartmut Rosa et son œuvre

Sociologue et philosophe, Hartmut Rosa est professeur à l’université Friedrich-Schiller de Iéna et directeur du Max-Weber Kolleg à Erfurt, en Allemagne. Il est notamment l’auteur d’Accélération. Une critique sociale du temps (La Découverte, 2010) et d’Aliénation et Accélération. Vers une théorie critique de la modernité tardive (La Découverte, 2012).  Il figure d’ailleurs parmi « les 35 penseurs qui influencent le monde » choisis par Le Nouveau Magazine littéraire en décembre 2018.

L’intérêt de son livre pour le thème 2023 « Le monde »

Dès l’introduction, Hartmut Rosa se demande quelle définition sied le mieux au concept de monde. Le monde peut se définir, avance-t-il, comme tout ce qui vient (ou peut venir) à notre rencontre ; il apparaît comme l’horizon indépassable au sein duquel des choses peuvent se produire et des objets être découverts. Au fond, le monde est tout ce qui est préalablement donné à chaque conscience. C’est ce fait, affirme-t-il, qui est à l’origine des expressions phénoménologiques comme l’« être-dans-le-monde » et l’« être-au-monde » (Heidegger), et qui fonde également le postulat de l’« ouverture au monde » (Scheler).

Il complète cette première définition du monde par une seconde : la tripartition du monde proposée par Günter Dux et Jürgen Habermas.  Ils distinguent le monde objectif des choses, monde social des hommes et monde intérieur subjectif des sentiments, souhaits et sensations.

Ce qui est fascinant avec cet auteur, c’est qu’il cite de nombreux philosophes, et complète leurs travaux sociologiquement. Ce livre est donc extrêmement riche, et regorge de références dont l’interprétation a pour but de mieux comprendre notre monde.

Plan du livre

D’emblée, Hartmut Rosa se demande ce qu’est une vie bonne. Il arrive à la conclusion que la qualité d’une vie humaine dépend du rapport au monde, pour peu que ce dernier permette une résonance. Il définit ensuite rapidement le concept, et l’approfondira dans la suite du livre. Le philosophe antimoderne poursuit sa démarche en définissant le monde et le sujet. La résonance est en effet intimement liée à ces deux concepts.

Le livre est constitué de 4 parties, chacune constituée de 3 à 4 chapitres.  La première partie présente les éléments fondamentaux des relations humaines au monde. On s’intéresse ensuite plus spécifiquement aux sphères de résonance et aux axes de résonance . La troisième partie se centre sur la théorie de La Résonance pour analyser la modernité. Enfin, la dernière montre les conditions sociales de la réussite ou de l’échec des relations au monde.

Le corps monde, ou le corps et le monde ?

Dans la première partie de son livre, le sociologue commença par présenter les formes élémentaires de traitement du monde – respirer, manger, dormir, mais aussi parler comme acte corporel. Il interroge ensuite le rôle du corps comme instrument, médium, objet et élément de la relation au monde. Cela le conduit vers des aspects émotionnels, évaluatifs et cognitifs de notre relation au monde. Il s’agit d’étudier les formes fondamentales d’expérience du monde et de positionnement à son égard, qui mettent le sujet en présence d’un ensemble de possibilités et d’obstacles. Hartmut Rosa peut ainsi définir les catégories fondamentales de résonance et d’aliénation comme les deux grandes formes complémentaires de relation au monde.

Qu’est-ce que la résonance ?

Le concept de résonance décrit, pour l’auteur, une relation spécifique entre deux corps, dans laquelle la vibration de l’un suscite l’activité propre – la vibration propre – de l’autre.  Il s’agit d’une forme de relation au monde associant « af←fection » et « é→motion », intérêt propre et sentiment d’efficacité personnelle. Dans cette relation, le sujet et le monde se touchent et se transforment mutuellement.

La résonance n’est pas une relation d’écho, mais une relation de réponse ; elle présuppose que les deux côtés parlent de leur propre voix, ce qui n’est possible que lorsque des évaluations fortes sont en jeu. La résonance implique un élément d’indisponibilité fondamentale. Les relations de résonance présupposent que le sujet et le monde sont suffisamment « fermés », ou consistants, afin de pouvoir parler de leur propre voix, et suffisamment ouverts, afin de se laisser affecter et atteindre. La résonance n’est pas un état émotionnel, mais un mode de relation. Celui-ci est indépendant du contenu émotionnel. C’est la raison pour laquelle nous pouvons aimer des histoires tristes.  En fin de compte, la résonance est une relation bilatérale : sa réussite dépend aussi du monde qui vient à notre rencontre.

Modernité et résonance

Hartmut Rosa commence cette troisième partie par une question : qu’est-ce que la modernité ?  Il revient alors sur l’histoire de la formation sociale au XXIe siècle. Selon lui, notre monde se prête à des récits si divers, si inconciliables et si contradictoires que certains historiens, philosophes et chercheurs en sciences sociales suggèrent d’abandonner purement et simplement la notion de « modernité ».

En revenant sur son dernier livre Accélération, il tenta de montrer que la transformation systématique des structures temporelles constitue une tendance sous-jacente commune aux diverses modernités géographiques – européenne, asiatique, américaine, africaine ou micronésienne – et aux différentes époques de la modernité. Il conclut que mettre le monde à notre portée est le moteur même de la modernité.

Le chapitre suivant montre, par le biais d’exemples, que le monde de la littérature et de la philosophie est un monde silencieux. Il cite notamment Les Dieux de la Grèce de Schiller, où ce dernier déplore la perte du monde antique, dans lequel un lien d’amour (créé par Cupidon) unissait les hommes. Le sociologue revint d’ailleurs sur les romans de Franz Kafka  et ceux de Robert Musil, où le “désir de résonance”, pour reprendre ses mots, n’est plus qu’un pâle arrière-fond.

Les crises de résonance

Pour Hartmut Rosa, la résonance dépend de l’état du sujet, de celui du monde et surtout leur ajustement réciproque. Il s’agit dans cette dernière partie de sonder les possibilités et les limites de la résonance au sein du monde de la modernité dite tardive.

Les relations au monde, explique-t-il, ne sont pas des performances individuelles: elles sont dans une très large mesure institutionnalisées sur les plans culturel et structurel. Leurs possibilités, leurs variations et leurs limites sont toujours préfigurées par une formation socioculturelle historiquement réalisée. Les relations au monde sont donc, à le lire, à la fois la condition de réalisation et le résultat de formations socioculturelles. C’est là l’idée centrale à partir de laquelle les analyses de la modernité étudiées dans la troisième partie de ce livre développent leur interprétation des rapports modernes au monde. D’où la nécessité, conclut-il, d’une société post-croissante.

Selon lui, ce qui manque à la modernité tardive, ce n’est donc pas un programme de réformes ou un plan institutionnel voués à améliorer les modes de traitement du monde ; ce n’est pas une liste de choses à acquérir ou d’états à atteindre, mais la vision sensible, palpable, d’une autre forme de relation au monde. Ce qui manque, c’est un concept propre à désigner le désir, qui est intrinsèque à notre époque et qui n’a plus de nom aujourd’hui. Le concept de résonance est donc l’espoir de ce livre.

Conclusion

En somme, Hartmut Rosa pense sans doute que la modernité est désaccordée. Mais il reste optimiste, croyant qu’une autre façon d’être-au-monde est possible. L’objectif de ce livre est de donner à voir les contours de cet Autre.

Avec son concept de résonance, Hartmut Rosa met en lumière l’angoisse fondamentale de la modernité devant le silence du monde et son espoir de parvenir un jour à une forme réussie d’existence. La théorie de la résonance prétend ainsi pouvoir cerner et expliquer à la fois l’angoisse et l’espoir de la modernité, par les instruments d’une sociologie de la relation au monde.