sadness

Triangle of Sadness, film de Ruben Östlund ayant obtenu la Palme d’or 2022, est une réelle mine d’or en Culture Générale. Dans cet article, nous allons analyser ce film sous différents angles d’approche. Le but est de te donner des exemples précis à utiliser, tant en dissertation qu’à l’oral de culture générale de HEC. Sache que le titre français du film est Sans filtre.

 

Résumé du film

La meilleure manière de t’imprégner du film est bien évidemment de le voir par toi-même. Tu ne perdras pas ton temps, c’est vraiment un très bon film ! En voici malgré tout le résumé.

La première scène du film a lieu lors d’un casting de mannequins hommes. Ce qui est frappant, c’est la manière dont les mannequins sont traités. Ils sont pris pour des objets, auxquels on demande d’imiter des émotions sur commande. Leurs démarches et leurs corps sont jugés par des professionnels, sans aucune qualité humaine. Le ton est donné.

Le film se divise ensuite en trois parties différentes.

 

« Carl et Yaya »

Carl et Yaya forment un couple de mannequins influenceurs. La première scène où apparaît le couple, qui tourne autour du paiement de l’addition dans un restaurant « guindé », est très intéressante (nous y reviendrons).

Leur discussion se poursuit dans la voiture, puis à l’hôtel. Ainsi, l’une des caractéristiques du film est la longueur des scènes. C’est ce qui donne de la matière à l’analyse.

 

Le yacht

Le couple, invité à cette croisière pour « faire du contenu », se mélange avec des clients plus fortunés les uns que les autres. Parmi eux, un couple de riches oligarques russes, un couple américain…

Dans chacun de ces couples, les femmes tiennent un rôle décoratif. Le personnel du bateau obéit au doigt et à l’œil aux clients pour satisfaire leurs désirs, dont celui d’une des femmes. Celle-ci désire en effet voir tout le personnel du bateau se baigner dans la piscine du pont supérieur, un par un, pendant leur service. Chacun obéit sans avoir le choix.

L’apogée de cette partie est le dîner du capitaine. En pleine tempête, les invités se mettent en effet à vomir, chacun à leur tour. S’ensuivent des scènes d’horreur montrant que le réalisateur n’a pas eu peur de provoquer le dégoût chez son spectateur. Je te laisse te délecter de ces scènes qui ont, au Festival de Cannes, divisé la salle en deux. Certains spectateurs étaient au bord de la nausée, d’autres pleuraient de rire.

Le capitaine, un citoyen américain marxiste et révolté, se lance ensuite dans un débat bon enfant avec un oligarque russe défendeur du capitalisme et du libéralisme économique. À la fin de la soirée, le bateau se fait attaquer par une bande de pirates. Il est détruit.

 

L’île

Cette partie se passe sur une île déserte, où les sept seuls rescapés ont trouvé refuge.

Or, sur cette île, la hiérarchie s’inverse. Abigail, responsable de l’entretien des toilettes du yacht, s’autoproclame capitaine. C’est d’elle que dépend la survie des rescapés, puisqu’elle est la seule à savoir pêcher, faire du feu et cuisiner. Même si les rescapés milliardaires tentent de l’acheter et que son ancienne supérieure (la responsable du personnel du yacht) tente de lui rappeler son rôle initial, Abigail ne veut rien entendre. Elle fait de Carl son esclave sexuel et impose ce que Yaya décrira comme « un matriarcat ».

Lors de la scène finale, Abigail accompagne Yaya explorer l’autre côté de l’île. Les deux femmes y découvrent l’existence d’un hôtel, et donc d’une potentielle civilisation. Abigail, sûrement effrayée par le retour à son ancienne vie que cela annonce, se saisit d’une pierre afin de tuer Yaya.

Elle se met cependant à sangloter, alors même que Carl traverse la jungle en courant dans leur direction, comme s’il avait un pressentiment. Le film se termine alors, sans que l’on sache ce qu’il s’est finalement passé.

 

Triangle of Sadness : la violence imposée par la hiérarchie

Une violence non physique

Tout au long du film, la violence n’est jamais physique. Mais elle s’impose de manière implicite sur les catégories les plus démunies.

Tout d’abord, il y a la violence que peuvent ressentir les membres du personnel. On peut prendre l’exemple de la scène de la piscine. Ce sont les hommes qui ont la main sur le pouvoir et qui imposent donc leurs envies, de manière violente. Or, la force de ce film réside en ce que l’on ressent le malaise de celui qui subit cette violence.

On peut, pour illustrer cela, prendre l’exemple de la première scène du casting de Carl. On sent bien qu’il est mal à l’aise face aux directeurs de casting qui lui demandent de reproduire des émotions, ou qui jugent son physique. Ainsi, il s’agit presque du symptôme de notre société, dans laquelle la violence n’est plus physique (diminution des guerres, des maladies), mais bien implicite. Pire encore, il est intéressant de souligner la passivité qu’il y a face à cette violence.

 

La passivité face à la violence

Cela est bien évidemment lié au fait que la violence est implicite, profondément ancrée dans les normes de la société, les personnages la subissent sans pouvoir dire un mot. On ressent la même passivité face à la violence dans un précédent film d’Östlund, The Square.

Finalement, la seule scène où la violence est physique est celle de l’attaque du bateau par des pirates. Or, elle est très brève. Les personnages se font attaquer par des grenades. Là encore, Östlund se moque des ultrariches sur le bateau. Tu comprendras pourquoi, dans l’analyse de la scène 2, « les vendeurs de bombes ».

 

Quelques scènes plus précises à utiliser à l’oral

Scène 1 : le dîner du capitaine

C’est une scène qui se passe au restaurant principal du bateau, en pleine tempête. Comme toutes les scènes d’Östlund, elle est longue. Le bateau tangue, les convives tanguent et on ressent ce tangage. Des plats plus repoussants les uns que les autres se suivent. Puis, un à un, les convives se mettent à vomir, puis à avoir la diarrhée. Comme pour dire que ce sont ces ultrariches qui sont à vomir.

La violence de ces images est utile pour analyser la façon dont le cinéma peut nous transmettre des sensations, que ce soit le dégoût ou le rire. Utile pour un sujet sur le ridicule, le dégoût, l’absurde ou encore le malaise.

 

Scène 2 : les vendeurs de bombes

Un couple de retraités dit avoir été à la tête d’une grande entreprise. Cette dernière opérait dans « la mécanique de haute précision ». Leurs produits ont été utilisés pour « faire respecter les démocraties dans le monde entier ». Ils finissent par spécifier que « [leur] produit phare, c’est la grenade ». Eux, la violence ne peut les atteindre, ils l’imposent seulement.

Il est intéressant de souligner que la guerre, et donc la violence, n’est qu’un moyen de faire du business. Le couple est antipathique, et il est intéressant d’étudier cette notion de l’empathie en lien avec la violence. Par exemple, le mari se plaint de la décision de l’ONU d’interdire les mines antipersonnel. Cette décision a fait baisser de 25 % leur chiffre d’affaires, cela n’est donc pas bon pour les affaires. Mais il est ravi de souligner qu’ils ont finalement réussi à bien s’en sortir, par des moyens pas beaucoup plus doux.

 

Scène 3 : la scène de la piscine

Durant cette scène, la femme d’un oligarque russe se fait servir du champagne par une employée du bateau. Elle lui demande d’un air supérieur : « Vous savez ce que les gens regrettent sur leur lit de mort ? » Elle enchaîne : « Trop travailler. » On se dit déjà qu’elle a un sacré toupet ! Elle ajoute alors : « Moi, je suis née dans cet univers, ce n’est pas de ma faute. »

Pour finir, elle a l’audace de dire : « On est tous égaux. » Lui vient alors une idée de génie : inviter tout le personnel du bateau à venir se baigner. Son objectif est en fait « d’inverser les rôles ». Mais encore une fois, même si le personnel du bateau n’a aucune envie de se baigner, elle le leur impose. Ils ne peuvent refuser.

C’est ainsi qu’elle contraint le personnel, et donc qu’elle utilise sa position pour imposer un comportement. Cette scène est très violente, pourtant aucune violence physique n’est employée. Cette scène est un bon exemple de la hiérarchisation de la société en classes sociales.

 

Scène 4 : le comportement d’Abigail

Si elle est responsable de l’entretien des toilettes sur le bateau, Abigail devient la cheffe sur l’île. Ce retournement de la hiérarchie se fait grâce aux compétences qu’elle a. Elle réussit à ne pas se faire acheter par l’argent. En effet, rien ne vaut l’honneur qu’elle a retrouvé sur cette île, la reconnaissance et la position sociale. Pour elle, l’ancien monde n’existe plus.

Ce qui est intéressant dans son comportement, c’est le fait qu’elle redevienne esclave de la hiérarchie sociale. Elle a beau maintenant être en haut de la pyramide, elle reste esclave d’un modèle classique. C’est à se demander si on peut vraiment sortir de la hiérarchie qui prévaut dans les sociétés traditionnelles. Il semble que plus que l’argent, ce que recherchent les gens, c’est le pouvoir. Ni naturel ni nécessaire, pour reprendre la terminologie d’Épicure, le pouvoir fait pourtant tourner toutes les têtes.

C’est à croire que la violence n’est qu’un instrument au service de ce pouvoir. L’hubris du pouvoir fait oublier à n’importe qui la notion d’empathie. Dès lors, une société sans violence peut-elle exister ?

 

Conclusion

Ce film est une mine d’exemples pour l’oral et pour l’écrit. Le mieux, c’est de le voir. Imprègne-toi du style particulier d’Östlund, de ses longues scènes, de ses plans fixes… Le tout est un régal et ouvre beaucoup de débats.

 

Retrouve tous nos articles sur « La violence » (CG 2024) ici et entraîne-toi à l’écrit avec notre liste de sujets possibles. Pour préparer l’oral de CG de HEC, c’est par là.