vocabulaire environnement allemand

Défendre l’État-providence et insister sur l’importance de la transition de ce dernier vers l’État social-écologique, c’est l’enjeu d’Éloi Laurent dans ce percutant essai !

Principales idées de l’ouvrage

L’État social-écologique, successeur de l’État-providence

L’État-providence n’est pas une faillite financière, ou un système trop coûteux qui favorise l’assistanat, et qui devrait donc être démantelé. Au contraire, l’État-providence permet le développement humain, « il est le développement humain ». Démontrant qu’il est nécessaire au marché, évoquant ses défaillances et ses fautes, Éloi Laurent ne se contente pas de le défendre, mais il en prépare la prochaine étape indispensable : l’État social-écologique pour prévoir l’arrivée des crises écologiques, étroitement liées aux crises sociales. L’État social-écologique permet de comprendre ainsi que le développement humain et la protection sociale incluent progressivement la question environnementale, en plus des enjeux sociaux.

Le début de l’essai se veut clair : « L’Europe est sur le point de commettre une faute historique : démanteler l’État-providence ». En effet, cette volonté répond à deux discours politiques, qui sont le néolibéralisme (éviter le parasitisme, limiter l’intervention de l’État, limiter la dette) et le discours xénophobe (défendre l’État-providence de l’étranger qui en profite). Au contraire, l’État-providence est l’institution qui a le plus contribué au développement économique et humain. Ainsi, citant Leandro Prados de la Escosura (Review of Income and Wealth, 2014), l’État-providence a fait bondir de 0,076 à 0,460 l’indice de développement humain entre 1870 et 2007, et 85 % de cette progression est due à la santé et l’éducation.

L’État-providence, un système efficace encore limité au niveau environnemental

Les États-providence ont couvert les risques sociaux avec des droits et des prestations reposant sur la solidarité. L’auteur réfute l’argument néolibéral selon lequel l’État-providence serait trop coûteux et pèserait sur l’économie (les prélèvements sociaux représentent 1/3 de la richesse nationale en 2011). En effet, l’expansion de ces systèmes a créé des économies d’échelles administratives, faisant baisser les coûts administratifs, mais surtout elle a fait office de « repas gratuit » pour les économies, car ces systèmes rapportent beaucoup plus qu’ils ne coûtent. Pour les défaillances économiques qui persistent (inégalités fortes, chômage, discrimination, précarité), on ne peut blâmer l’État-providence : « les fautes dont on l’accuse à tort sont de la responsabilité de l’État régulateur et de l’État macroéconomique ».

Reprenant les trois fonctions de Musgrave, c’est-à-dire allocation, répartition et stabilisation, Laurent démontre que l’État-providence est bénéfique pour l’économie. Premièrement, il permet de corriger l’allocation imparfaite des ressources, en faisant face à leur imprévoyance devant les risques et incertitudes. Par conséquent, il libère les individus de cette imprévoyance, leur permet de prendre plus de risques et prend aussi en charge les dépenses de santé et d’éducation. Deuxièmement, il organise la répartition et la redistribution de la richesse et est un puissant agent pour lutter contre les inégalités sociales. Ainsi, les pays de l’OCDE ont vu leur taux de pauvreté diminué de moitié grâce aux dispositifs sociaux et le coefficient de Gini de ces pays aurait baissé de 0,1 point. Troisièmement, il joue un rôle dans la stabilisation économique : il lutte contre les effets des crises (chômage et précarité). L’auteur rajoute quatre bienfaits de l’État- providence : il stimule la croissance démographique, améliore la santé de la population, fait baisser les inégalités économiques et renforce la cohésion sociale (améliore la confiance entre les individus, intégration sociale, droits civiques).

L’auteur prend l’exemple de plusieurs pays et met en évidence le chemin mondial vers l’État-providence ; mais, le chemin est long, l’OIT montrant que 28 % des habitants de la planète bénéficient d’un État-providence. Ainsi, les États-Unis réalisent de grosses dépenses de santé : deuxième part du budget derrière l’armée, Ezra Klein présente alors le pays comme « une compagnie d’assurance qui dispose d’une armée ». Néanmoins, leur système de santé est peu efficace, car il n’est pas assez mutualisé et des réformes s’engagent pour qu’il soit davantage public. La Chine opérerait un retour à l’État-providence (les réformes de Xiaoping l’avaient mis à mal), avec une première loi sur l’assurance sociale en 2010. L’enjeu est de décourager l’épargne de précaution chinoise, privant ce gigantesque marché de sa demande intérieure. En Asie, d’autres pays réalisent de gros efforts (Thaïlande, Corée du Sud, Vietnam, Turquie).

Pour l’État social-écologique, l’auteur refait un tour d’horizon sur les politiques et les enjeux tour à tour des États-Unis, de la Chine puis de l’UE. Cette dernière reste un leader écologique et évoque souvent cette question oubliée dans les débats (avec son marché sur le carbone et la couverture des risques). D’ailleurs, dans « Le Livre Vert sur les assurances contre les catastrophes d’origine naturelle et humaine » paru en 2013, l’UE s’interroge sur sa capacité d’assurance et les mesures à prendre, devant la multiplication de ces risques (entre 1980 et 2011, les pays de l’UE ont payé plus de 445 milliards d’euros en pertes économiques). Dans le cas chinois, les politiques publiques prennent de plus en plus en compte le développement durable dans leurs mesures et plans (adoption plan antipollution en 2013, mise en route d’un tableau de bord de développement soutenable en 2006). Enfin, aux États-Unis (l’un des pays les plus touchés par les catastrophes naturelles, avec depuis 30 ans, 1 000 milliards de dollars de pertes, 30 000 morts), les inégalités prennent de plus en plus de place dans le discours politique au détriment de la croissance à tout prix.

L’État-providence s’est imposé progressivement…

L’auteur s’intéresse à l’histoire de l’État-providence, ou plutôt à ce qui a permis et accéléré son affirmation. Tout d’abord, l’État en général a pour mission d’octroyer la sécurité à ses citoyens (Hobbes, Machiavel). Puis, peu à peu, sa mission s’est concentrée sur des aspects plus qualitatifs et la sécurité civile s’est muée en protection sociale. L’État-providence a alors pour mission de protéger les individus contre les risques (sociaux), qui au sens de F. Knight (Risk, Uncertainty and Profit, 1921) sont « des incertitudes mesurables ».

Reprenant les travaux de Lindert, c’est la capacité fiscale détenue par l’État et les aspirations démocratiques (et leurs applications) qui ont fait naître l’État-providence. De plus, la première mondialisation, par les vulnérabilités économiques et sociales qu’elle a entraînées pour les populations, a accéléré son émergence quand les guerres mondiales (dont la deuxième) ont surtout été un accélérateur financier (les impôts votés pour les efforts de guerre se sont maintenus et ont donné des recettes fiscales aux États) et intellectuel aussi, avec les nombreux accords et traités comme la Déclaration de Philadelphie le 10 mai 1944 qui dit : « Une paix durable ne peut être qu’établie sur la base de la justice sociale ».

… mais il fait face à de nouveaux défis, car inégalités sociales et crise écologique s’autoentretiennent

Les crises écologiques augmentent les inégalités sociales, et inversement, et se renforcent.

« Les inégalités sociales nourrissent les crises écologiques » pour plusieurs raisons. Tout d’abord, l’auteur fait appel à la théorie de la consommation ostentatoire de Veblen et identifie les problèmes liés à la pauvreté et aux inégalités :

  • elles substituent le court terme au long, avec l’utilisation déraisonnée des ressources naturelles,
  • elles provoquent un besoin de croissance économique plus fort (pour que les pauvres puissent augmenter leurs revenus),
  • elles entravent les capacités d’action collective telles que les concevait Olson (pas d’avantage du petit nombre pour les riches, car ils ont une irresponsabilité écologique et le reste de la population est trop nombreuse pour s’organiser),
  • elles réduisent la sensibilité des classes pauvres face à l’écologie,
  • elles diminuent les effets de compensation sur les effets des politiques environnementales, les plus touchés par ces taxes étant les plus pauvres.

« Les crises écologiques grossissent en retour les inégalités sociales ». Ainsi, les populations pauvres sont plus touchées par les maladies chroniques (venant majoritairement de dommages environnementaux), avec un écart de dix ans dans l’espérance de vie entre les quartiers les plus favorisés et les plus défavorisés au Royaume-Uni (Commission Marmot). Les populations pauvres sont plus exposées aux risques environnementaux, les effets des dommages environnementaux affectent les résultats scolaires et la productivité, augmentant les inégalités à long terme ; les populations défavorisées ont aussi moins de moyens pour se protéger contre certaines catastrophes.

Éloi Laurent sonne donc l’alarme

Devant l’urgence écologique et ses impacts sur notre bien-être, il est urgent que l’État-providence devienne un État social-écologique, sujet souvent omis dans les débats. Le défi est donc d’abord intellectuel, sous trois angles :

  1. Les sciences humaines doivent approfondir le travail des sciences dures sur les questions environnementales, pour organiser le discours et les réformes.
  2. Le second angle impose que le discours écologique soit recentré dans les débats, en y convoquant le bien-être social et les inégalités, pour mieux y faire face et plus vite.
  3. Le troisième est philosophique : les catastrophes naturelles ne sont pas providentielles, mais l’humain en est en partie responsable, car nous nous rendrions plus vulnérables par nos actions.

Pour amorcer la transition, l’État-providence doit inclure la lutte contre les crises écologiques et prendre en compte les limites environnementales de la recherche du bien-être. Cette transition invite aussi à entamer une 3e Révolution fiscale : « Celle-ci doit déplacer la charge des prélèvements des biens vers les maux », donner donc une dimension soutenable à l’impôt et internaliser les externalités. Actuellement en France, la fiscalité environnementale représente 2 % de la richesse nationale et 5 % des recettes fiscales, ce qui est très insuffisant.

L’État-providence est la solution au problème écologique par sa transition, car il est une institution stable, avec un but : préserver les biens communs, avec l’extension de la solidarité sociale à la dimension sociale-écologique, le tout pensé dans le long terme.

Le cadre théorique de l’État social-écologique

Reprenant Knight, il montre que les crises écologiques sont de moins en moins des incertitudes et de plus en plus des risques mesurables (GIEC qui catégorise les risques climatiques en quatre catégories). Il faut donc passer de l’incertitude au risque pour la question environnementale.
L’État social-écologique remplit lui aussi les trois fonctions de Musgrave : allocation (corriger les externalités, prendre en main le coût sanitaire de ces crises), répartition (qui soit verticale entre riches/pauvres, horizontale avec jeunes/seniors ou malades/en bonne santé, diachronique avec générations actuelles/futures et géographiques avec zones exposées/zones épargnées) et stabilisation (pallier les pertes dues aux crises écologiques, systèmes de pertes et de dommages mondiaux).

Pourtant, dans les politiques mises en œuvre, il peut exister des arbitrages entre le domaine social et environnemental (inciter à la précarité énergétique, taxes carbone, péages urbains, construction de logements dans zones humides). Toutefois, il est possible de surmonter ces arbitrages.

Quelles propositions alors ? L’auteur propose d’ajouter à la sécurité sociale une branche « vulnérabilité », insister dans les politiques publiques de l’environnement et de santé sur les mesures conjointes aux deux phénomènes, créer des centres d’analyse pour plus de sensibilisation, définir les territoires et zones prioritaires et surtout redéfinir les fonctions de la puissance publique et de nouveaux indicateurs.

L’émergence de nouveaux acteurs sur le terrain social-environnemental

Dernier grand point de ce livre, Laurent met en évidence l’affirmation d’un nouvel acteur sur les questions sociales et environnementales : les territoires et parmi eux les villes et métropoles, qui concentrent la majorité de la population et de la richesse créée. À une échelle locale, ceux-ci sont des acteurs clés aux côtés des États-nations : « Tandis que l’atténuation climatique ne peut être que globale, l’adaptation n’est que locale ».

La transition sociale-écologique, comme le sommet de Rio et le rapport Brundtland l’ont souligné, doit être polycentrique et faire appel à une gouvernance multiniveaux. Les villes ont depuis longtemps pris au sérieux les enjeux environnementaux et sociaux : le courant hygiéniste (XVII-XIXe siècles), avec un meilleur environnement urbain et progrès social et la fin des activités insalubres, dangereuses ou incommodes au sein des villes. Les principaux défis à relever pour les villes en matière environnementale concernent trois problèmes : pollution aux particules fines due aux voitures diesel (60 % du parc automobile français en 2010), émissions de gaz à effet de serre (mouvements pendulaires) et artificialisation des sols due à l’étalement urbain. Comme à l’échelle de l’État, l’essentiel des conséquences de ces externalités et des corrections (fin diesel, péages urbains, interdiction de construire dans certaines zones) se répercute sur les classes les plus pauvres, qui supportent l’essentiel de ces coûts.

Quelles solutions ?

Les péages urbains avec des compensations pour les plus pauvres, l’instauration de Zones d’action prioritaires pour l’air (ZAPA) qui empêchent la circulation des véhicules les plus polluants, taxe carbone avec compensation, protections naturelles intégrées dans les écosystèmes urbains… Les compensations sont diverses : aides pour d’autres formes de transport, intensification des réseaux, tarifs variables, etc.

Citations

– « L’État-providence ne doit pas être dénigré pour ce qu’il coûte, mais protégé pour ce qu’il apporte. »

– « L’État-providence ne contraint donc pas le marché, il le complète : il pallie ses manques, compenses ses insuffisances et rattrape ses erreurs. »

– « L’État-providence paie en Europe les aveuglements de l’État macroéconomique. »

– « Les sciences sociales et les humanités détiennent, en matière environnementale, la clé des solutions aux problèmes révélés par les sciences dures. »

– « Défendre l’écologie, car c’est une protection sociale. »

Chiffres/exemples

  • La part de la redistribution dans le revenu national a été multipliée par dix au XXe siècle dans les pays qui ont mis en place un État-providence.
  • « Sans l’État-providence et ses subventions, la grippe et la gastro-entérite paralyseraient la France quatre mois par an. »
  • Le typhon Haiyan dans les Philippines en 2013 a tué 6 000 personnes et provoqué d’importants dégâts matériels. Selon Brian McNoldy, 75 à 80 % de l’impact du cyclone sont attribuables au facteur humain (pauvreté, urbanisation anarchique…).
  • En 2013, les catastrophes naturelles ont coûté 130 milliards de dollars et ont tué 25 000 personnes.
  • Selon les estimations, la pollution de l’air coûte chaque année à notre système sanitaire entre 700 millions et 1,7 milliard d’euros.
  • Entre 1970 et 2010, la population mondiale a augmenté de 87 %, le nombre de personnes exposées au risque d’inondations a augmenté lui de 114 % et le nombre de celles exposées aux cyclones tropicaux de 192 %.
  • L’État social-écologique a précédé chronologiquement l’État-providence : en 1883 apparaît la première loi de protection sociale, la première loi sociale-écologique remontant à 1306 en Angleterre. Édouard 1er a essayé d’interdire l’usage de charbon à Londres pour des problèmes sanitaires (sa propre mère en était tombée malade en raison de la pollution au soufre), mais la loi n’a jamais été respectée, alors même que les sanctions allaient jusqu’à la peine de mort ! Cette loi a été reprise en 1952 avec le Clean Air Act, après le « Great Smog » qui avait causé la mort de 4 000 Londoniens.