politiques économiques en Amérique latine face au coronavirus

Il y a quelques mois, nous te parlions des politiques économiques en France et dans l’UE durant la crise du coronavirus, nous te proposons aujourd’hui un focus sur l’Amérique latine !

En 2019, de nombreuses manifestations en Amérique latine ont critiqué les mesures prises par les gouvernements. En Équateur, par exemple, des manifestations ont eu lieu contre les politiques mises en place par le président Lenin Moreno en octobre 2019. Le gouvernement équatorien n’a pas pu augmenter la taxe carbone sur l’essence parce qu’elle était jugée injuste ; cette mesure était effectivement compensée par la baisse de l’impôt sur les sociétés. Plus au sud du continent, des manifestations ont commencé au Chili en raison de la hausse du prix du ticket de métro. La population était aussi mécontente de toutes les privatisations au niveau de la santé et de l’éducation. Cependant, depuis début mars 2020, alors que les populations sont confinées, la crise de Covid-19 est devenue l’une des plus grandes crises de l’histoire de la région.

L’Amérique latine traversait déjà des difficultés économiques et sociales. Les politiques économiques, c’est-à-dire l’ensemble des mesures cordonnées prises par les pouvoirs publics en vue de la réalisation ou du maintien d’objectifs économiques et sociaux, n’ont donc pas été très efficaces. La crise de Covid-19 constitue donc un défi pour les gouvernements du continent. En effet, selon l’école de la régulation, la crise résulte des caractéristiques des formes institutionnelles que sont la concurrence et le rapport salarial. Les stratégies mises en place par les pays sont très différentes dans le continent.

D’une part, le président Jair Bolsonaro juge que la pandémie est seulement une « petite grippe » même si le Brésil est le pays le plus touché d’Amérique du Sud. D’autre part, l’Uruguay est un exemple mondial par rapport à la gestion de la pandémie : depuis le 30 avril, il n’y a pas eu plus de 13 nouveaux cas par jour. Les politiques économiques sont-elles capables de changer ces formes institutionnelles pour sortir de cette crise ? Dans quelle mesure les pays sud-américains sont-ils capables de les mettre en place ? Quels outils pourrait-on utiliser ? Doit-on intervenir régionalement ou mondialement ?

Les conséquences de la crise de Covid-19 dans la région

Dans le rapport de la CEPAL Dimensionar los efectos del Covid-19 para pensar en la reactivación, dirigé par Alicia Bárcena et publié le 21 avril 2020, sont présentées les conséquences de la crise de Covid-19 dans le continent sud-américain ainsi que les différentes solutions possibles pour y répondre.

Un ralentissement d’une croissance qui était déjà très faible, accentué par la réduction du commerce international

La crise due à la Covid-19 sera « la plus grande qu’ait souffert la région depuis 1914 et 1930 » selon A. Bárcena. La région connaissait déjà une croissance très faible, qui a diminué de 6 % à 0,2 % entre 2014 et 2019. Dès lors, on prévoit une diminution de 5,3 % du PIB en 2020 (avec une chute de 2 % du PIB mondial). En effet, les pays d’Amérique latine subiront, d’abord, des chocs externes provoqués par la diminution des remises migratoires, la chute des prix des matières premières, la baisse du tourisme et la hausse des fuites de capitaux.

L’OMC a prévu, en plus, une diminution entre 12 et 32 % du commerce international. Le PIB équatorien, notamment, connaîtra la diminution la plus importante du continent (–6,5 %) étant un pays qui dépend essentiellement du pétrole. De même, le PIB argentin va diminuer de 6,5 % à cause de la hausse des fuites des capitaux. D’ailleurs, la baisse des revenus du tourisme entraînera une diminution de 2,5 % du PIB dans les pays des Caraïbes. La région sera également affectée par des chocs internes provoqués par le confinement.

Une crise sociale : pauvreté, inégalités, chômage

Le ralentissement de la croissance aura donc plusieurs conséquences pour l’économie d’Amérique latine. Le chômage augmentera de 8,1 % à 11,5 %, soit 12 millions de personnes supplémentaires. Dès lors, les inégalités vont s’accroître, le taux de pauvreté augmentera de 30,3 % à 34,7 %, c’est-à-dire une hausse de 30 millions de personnes en situation de pauvreté.

Des politiques économiques limitées pour répondre à la crise

Les limites des politiques budgétaires : endettement, évasion fiscale

Avant la pandémie, l’Amérique latine avait connu six années d’une croissance faible, en moyenne 0,4 % entre 2014 et 2019, selon le rapport de la CEPAL. Dès lors, l’économie de la région a eu des faiblesses macroéconomiques et fiscales qui ont limité les politiques économiques. L’endettement, en effet, a réduit la capacité budgétaire d’Amérique latine, la dette publique représentant en moyenne 44,8 % du PIB. D’ailleurs, le poids sur la fiscalité est d’autant plus grand que les charges d’intérêt augmentent. Le remboursement des taux d’intérêt constitue 2,6 % du PIB tandis que la dépense en santé représente seulement 2,3 %. Cependant, il existe une grande différence d’endettement entre les pays. D’un côté, le Pérou ou le Paraguay ne dépassent pas un endettement de 25 % du PIB, d’autre part, au début de l’année, l’Argentine avait un endettement de 89,4 % du PIB et le Brésil de 75,8 %.

Les limites des politiques monétaires : taux fixes, dollarisation, fuite de capitaux

Malgré plusieurs efforts des gouvernements pour stimuler la demande par des taux faibles, les taux réels n’ont pas vraiment diminué. Les entreprises privées sont effectivement contraintes par leurs dettes et la fuite des capitaux limite l’efficacité des politiques. Les outils monétaires disponibles dans les pays d’Amérique du Sud sont très limités. L’Équateur, notamment, est un pays dollarisé qui ne peut donc pas équilibrer sa balance des paiements grâce aux taux de change. Ainsi, le taux d’intérêt est compromis pour attirer des capitaux étrangers. Une simple relance par la création monétaire est très difficile à mettre en place. D’ailleurs, l’endettement privé contraint la création monétaire, malgré la mise en place des politiques expansionnistes. En effet, l’endettement privé de l’Argentine, du Brésil, du Chili, de la Colombie et du Mexique a augmenté de 688 à 2 445 millions de dollars entre 2010 et 2016.

Un plan de relance exceptionnel

Mesures pour contrôler la pandémie

Les économistes de la CEPAL soutiennent qu’il faut tout d’abord mettre en place les mesures nécessaires pour limiter l’expansion de la pandémie. Les gouvernements doivent contrôler le respect du confinement, améliorer la capacité du secteur de la santé et la protection sociale pour réduire les conséquences que subissent les populations les plus pauvres. En effet, les mesures prises sont très hétérogènes dans le continent sud-américain. Au Brésil, il n’y a pas eu un confinement obligatoire. Les personnes dans les favelas ne bénéficiant d’aucune allocation chômage ne pouvaient pas rester chez elles pour éviter la propagation du virus. Le pays est aujourd’hui le plus touché du continent. D’ailleurs, en Équateur, le confinement a été obligatoire depuis le 12 mars et quelques aides sociales ont été mises en place, comme des paniers-repas ou des revenus exceptionnels.

Cependant, les personnes non inscrites à la Sécurité sociale parce qu’elles travaillent dans des activités informelles ne pouvaient pas rester chez elles, la protection contre le chômage, par exemple, n’existe pas. Les résultats ont été catastrophiques : à Guayaquil, les gens brûlent dans les rues les corps de leurs proches morts à cause de la Covid-19 sans aucune solution de la part du gouvernement. Malgré tout, l’Uruguay apparaît comme un exemple pour le monde. Même si le confinement n’a pas été obligatoire, les personnes pouvaient toucher une allocation chômage pour rester chez elles. Le gouvernement a mis en place une stratégie de tests en groupe et il a réalisé une poursuite approfondie des personnes contaminées et de celles qui pourraient l’être pour les mettre en confinement obligatoire.

Mesures budgétaires et monétaires exceptionnelles pour une crise exceptionnelle

Il est nécessaire de trouver des solutions à la dette des pays de la région pour augmenter leur capacité budgétaire. En effet, J. E. Stiglitz, E. S. Phelps et C. M. Reinhart, dans l’article Restructuring Argentina’s Debt is Essential publié dans Project Syndicate le 6 mai 2020, plaident en faveur de la diminution du coût de la dette pour qu’elle soit soutenable et éviter le défaut de paiement. La restructuration de la dette argentine doit servir d’exemple pour que les autres pays en voie de développement puissent être capables de sortir de la crise avec des mesures internationales.

Par ailleurs, il est nécessaire d’utiliser des outils monétaires efficaces. K. Rogoff, dans l’article The Case for deeply Negative Interest Rates publié dans Project Syndicate le 4 mai 2020, avance que des taux négatifs pourraient mettre en place une relance qui ne soit pas coûteuse pour le budget des gouvernements. Dès lors, on pourrait réaliser une redistribution qui ne nécessite ni d’impôts ni d’allocations sociales. Avant une restructuration de la dette, une relance monétaire est nécessaire avec des taux négatifs pour éviter la thésaurisation et les fuites de capitaux. En effet, des taux négatifs incitent à faire circuler l’argent qui est épargné et permettent à l’État et aux agents privés de s’endetter.

Conclusion

En conclusion, la pandémie de Covid-19 va ralentir l’économie de la région et provoquer une des plus grandes crises de l’histoire de l’Amérique latine. Les politiques économiques du continent sont très limitées, leur efficacité dépend donc de la capacité pour répondre à la demande des plus démunis. Dès lors, des mesures extraordinaires sont nécessaires pour mettre en place une politique efficace qui soit capable de relancer l’économie. L’amélioration d’un système de protection sociale qui puisse supporter tous ces risques doit être le premier objectif. Tandis qu’en Uruguay, on commence à mettre en place des mesures de relance comme des crédits avec des taux très bas pour les PME, l’Équateur s’enfonce dans la crise en mettant en place des facilités de licenciement et en réduisant la masse salariale du secteur public.

A