Le mythe de Psyché et Cupidon

Dans cet article, je te propose une analyse du mythe de Cupidon et Psyché : en accroche ou en exemple, dans tes dissertations, ce mythe va te permettre de briller en culture générale. Ce récit est conté par Apulée, auteur latin du deuxième siècle de notre ère, dans son ouvrage principal Les Métamorphoses, également intitulé L’Âne d’or. C’est la raison pour laquelle, dans cet article, nous emploierons les noms latins des dieux de la mythologie. Note bien que, d’une part, cette dernière est toujours susceptible de multiples interprétations, et que d’autre part, il peut exister d’autres versions du mythe.

« Sic ignara Psyche sponte in Amoris incidit amorem. »
« Ainsi, sans le savoir, Psyché tomba d’elle-même dans l’amour de l’Amour. »

Apulée, Les Métamorphoses, livre V, 23, 3

Résumé du mythe de Psyché et Cupidon

Si tu n’as jamais entendu parler du mythe de Psyché et Cupidon, je te conseille de regarder les deux vidéos suivantes :

D’après Apulée, Psyché était la fille d’un roi. Du fait de son éblouissante beauté, elle fut victime de la jalousie de Vénus. Vénus ordonne en effet à Cupidon de la faire tomber amoureuse de l’homme le plus méprisable qu’il trouverait. Alors qu’il exécute l’ordre de sa mère, ce dernier se blesse accidentellement avec l’une de ses flèches. Désormais épris de Psyché, il l’a fait enlever et l’emmène dans son palais enchanté. Il promet à Psyché que le bonheur durera toujours si elle ne cherche pas à connaître le visage de son amant.

Mais, les sœurs de Psyché, jalouses du bonheur de leur sœur, lui suggèrent que son amant est peut-être un monstre. Une nuit, Psyché allume une lampe et contemple son amant. Mais une goutte d’huile tombe sur lui, Cupidon se réveille, s’enfuit et le palais s’évanouit. Psyché se retrouve alors en proie à Vénus. Cette dernière lui fait trier des graines, l’envoie chercher de la laine d’or de moutons anthropophages, lui demande de ramener de l’eau du Styx et la fait descendre aux Enfers. Finalement, endormie d’un sommeil magique, elle finit par échapper à ses épreuves grâce à Cupidon, à laquelle elle est finalement unie dans l’immortalité.

Introduction

On constate que, dans ce mythe tel qu’il est raconté par Apulée, la souffrance occupe une place centrale. Le mythe suggère aussi l’idée qu’aimer, c’est d’abord savoir se sacrifier. En amour, la notion de sacrifice implique un certain renoncement, une privation que l’on s’inflige volontairement dans le but d’accéder à un intérêt supérieur : le bonheur de l’autre.

Du mythe d’Orphée et Eurydice à la tragédie de Roméo et Juliette, la souffrance et le sacrifice semblent être des ingrédients nécessaires de la relation amoureuse. Le prénom Psyché vient du grec psukhê, qui signifie « âme ». Ainsi, Psyché, amante de Cupidon, symbolise particulièrement la destinée de l’âme humaine aux prises avec les problèmes et les souffrances de l’amour humain et de l’amour divin. Son histoire, allégorique, a constitué l’un des thèmes favoris des platoniciens et néoplatoniciens, qui y virent la promesse d’un bonheur éternel dans l’au-delà.

On peut donc dégager trois axes d’étude pour mieux comprendre le mythe : tout d’abord, la récurrence de l’idée de blessure. En effet, Cupidon se blesse avec sa flèche d’or et tombe ensuite amoureux de Psyché ; il est blessé une seconde fois lorsque Psyché le brûle avec l’huile de sa lampe. En outre, la notion de sacrifice est au cœur du mythe : rappelons en effet que Psyché est offerte en sacrifice par sa famille à un soi-disant monstre des mers. Finalement, on peut s’attarder sur les quatre épreuves qu’inflige Vénus à Psyché et qui clôturent le mythe. Le mythe de Psyché et Cupidon soulève donc la question suivante : est-il possible d’aimer sans souffrir, ou bien l’amour est-il toujours lié au sacrifice, voire à la mort ?

La blessure

Le dieu de l’amour en proie à l’amour

Le thème de la souffrance constitue l’essence même du mythe d’Apulée. D’où la récurrence de l’image de la blessure. En effet, la logique d’un mythe repose sur des images puissantes. La blessure, étant la cause la plus manifeste de la souffrance, est un moyen de mettre en exergue, d’objectiver aux yeux du lecteur l’idée de souffrance. Dès le début du récit, Cupidon, envoyé par sa mère Vénus pour punir la belle Psyché, se blesse avec l’une de ses flèches et tombe alors éperdument amoureux de la jeune femme.

On notera d’ailleurs qu’il y a quelque chose de cocasse à ce que le dieu de l’amour, qui ordinairement blesse les autres de ses flèches pour les rendre amoureux, se blesse ici lui-même et se rende amoureux lui-même. Ainsi, « tel est pris qui croyait prendre » : l’autoblessure de Cupidon illustre la dimension anarchique du sentiment amoureux. L’amour ne respecte aucune règle, aucun ordre préétabli, ce qui le rend imprévisible, y compris pour le dieu de l’amour lui-même.

Souffrir pour ne pas faire souffrir

On peut réfléchir ici à l’ordre des événements. En effet, la blessure et le coup de foudre – l’expression « coup de foudre » d’ailleurs ne renvoie-t-elle pas également à une idée de douleur ? – interviennent quasi simultanément. À cet instant, Psyché devient la raison de vivre de Cupidon : inconsciemment, peut-être préfère-t-il souffrir plutôt que de faire souffrir sa bien-aimée ? Voir souffrir Psyché serait donc pour lui une vision plus insupportable encore que celle de sa propre souffrance : la souffrance que peut éprouver Cupidon en se blessant est comme atténuée par le fait que Psyché soit saine et sauve. Cette souffrance physique est dérisoire en comparaison à la souffrance psychologique qu’induirait le fait de blesser son amante. On note donc ici l’idée que la douleur psychologique de voir l’aimée souffrir est plus forte qu’une douleur physique.

La flamme de l’amour

Plus loin dans l’histoire, c’est une goutte d’huile qui brûle Cupidon, lorsque Psyché tente de découvrir son amant : c’est cette scène que représente Benedetto Lutti. Le peintre représente plus précisément l’étrange et paradoxale corrélation qui existe entre amour et douleur. Dans cette toile, Psyché semble interrompre amoureusement le sommeil de son amant, mais le poignard qu’elle tient dans sa main droite nous rappelle ses terribles desseins. En effet, craignant que son amant soit un monstre, elle veut le tuer dans son sommeil.

De plus, le choix du clair-obscur n’est pas anodin : il suggère picturalement que l’amour comporte intrinsèquement une part d’ombre et de souffrance à côté de sa part de clarté. Nous pouvons d’ailleurs remarquer que c’est précisément la flamme de l’amour qui brûle Cupidon : en effet, sur la toile de Lutti, la flamme de la lampe attire l’œil et c’est de cette même lampe que va couler la goutte d’huile qui va brûler Cupidon. Cette flamme, étant à la fois ce qui fait aimer et ce qui fait souffrir, permet d’exprimer symboliquement cette connexion entre amour et souffrance.

Psyché découvre Éros : peinture de Benedetto Lutti - 1720

Psyché découvre Éros: peinture de Benedetto Lutti – 1720

La blessure est donc une image forte du mythe, qui permet de faire apparaître aux yeux du lecteur le lien entre amour et souffrance. Au-delà de cela, lorsque Cupidon se blesse malencontreusement, il renonce inconsciemment à son bien-être préférant le bonheur de sa belle : le mythe présente donc également un lien entre amour et sacrifice, comme on va le voir.

Le sacrifice

Renoncer à soi-même : un sacrifice jusqu’au-boutisme

« Mais l’ordre du ciel n’en appelle pas moins la victime au supplice inévitable ; le lugubre cérémonial se poursuit au milieu des larmes, et la pompe funèbre d’une personne vivante s’achemine, escortée d’un peuple entier. Psyché assiste non plus à ses noces, mais à ses obsèques […] » (Apulée, Les Métamorphoses – IV, 34, 1.)

Parallèlement, l’idée du sacrifice est en effet un passage clé du mythe. Cet extrait, tiré du livre IV, chapitre 34 et paragraphe 1 des Métamorphoses d’Apulée, témoigne du lien étroit entre aimer et se sacrifier. Après que Cupidon est tombé sous le charme de Psyché, cette dernière se trouvant sans prétendant, son père se rendit auprès de l’oracle d’Apollon, pour demander le moyen de trouver un bon mari pour sa fille. Apollon décréta que Psyché, vêtue d’habits de deuil, devait être menée sur le sommet d’une colline : là, le mari qui lui était destiné, un serpent ailé et terrifiant, viendrait à elle.

Renaître dans les yeux de l’amour

Le champ lexical du deuil, omniprésent, montre à quel point aimer, c’est d’abord mourir pour ensuite renaître dans les yeux de son amant. On retrouve d’ailleurs cette idée de renaissance amoureuse à la fin du mythe, lorsque Cupidon réveille Psyché de son sommeil de mort. C’est cette scène que le sculpteur Canova choisit de représenter. Dans son œuvre, la blancheur du marbre et la posture alanguie de Psyché peuvent évoquer ce réveil de la mort. En outre, la souffrance qu’implique le fait d’aimer peut mener à une sublimation de l’âme, voire à une ascension, mouvement qui est d’ailleurs souligné par la position des ailes de Cupidon.

Éros et Psyché, Antonio Canova, 1793

Éros et Psyché, Antonio Canova, 1793

L’amour monstrueux

« L’époux que les Destins gardent à votre fille

Est un monstre cruel qui déchire les cœurs,

Qui trouble maint État, détruit mainte famille,

Se nourrit de soupirs, se baigne dans les pleurs… »

La Fontaine, Les Amours de Psyché et Cupidon

Certes, Psyché ne savait pas alors que ce prétendu monstre détestable était en fait le dieu de l’amour. Mais cette confusion entre un monstre et le dieu de l’amour est riche de sens : n’y a-t-il pas quelque chose de monstrueux dans le fait d’aimer ? En effet, c’est bel et bien d’un monstre qu’il s’agit : l’amour n’épargne à personne le poids de son joug, il est sans pitié pour ses victimes qu’il transperce d’une flèche. Cependant, le lecteur, lui, n’est pas naïf : seule Psyché se représente son époux comme un monstre.

Il s’agit alors de comprendre comment l’idée de la monstruosité du mari va persister en elle, au point de l’amener à décider de tuer ce dernier. Le fait que Psyché ne puisse rencontrer son époux que la nuit ou dans des lieux obscurs renforce la croyance en sa monstruosité : la pénombre peut dissimuler les difformités qui feraient de Cupidon un monstre. Ainsi, l’interdit formulé par celui-ci, ainsi que son désir de se cacher, semble prouver qu’il est quelque chose d’horrible.

Après bien des épreuves, après avoir éprouvé souffrance et douleur, l’âme s’unit pour toujours, par le sacrifice, à l’amour divin. Ainsi, la naissance d’un amour indéfectible ne peut naître que d’une sévère mise à l’épreuve.

Psyché, mise à l’épreuve

Aimer, être porté par des forces divines : l’aide des dieux

Pour punir Psyché, Vénus lui inflige quatre terribles épreuves.

  • 1re épreuve : elle doit trier des graines mélangées de toutes espèces. Les fourmis, ayant pitié d’elle, l’aident.
  • 2e épreuve: elle doit rapporter la laine d’or de moutons anthropophages. Un roseau compatissant l’aide en lui indiquant le chemin à suivre.
  • 3e épreuve: elle doit puiser l’eau inaccessible du Styx. Mais là encore, elle reçoit de l’aide : c’est l’aigle de Zeus lui-même qui lui apporte l’eau dans une fiole.
  • 4e épreuve : elle doit demander à Perséphone de mettre une parcelle de sa beauté dans une boîte.

Grâce à l’aide des dieux, subjugués par l’amour qu’elle porte à Cupidon, elle parvient à remplir chacune de ses missions. Psyché est donc comme touchée par la grâce divine. Ce pouvoir, aussi étranger, intangible et abstrait soit-il, l’aide à accomplir des tâches qu’elle ne pouvait pas réaliser elle-même et l’aide à surmonter ses faiblesses. Ce rapprochement entre le sentiment amoureux et l’aide des dieux illustre le fait qu’aimer peut également être un moyen de décupler ses forces, d’accéder à une puissance supérieure.

Un mortel dévouement

Dans l’ultime et quatrième épreuve, Psyché doit se rendre aux enfers pour demander à Perséphone un précieux flacon contenant une lotion de beauté. Ces travaux, que l’on peut comparer aux 12 travaux d’Hercule, sont un moyen pour Psyché de prouver son amour : encore une fois aimer rime avec don de soi. On retrouve ici le thème de la mort avec la catabase (du grec ancien « descente aux enfers »).

D’Hercule à Orphée en passant par Ulysse et Énée, la catabase est l’élément crucial de nombreux récits mythologiques. Entrer dans les enfers froids (ou brûlants), passer l’Achéron et y affronter Cerbère, sont des marqueurs constitutifs permettant de comprendre un personnage. Si pour certains, le voyage est définitif, l’aventure est pour d’autres l’occasion de se révéler et de renaître. En cela, la catabase met en lumière une réalité de la vie plus que la fatalité de la mort : pour se connaître et prouver son amour, Psyché doit souffrir et surmonter des épreuves. Ce n’est qu’au plus près de son destin macabre que Psyché se révèle dans toute sa vitalité, une vitalité due à son amour.

L’aspect cyclique du mythe

En outre, à la fin du récit, Psyché cède à la légendaire curiosité féminine, bien connue de la mythologie à travers le personnage de Pandore. Elle ouvre en effet la boîte de Perséphone et une langueur mortelle la plonge alors dans un profond sommeil. Mais Cupidon la ranime en la touchant de la pointe d’une de ses flèches. On peut relever l’aspect cyclique du mythe : le récit s’ouvre lorsque Cupidon se pique avec sa flèche et se ferme lorsque Psyché est réveillée par la piqûre de la flèche de Cupidon. La blessure étant la pierre d’angle de la naissance de tout amour : le processus amoureux s’ouvre et se clôt dans la douleur.

Pour résumer

  • Le lien entre amour et souffrance apparaît comme central dans le mythe de Psyché et Cupidon relaté par Apulée.
  • Cette souffrance, cette blessure charnelle que portent sur eux comme des stigmates les deux amants, devient également une preuve d’amour.
  • Ainsi, allant parfois jusqu’à sacrifier leur propre vie pour l’autre dans une série de mises à l’épreuve, les deux amants accèdent à une forme d’amour supérieur, qui transcende tous les critères humains.
  • Le mythe montre ainsi qu’aimer, c’est non seulement savoir se sacrifier pour le bonheur de notre amant, mais aussi et surtout être sublimé dans le regard de l’autre. Psyché et Cupidon grandissent, s’élèvent à mesure que croît leur amour l’un pour l’autre.