Dans cet article, nous nous penchons sur la théorie de Hobbes selon laquelle l’homme, à l’état de nature, vit comme une bête violente.

Quelques mots sur Hobbes et son livre

Hobbes est un philosophe anglais du XVIIe siècle. En métaphysique, il soutient une théorie strictement matérialiste et, en philosophie politique, il se fait le défenseur de la monarchie absolue.

Dans cet article, nous étudions le chapitre 13 du livre I du Léviathan, son principal ouvrage.

Le thème

Le thème de ce texte est la condition de l’homme dans l’état de nature.

La question

Hobbes pose la question suivante : la vie de l’homme dans l’état de nature est-elle une vie humaine et paisible, ou bien une vie bestiale et dangereuse ?

Les enjeux

Pour bien comprendre l’intérêt de la question, il faut saisir ses enjeux. Hobbes s’oppose notamment à la conception aristotélicienne selon laquelle l’homme est un animal politique, c’est-à-dire un être par nature voué à vivre dans une communauté politique parmi ses semblables. Le but de Hobbes est ici de développer une anthropologie (c’est-à-dire une théorie de l’homme) qui montre au contraire que l’homme entre en société pour des raisons contingentes ; autrement dit, l’homme est un animal apolitique (au sens où son état naturel n’est pas un état politique).

La thèse

La thèse de Hobbes est donc que, dans son état naturel, l’homme vit une vie « solitaire, misérable, dangereuse, animale et brève ».

Le plan du texte

Dans une première partie, Hobbes soutient que les hommes sont tous à peu près naturellement égaux, à la fois sur le plan physique et sur le plan intellectuel.

Dans une deuxième partie, il montre que, paradoxalement, cette égalité naturelle des hommes les mène au conflit.

Dans une troisième partie, Hobbes conclut que la vie humaine dans l’état de nature est un état de guerre de tous contre tous, où la vie est bestiale, malheureuse et dépourvue de sens.

I – L’égalité naturelle des hommes

Hobbes ouvre ce chapitre sur le constat de l’égalité naturelle des hommes, plus précisément sur le constat de l’égalité des facultés. Les deux facultés principales de l’homme sont la force physique et l’intelligence.

Mais il convient de bien saisir ce que Hobbes entend par l’égalité des facultés : il ne s’agit pas ici d’affirmer que tous les hommes sont exactement aussi forts et intelligents les uns que les autres. Il serait absurde de ne pas reconnaître les différences physiques et intellectuelles entre les hommes. Il s’agit pour Hobbes de montrer que ces différences sont finalement négligeables.

1) Égalité physique : égalité des effets

Sur le plan physique, les hommes sont globalement égaux parce que malgré leurs différences éventuelles de force, ils peuvent tous produire les mêmes effets : le plus faible des hommes a assez de force pour tuer le plus fort, soit par ruse, soit par alliance avec d’autres.

2) Égalité intellectuelle : égalité des expériences

Hobbes admet ici qu’il laisse de côté cette capacité particulière qu’est la science, car elle est très inégalement possédée par les hommes du fait qu’elle repose sur un apprentissage technique auquel on n’est pas nécessairement confronté.

En revanche, tous les hommes possèdent à peu près la prudence au même degré, du fait de l’égalité de leurs expériences. Plus précisément, deux hommes qui font pendant la même durée l’expérience des mêmes choses posséderont le même degré de prudence, qui dépend uniquement de la quantité d’expérience. Seule la vanité empêche de percevoir cette égalité.

II – De l’égalité naturelle à la guerre

Hobbes montre ici comment on peut, à partir de deux principes, à savoir le principe de conservation ou de jouissance et l’égalité naturelle des hommes, déduire que l’état de nature est nécessairement conflictuel.

Il importe de bien saisir toutes les étapes intermédiaires entre l’état initial d’égalité naturelle et son résultat nécessaire final, la guerre.

1) De l’égalité naturelle à l’égale espérance, puis à la défiance mutuelle

Premièrement, l’égalité naturelle des facultés implique l’égale espérance de parvenir à ses fins.

Deuxièmement, dans le cas particulier où deux hommes visent une fin identique et impartageable, ils sont potentiellement ennemis :

Si deux humains désirent la même chose, dont ils ne peuvent cependant jouir l’un et l’autre, ils deviennent ennemis

La défiance mutuelle devient donc légitime. Il faut bien prendre en compte, ici, que cette dernière ne naît pas directement de l’égalité naturelle : elle survient uniquement en cas de rareté et impossibilité de partager le bien en question.

Mais dans un tel cas, chacun est forcé de chercher le vol, l’assujettissement ou la mort de l’autre. Chaque homme doit donc craindre pour ses biens, sa liberté et sa vie, car à tout moment il peut être en concurrence avec autrui dans la possession d’une chose rare et impartageable. Il y a donc défiance mutuelle.

2) De la défiance mutuelle à la préparation contre l’attaque

La défiance mutuelle implique la préparation contre l’attaque éventuelle d’autrui : sachant qu’autrui peut attaquer à tout moment, il est nécessaire de se prémunir contre lui.

Pour cela, il n’y a pas d’autre solution que la conquête, c’est-à-dire de devenir maître de nombreuses autres personnes (soit par force soit par ruse) afin d’augmenter sa capacité de résistance.

3) De la préparation contre l’attaque à la quête infinie de gloire

C’est initialement le désir de se conserver qui pousse à la conquête. Mais certains hommes prennent plaisir à observer leur puissance dans les conquêtes, c’est-à-dire leur gloire, et poursuivent leurs conquêtes bien au-delà de ce qui est nécessaire à leur protection, dans une quête infinie de gloire.

Cette quête de gloire infinie oblige tous les autres hommes à faire de même pour ne pas être dépassés en puissance. C’est donc la quête de gloire de quelques-uns qui mène à la nécessité de l’accroissement indéfini de la puissance de tous.

4) L’escalade de la violence : inévitable mais légitime

Selon Hobbes, cette escalade dans le conflit est à la fois inévitable, comme on l’a vu, mais aussi légitime. En effet, c’est le principe de la conservation de soi qui la rend légitime : les hommes ont le droit de faire tout ce qui est nécessaire à leur conservation.

5) Vanité conflictuelle

Par ailleurs, dans l’état de nature, la société n’est pas agréable aux hommes : ceux-ci font donc preuve d’une insociabilité naturelle. C’est encore une fois une certaine passion qui permet à Hobbes d’établir ce point, à savoir la vanité.

Celle-ci, en effet, mène nécessairement les hommes au conflit : chacun tient absolument à être estimé par autrui au prix qu’il s’attribue lui-même ; la moindre sous-estimation est donc un motif pour obtenir l’estime d’autrui par la force, ce qui mène au conflit permanent.

On remarquera donc que deux passions différentes mènent, chacune par sa voie propre, au conflit : le désir de conservation d’une part, et la vanité d’autre part. Chacune d’elle suffit à expliquer les conflits permanents des hommes dans l’état de nature.

III – De la nature humaine à la guerre

1) Définition de la guerre et de la paix

De ces passions conflictuelles propres à la nature humaine, on peut déduire que l’état de nature est un état de guerre, plus exactement une guerre de chacun contre chacun. L’état de guerre ne se limite pas au combat effectif ; il comprend tout segment temporel dans lequel la volonté de combat effectif est clairement connue des individus concernés. L’objectif de Hobbes, à travers cette précision conceptuelle, est de montrer que l’on peut considérer l’état de nature comme un état de guerre permanente, quoique ce ne soit pas un combat effectif permanent.

L’état de paix, quant à lui, se définit négativement, par rapport à l’état de guerre : c’est un temps où il n’y a ni combat effectif ni intention belliqueuse reconnue.

2) Inconvénients civilisationnels et psychologiques de l’état de guerre :

impossibilité d’entreprendre et peur permanente

L’a guerre permanente de l’état de nature a de nombreux inconvénients, qui se divisent en inconvénients civilisationnels et inconvénients psychologiques.

Les inconvénients civilisationnels s’expliquent tous par le fait de l’impossibilité d’entreprendre, découlant du fait que le bénéfice n’est pas assuré (du fait du risque de vol ou de mort). D’où l’impossibilité de l’agriculture, de la navigation, de l’architecture, de la technique, de la science, des arts, etc. Les inconvénients psychologiques sont les effets psychologiques nuisibles de cet état de guerre, à savoir notamment la peur permanente due au danger de mort violente. Hobbes résume la condition bestiale de l’homme à l’état de nature dans les termes suivants :

La vie humaine est solitaire, misérable, dangereuse, animale et brève.

3) Preuve métaphysique et preuve expérimentale de la conflictualité de l’état de nature

Hobbes a jusqu’ici développé ce qu’on appelle une preuve métaphysique de la conflictualité de l’état de nature, c’est-à-dire qu’il a déduit celle-ci à partir des passions humaines posées comme principes fondamentaux.

Il complète ici la démonstration par une preuve expérimentale, c’est-à-dire une preuve tirée de l’observation empirique. Cette preuve consiste à montrer que dans l’état civil même, l’homme se méfie des autres hommes, d’où on peut déduire qu’a fortiori il le ferait dans l’état de nature. Ainsi nous montrons par nos actes que nous admettons l’anthropologie « pessimiste » de Hobbes, même si nous la refusons en paroles :

Quelle opinion se fait-il de ses semblables quand il voyage tout armé, de ses concitoyens quand il boucle ses portes, et de ses enfants, de ses domestiques quand il verrouille ses coffres ? N’accuse-t-il pas le genre humain par ses actes que je le fais par mes mots ?

4) Amoralité de l’état de nature

Que la nature humaine pousse au conflit dans l’état de nature ne doit pas, selon Hobbes, nous faire conclure à l’immoralité de la nature humaine. L’homme n’est pas naturellement mauvais. Mais comment expliquer ce paradoxe ?

Cela vient du fait que, pour Hobbes, il n’y a pas de loi dans l’état de nature : ni un dieu, ni une nature ne fixe ce qu’est la justice. Dans le monde, il n’y a ni justice divine, ni justice naturelle, mais seulement une justice conventionnelle. L’état de nature étant antérieur à toute convention, il est donc par là même étranger à toute forme d’injustice. Aucun acte ne peut être considéré comme une faute avant l’établissement de cette justice conventionnelle. Aucun homme, donc, ne peut commettre l’injustice.

Pour résumer

Les hommes, abstraction faite de certaines différences indéniables mais mineures, sont naturellement égaux sur le plan physique et intellectuel.

Paradoxalement, cette égalité naturelle mène les hommes au conflit. En effet, il en découle une compétition pour les biens, une défiance mutuelle et un désir de gloire générateur de dissensions.

L’état naturel de l’homme est donc un état de guerre permanente où la vie est sans cesse en danger, et où aucune entreprise prolongée ne peut être réalisée (agriculture, architecture, sciences, arts, etc.). C’est aussi un état de peur permanente.

La vie de l’homme à l’état de nature est donc une vie bestiale et malheureuse.

L’homme n’est pas pour autant moralement mauvais par nature. Cet état de guerre permanente est inévitable et légitime, car il est amené par le comportement rationnel des hommes cherchant à défendre leurs intérêts dans un monde dépourvu de loi.

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