Dans cet article, nous allons nous intéresser à un exemple qui te permettra de faire la différence dans tes copies de Culture Générale sur “La violence”  : la représentation de la violence sur scène à travers l’exemple du ballet Mayerling de Kenneth McMillan. 

Le ballet Mayerling : présentation et présence de la violence

Le drame de Mayerling

Mayerling est un ballet de style néoclassique, créé par le chorégraphe britannique Kenneth MacMillan pour le Royal Ballet de Londres en 1978.

Il retrace un événement historique tragique : les morts de Rodolphe, prince hériter d’Autriche-Hongrie, âgé de 31 ans, et celle de sa jeune maîtresse Marie Vetsara, âgée de 17 ans. Au matin du 30 janvier 1889, leurs corps sont découverts dans le pavillon de chasse du prince, dans le village de Mayerling.

La thèse la plus probable repose sur un double suicide : Rodolphe aurait tiré sur son amante, avant de se suicider. C’est en tout cas ce qu’atteste la lettre d’adieu du prince, dans laquelle on peut lire :

Seule la mort pourra sauver mon nom.

Afin d’éviter le scandale, les corps sont enterrés séparément à la hâte, les circonstances de la mort dissimulées, et le pavillon démoli. A ce jour, les historiens spéculent toujours sur le caractère véridique du drame de Mayerling, qui s’inscrit par ailleurs dans un contexte politique et géopolitique tourmenté

Contexte historique et géopolitique de Mayerling

En effet, au sein de l’Empire austro-hongrois, les aspirations nationalistes des différentes régions ethniques exacerbent les tensions internes. Les mouvements indépendantistes hongrois et tchèques, par exemple, remettent en question la stabilité de l’empire et menacent l’autorité centrale.

Ces conflits géopolitiques se répercutent au sein de la cour impériale, où les alliances politiques et les jeux de pouvoir alimentent les intrigues et les conspirations. Ainsi, les personnages de Mayerling sont pris dans un tourbillon de rivalités et de tensions politiques, qui ont une influence sur leurs choix et précipitent le drame tragique qui les consume.

Les motivations de McMillan pour choisir ce sujet controversé

Le ballet Mayerling est donc un récit où la violence occupe une place prépondérante. Pourtant, MacMillan ne tisse pas le récit d’amants maudits. Bien au contraire de Roméo et Juliette, il aspire à dépeindre la relation obsessionnelle du prince avec la baronne Marie et à montrer comment la violence psychologique auquel était en proie Rodolphe, miné par la schizophrénie et ses addictions, se traduit en violence physique.

Sur la musique du compositeur romantique Franz Liszt, les personnages dansent, entre tension et passion, dans un réalisme abrupt d’une rare intensité. Le ballet développe ainsi une esthétique de la violence virtuose, faisant office de catharsis pour le spectateur. Le chorégraphe transcende les codes du ballet traditionnel : cette expérience théâtrale émotionnelle vise à interroger le spectateur sur les conséquences de la passion et de la violence.

Le ballet, qui a récemment fait son entrée au répertoire de l’Opéra de Paris, nécessite ainsi un accompagnement particulier, à cause des très nombreux portés acrobatiques, exprimant une violence inouïe. Il s’agit d’un des ballets les plus exigeants pour un rôle masculin, qui traduit les émotions et tourments des personnages. mais comment chorégraphier et représenter une telle violence physique et psychologique ?

Représenter la violence sur scène : chorégraphier la violence physique 

Représenter la violence sur scène relève en effet du défi. Comment la chorégraphie de la violence physique, qui atteint son acmé lors des duos entre Rodolphe et Marie Vetsera, explore-t-elle la tension émotionnelle et physique entre les deux protagonistes ?

Les pas de deux entre Rodolphe et Marie

Des mouvements expressifs et parfois agressifs reflètent le conflit passionné de leur relation. Les pas de deux intègrent des éléments de ballet classique avec des gestes plus brusques, illustrant la complexité de leur lien tumultueux, comme des élans passionnés suivis de moments de rejets, par exemple lors du pas de deux de l’acte III, scène 3, ce qui crée une danse captivante et dramatique.

Les danseurs utilisent toute la gamme des émotions par des arabesques passionnées, des torsions du corps et des élans enflammés. Ces mouvements expressifs permettent de capturer la profondeur psychologique de leur relation complexe, tout en soulignant les moments de conflit et de désir. 

Tout au long du ballet, les pas de deux frappent, par leurs mouvements vifs et acrobatiques qui exacerbent le style néoclassique. Le désir sexuel, le désespoir, la rage s’emparent ainsi des corps, et ne les lâchent plus, jusqu’au coup fatal. Lors de l’Acte III, scène 3, Rodolphe entraîne ainsi Marie en la tirant par les cheveux, un faux pistolet à la main, avant de la soulever plusieurs fois en portés acrobatiques, puis de la déposer par terre de façon à ce qu’elle atterrisse en grand écart. 

Les éléments visuels renforcent l’impact des scènes violentes

Mais la chorégraphie exploite également l’espace scénique de manière stratégique, le but étant de renforcer l’impact des scènes violentes.

Les déplacements rapides et les changements d’emplacements sur scène peuvent en effet symboliser les hauts et les bas émotionnels de la relation entre Rodolphe et Marie. Dès lors, cette utilisation dynamique de l’espace ajoute une dimension visuelle à la violence physique, créant une expérience immersive pour le public, devenant alors d’autant plus sensible à la représentation de la violence psychologique.

Représenter la violence psychologique sur scène : chorégraphier la violence psychologique

Outre la violence physique, la représentation de la violence psychologique occupe en effet une place de choix dans l’œuvre de MacMillan.

Chorégraphier l’instabilité mentale et les tourments intérieurs de Rodolphe

Rodolphe est en effet constamment tourmenté, perturbé par ses émotions fragmentées, en proie aux addictions aux drogues et schizophrène. Par exemple, au cours de la scène 3 de l’acte I, le prince, jeune marié, retrouve la princesse Stéphanie, son épouse, pour la nuit de noces : il la terrifie avec un crâne, et un revolver qu’il pointe sur elle. En outre, l’un de ses tics récurrents consiste à se tenir la tête, comme s’il tentait fiévreusement de maintenir ensemble des pensées éclatées.

La musique romantique de Liszt exalte ainsi les moments ou le prince plonge dans ses obsessions : lorsqu’il joue avec un crâne humain, menace avec un revolver et terrorise sa femme, ou encore s’injecte une seringue de morphine. Il y a alors un état de tension permanente ; selon Gillian Freeman qui a écrit le synopsis du ballet avec le chorégraphe, le prince est “obsédé depuis l’enfance par les armes à feu et la mort” , et incarne par là un personnage survolté, sombre, séducteur et brutal. Reclus dans un mariage sans amour, impliqué politiquement dans la cause nationaliste hongroise, accusé d’avoir voulu tuer l’empereur, il se retrouve coincé dans une impasse.

Les solos de Rodolphe

La tension tragique s’accentue au fur et à mesure que le ballet avance car on le voit s’effondrer au sol en se tordant de douleur de plus en plus de fois. MacMillan souhaitait ainsi peindre une réelle violence dans les mouvements, si bien qu’il poussait les danseurs à aller toujours plus loin sans se soucier du danger, comme lorsqu’il déclare dans une émission de 1978 qui suit la création du ballet :

Lâchez prise ! Prenez le risque de vous rompre le cou !

Les mouvements expressifs et violents caractérisent les solos de Rodolphe, notamment dans la scène 1 de l’acte II,  lorsqu’il se retrouve dans la chambre de Marie. Chaque geste, chaque pas, chaque expression faciale est soigneusement choisi pour refléter l’état émotionnel complexe du personnage.

Des mouvements fluides et gracieux coexistent avec des gestes plus saccadés et agités pour refléter, par la dualité, la lutte intérieure de Rodolphe. La chorégraphie des solos de Rudolf va donc au-delà de la simple exécution de mouvements : elle explore profondément la psyché du personnage. Les variations de tempo, les changements de style et les moments de contemplation sur scène permettent ainsi de mettre en lumière les tourments mentaux de Rodolphe.

La danse devient donc un langage visuel pour dévoiler les aspects les plus sombres et les plus complexes de sa personnalité : Mayerling peut ainsi permettre de faire une analyse philosophique de la violence.

Analyse philosophique de la violence dans Mayerling

Rodolphe, ou le reflet des contradictions humaines

Le prince Rodolphe se présente comme un personnage complexe, en proie à des conflits internes entre ses désirs personnels et les pressions politiques externes. Sa quête de pouvoir est en effet intimement liée à son statut de prince héritier de l’Empire austro-hongrois : il est confronté à des attentes écrasantes de la part de la société et de sa famille, qui cherchent à le façonner selon des normes rigides. Cette tension entre ses aspirations individuelles et les exigences politiques externes crée donc un terreau fertile pour la violence.

Victime d’un profond sentiment de désillusion vis-à-vis de la politique de son époque, Rodolphe est en effet en quête d’échappatoires, ce qu’il tente de réaliser par des actions radicales et des alliances douteuses. Ainsi, sa quête de pouvoir reflète les contradictions inhérentes à la nature humaine, entre l’aspiration à l’autonomie et la tentation du contrôle.

La passion amoureuse et ses conséquences tragiques

En outre, la relation passionnelle entre Rodolphe et Marie Vetsera est au cœur de l’intrigue de Mayerling. Leur amour interdit est empreint de désespoir et de ce désir d’évasion face aux contraintes sociales et familiales. Mais cette passion intense est aussi le catalyseur de leur destin tragique.

En effet, leur incapacité à concilier leurs désirs individuels avec les réalités sociales les conduit à une impasse, les poussant à des actes désespérés et destructeurs. La violence émerge ainsi comme la manifestation extrême de cette passion incontrôlée, révélant les limites de la condition humaine face à la force des émotions et des désirs. Passion et violence s’imbriquent, comme en témoigne le psychanalyste Jacques Lacan dans ses Séminaires (1953-1954) :

Nous sommes bien tous d’accord [pour dire] que l’amour est une forme de suicide.

Les conséquences dévastatrices de la violence institutionnalisée

A travers la chorégraphie, la violence institutionnalisée est dépeinte comme une force destructrice qui broie les individus sous son poids implacable. Les mouvements des danseurs traduisent la brutalité et la cruauté des institutions qui régissent la vie des personnages.

Que ce soit à travers des gestes symboliques ou des interactions physiques, cette violence institutionnalisée imprègne chaque aspect de la vie des protagonistes, les poussant inexorablement vers leur destin tragique.

Conclusion

La violence qui se dégage du ballet Mayerling met en lumière les recoins les plus sombres de la psyché humaine. La danse devient le langage universel par lequel s’expriment des émotions brutales et des tensions insoutenables.

La violence représentée sur scène n’est pas seulement un spectacle, mais aussi une réflexion poignante sur la fragilité de l’âme humaine et les tragédies qui en découlent. Dès lors, cette expérience théâtrale immersive confronte le spectateur à la cruauté inhérente à la nature humaine.

 

Retrouve tous nos autres analyses d’exemple de Culture Générale sur “La violence” ici.