Marx

Marx a longuement étudié le fonctionnement des crises économiques, avec un but précis : critiquer le système capitaliste en place. C’est ce que nous allons analyser dans cet article. Maîtriser la théorie marxiste est très utile en cas de sujet d’oral sur les crises économiques. Bien que cette analyse soit aujourd’hui très contestable, elle permet d’avoir un point de vue très différent de la majorité des autres théories économiques et offre une analyse intéressante à développer. Cet article requiert de maîtriser certaines notions qui sont disponibles ici, afin d’avoir une vue d’ensemble de sa pensée et ses prolongements. Puis nous allons rentrer dans une analyse plus détaillée. Commençons par étudier ce qu’est le capitalisme selon Marx.

 

Des crises inhérentes au système capitaliste

Le capitalisme repose sur deux points essentiels : la plus-value et l’exploitation

L’essence du capitalisme se révèle à travers deux enchaînements économiques. Initialement, on peut observer l’échange marchand, symbolisé par M->A->M, où les marchandises (M) sont vendues pour obtenir de l’argent (A), qui est ensuite utilisé pour acheter d’autres marchandises. Cette vision du capitalisme se concentre sur la circulation des marchandises et leur échange.

Cependant, cette perspective représente seulement une facette du capitalisme. La véritable nature de ce système est mieux reflétée par un autre enchaînement : A->M->A’, qui dénote le cycle de métamorphose du capital. L’argent initial (A) est utilisé pour acheter des marchandises (M) et des moyens de production. Le capitaliste investit cet argent dans le processus de production. Au terme de ce processus, il obtient plus d’argent (A’) qu’il n’en avait initialement investi. C’est cette plus-value (A’ – A) qui est la clé du fonctionnement du capitalisme.

 

La particularité du capitalisme réside dans le fait que l’argent devient une fin en soi pour le capitaliste

Plutôt que d’utiliser la plus-value pour satisfaire ses besoins de consommation personnelle, le capitaliste réinvestit cette plus-value dans le processus de production pour générer encore plus de plus-value. Ainsi, le capital se valorise continuellement (A’ devient à nouveau du K) et le cycle se répète (A->M->A’->M->A’…).

Ainsi, la plus-value, créée par les travailleurs par leur travail, est la véritable force motrice du capitalisme. Elle est la source de l’accumulation de capital et de la croissance économique dans le système. Les travailleurs reçoivent un salaire qui équivaut généralement à la valeur de leur travail, mais ils produisent une valeur supérieure qui revient au capitaliste. C’est ici que réside l’exploitation dans le système capitaliste. Les travailleurs fournissent une grande partie de la valeur produite, mais ils n’obtiennent qu’une fraction de cette valeur, sous forme de salaire. Cette exploitation est inhérente au système capitaliste. Les travailleurs sont contraints de vendre leur force de travail pour survivre, tandis que le capitaliste bénéficie de l’accumulation continue de capital.

 

La plus-value est injustement prélevée sur la valeur créée par le travail

Il est essentiel de faire une distinction fondamentale entre la valeur d’une marchandise, qui dépend de la quantité de travail ouvrier qu’elle contient, et la valeur de la force de travail que le capitaliste achète. Marx s’appuie sur la théorie classique de la valeur. En particulier celle de David Ricardo, qui affirme que la valeur d’échange (le prix) d’une marchandise est déterminée par la quantité de travail incorporée en elle. Il distingue entre le travail direct (celui effectué pour fabriquer la marchandise) et le travail indirect (celui incorporé dans les moyens de production, comme les machines et les matières premières).

Marx introduit la distinction entre le « travail vivant », représenté par le travail effectué par les travailleurs lors de la production, et le « travail mort », qui est le travail antérieurement incorporé dans les moyens de production. Par exemple, le travail nécessaire pour fabriquer des machines ou des matières premières. La valeur d’une marchandise résulte de la combinaison de ces deux types de travail, à la fois vivant et mort.

 

Les travailleurs ne vendent pas directement le produit de leur travail, mais plutôt leur force de travail

En d’autres termes, ils vendent leur capacité à travailler. La valeur de cette force de travail est équivalente au salaire nécessaire pour permettre aux travailleurs de se maintenir en vie et de reproduire leur force de travail (nourriture, logement, vêtements, etc.).

Le salaire que reçoivent les travailleurs est souvent maintenu au niveau du « salaire de subsistance ». C’est-à-dire le strict minimum nécessaire pour leur survie. Marx explique que cela est possible en raison de la présence d’une « armée de réserve industrielle ». C’est-à-dire un réservoir de chômeurs prêts à accepter un emploi à des salaires bas. Cette situation permet aux employeurs de maintenir les salaires bas, car ils savent que des travailleurs potentiels sont prêts à occuper les postes vacants à des conditions précaires.

En résumé, la valeur d’une marchandise dépend de la quantité de travail vivant et mort qu’elle contient. Tandis que les travailleurs vendent leur force de travail au capitalisme. Les salaires bas sont souvent maintenus grâce à la disponibilité de travailleurs sans emploi. Ce qui contribue à l’exploitation au cœur du système capitaliste.

 

La force de travail est capable de produire une valeur supérieure à sa propre valeur (plus-value)

« Supposons que la valeur de la force de travail pour une journée est de six heures de travail moyen, correspondant à une valeur monétaire des marchandises nécessaires au travailleur de trois shillings. Mais la journée de travail est quant à elle de douze heures. Les marchandises obtenues seront vendues douze heures, soit six shillings, par le capitaliste. Il y a ainsi un surtravail – ou temps extra — de six heures par rapport au temps de travail nécessaire de six heures. » Karl Marx, Salaire, prix et profit, 1865

Le concept de « surtravail » est central dans la théorie de Marx. Cela désigne le temps pendant lequel un ouvrier travaille au-delà du temps nécessaire pour produire la valeur d’échange équivalente à sa propre force de travail. C’est-à-dire le temps pour lequel il est payé par le capitaliste.

Par exemple, si un ouvrier est payé pour six heures de travail mais qu’il en fait 12, les six heures supplémentaires représentent le surtravail. Ce surtravail est essentiellement du travail non rémunéré. La plus-value correspond à la valeur créée par ce surtravail. Soit la différence entre le temps de travail total (12 heures) et le temps pour lequel l’ouvrier est payé (6 heures).

Cependant, il ne faut pas oublier le « travail mort », qui fait partie de la valeur d’une marchandise. Le « capital constant » (c) représente la valeur des biens de production matérielle utilisés dans le processus de production, comme les matières premières. Ce capital constant ne fait que transmettre à la marchandise sa propre valeur lors de sa fabrication, sans ajouter de valeur supplémentaire. Le « capital variable » est la partie du capital destinée à rémunérer les travailleurs, en versant les salaires.

La valeur d’une marchandise se décompose donc en « c » (capital constant), « v » (capital variable) et « pl » (plus-value). Le « taux de plus-value » ou le « taux d’exploitation » (p’) représente le rapport entre la plus-value créée et les salaires versés, soit pl/v. C’est une mesure de l’exploitation des travailleurs par le capitaliste.

 

Point de vue du capitaliste

Cependant, du point de vue du capitaliste, ce qui compte le plus est le « taux de profit » (r). Ce taux de profit se calcule en prenant la plus-value (pl) et en la divisant par la somme du capital constant (c) et du capital variable (v). Soit r = pl/(c + v).

Le capitaliste a souvent l’illusion que le profit est le résultat du capital qu’il a investi, y compris le capital constant. Il ne reconnaît pas toujours que la source réelle de la valeur ajoutée est le travail vivant des ouvriers. Ainsi, il évalue la rentabilité de ses investissements en utilisant le taux de profit plutôt que le taux de plus-value.

 

Le capitalisme repose sur l’accumulation du capital et la baisse tendancielle du taux de profit

L’accumulation du capital conduit à l’augmentation de la composition organique du capital

L’accumulation du capital joue un rôle essentiel dans le développement du système capitaliste. À la fin du cycle de métamorphose du capital, le capitaliste dispose d’une valeur supplémentaire qu’il pourrait utiliser pour son propre bien-être. Cependant, la majeure partie de cette valeur supplémentaire est réinvestie, transformée en capital et surtout en capital constant.

Cette pratique s’inscrit dans le contexte compétitif du capitalisme. Chaque entrepreneur, pour rester compétitif sur le marché, cherche à réduire ses coûts de production et à améliorer sa productivité. Par conséquent, il est poussé à accumuler davantage de capital constant par rapport au travail. Ce qui se traduit par une augmentation de ce que Marx appelle la « composition organique du capital ».

La composition organique du capital est mesurée par le rapport entre le capital constant (c) et le capital variable (v), symbolisé par q = c/v. Cette augmentation de la composition organique du capital, ou intensification capitalistique, est une caractéristique clé du développement du capitalisme industriel.

 

Baisse tendancielle du taux de profit

La notion de la « baisse tendancielle du taux de profit » est un concept central dans la théorie de Marx sur l’économie capitaliste. Ce phénomène n’implique pas une diminution continue, mais une tendance à la baisse du taux de profit sur le long terme. Il est influencé par plusieurs facteurs. Notamment la composition organique du capital.

Le taux de profit (r) dépend de deux éléments principaux : la plus-value (pl) et la somme du capital constant (c) et du capital variable (v). Cependant, le taux de profit est également lié au rapport entre le taux de plus-value (pl/v) et la composition organique du capital (c/v). Cette relation est exprimée par la formule :

r = (pl/v)/(c/v)

ou encore

r = p’/(q+1)

 

Marx souligne que seule la force de travail humaine est la source réelle de valeur dans le système capitaliste

Cependant, à mesure que la composition organique du capital (rapport entre capital constant et capital variable) augmente en raison du développement de machines plus performantes et d’une automatisation accrue, cela a tendance à faire diminuer le taux de profit. Car une part de plus en plus grande du capital investi est constituée de capital constant, qui ne crée pas de nouvelle valeur.

Marx explique que cette tendance à la baisse du taux de profit est inhérente au mode de production capitaliste. Ricardo avait déjà envisagé une baisse du taux de profit, mais il ne l’associait pas au progrès technique. Pour Marx, le progrès technique, en encourageant l’accroissement du machinisme, aggrave cette tendance à la baisse du taux de profit.

Cette baisse tendancielle du taux de profit peut conduire périodiquement à des crises économiques et à un ralentissement de l’accumulation du capital. Cependant, la hausse du chômage qui résulte de ces crises, combinée à une réduction des coûts de production due à la hausse de la composition organique du capital, permet temporairement de rétablir le taux de profit et de sortir de la crise. Ce cycle de crises et de récupération est une caractéristique récurrente du système capitaliste, selon la perspective de Marx.

 

Contrer la baisse tendancielle du taux de profit

Pour contrer la baisse tendancielle du taux de profit, les capitalistes ont à leur disposition plusieurs leviers d’action.

Tout d’abord, ils peuvent agir sur le taux de plus-value en cherchant à augmenter la valeur créée pendant la journée de travail. Ce qui est appelé « plus-value absolue ». Cependant, il existe des limites à cette approche, notamment des contraintes physiologiques et le risque de mouvements ouvriers. Par conséquent, les capitalistes ont souvent un intérêt plus fort à réduire la durée de travail nécessaire à la reproduction de la force de travail. Ce qui est connu sous le nom de « plus-value relative ».

Cela implique d’accroître l’efficacité dans la production des biens de subsistance. Ce qui peut permettre de réduire les coûts, sans nécessairement diminuer le pouvoir d’achat des travailleurs. La concurrence entre les travailleurs peut être utilisée pour maintenir les salaires à des niveaux bas, en particulier en période de hausse de la composition organique du capital et de crises économiques. Ce qui alimente l’armée de réserve de main-d’œuvre et contraint les prolétaires à accepter des salaires de misère.

Cependant, l’exploitation accrue des ouvriers, qui permet de rétablir temporairement le taux de profit, engendre des tensions croissantes entre les classes sociales. Ceci est exploré par Marx dans son chapitre 10 sur la paupérisation croissante.

 

L’impérialisme

Une autre stratégie que les capitalistes peuvent adopter est l’impérialisme. Cela leur permet d’accroître les débouchés pour leurs produits, d’obtenir des matières premières à moindre coût (par le biais des colonies) et de déplacer la main-d’œuvre vers des régions où le taux de profit est potentiellement plus élevé.

Marx reconnaît que ces contre-tendances peuvent retarder la baisse du taux de profit, mais il reste convaincu que cette baisse reste inéluctable à long terme. Les contre-tendances ne font que temporairement retarder l’inexorable.

 

Le capitalisme est par essence voué à connaître des crises

Les crises générales revêtent un double caractère

Les crises générales dans le système capitaliste présentent un double caractère, selon l’analyse de Marx.

Tout d’abord, elles sont le résultat d’une suraccumulation de capital. Sous la pression de la concurrence, les capitalistes accumulent du capital de manière frénétique et développent leurs capacités de production de manière souvent anarchique. D’autant plus que l’accès au crédit bancaire facilite cette expansion. L’essor du système de crédit permet d’augmenter le niveau global d’investissement. Ceci conduisant à un développement excessif des capacités de production par rapport à la demande réelle du marché.

Cependant, les crises ont également un caractère de sous-consommation de biens, qui découle de l’exploitation des travailleurs. Le système capitaliste est marqué par une pression constante exercée par les capitalistes sur les salaires, visant à maximiser leurs profits. Cette réduction des salaires entrave l’écoulement des produits sur le marché intérieur, créant ainsi une « base étroite sur laquelle reposent les conditions de la consommation ». En d’autres termes, les travailleurs ont souvent des revenus insuffisants pour acheter les biens produits. Ce qui contribue à la sous-utilisation des capacités de production.

Il est important de noter que l’exploitation des masses et la sous-consommation ne sont pas spécifiques au mode de production capitaliste, mais étaient présentes avant son émergence. Cependant, selon Marx, les crises capitalistes sont principalement expliquées par la suraccumulation de capital. C’est-à-dire par la croissance excessive des capacités de production par rapport à la demande, alors que la sous-consommation en est une condition préalable. En d’autres termes, la surproduction inhérente au capitalisme est la cause profonde des crises. Même si la sous-consommation joue un rôle important dans leur déclenchement et leur intensité.

 

La crise a une fonction de régulation transitoire

Les crises économiques jouent un rôle crucial en forçant la destruction du capital industriel, en particulier en cas de suraccumulation de capital. La baisse des prix qui découle de cette surproduction conduit à la faillite de nombreuses unités de production qui ne peuvent pas rivaliser sur le marché.

Cette phase de destruction est suivie par une période de concentration et de rationalisation de la production, où les entreprises survivantes cherchent à absorber les parts de marché laissées vacantes par les entreprises en faillite. Une fois que le taux de profit est rétabli à un niveau satisfaisant, le système est prêt à repartir dans une nouvelle phase d’accumulation de capital.

La crise, bien qu’elle puisse causer des perturbations et des difficultés importantes, est considérée comme une phase transitoire dans le système capitaliste. Elle a pour fonction de résoudre brutalement les contradictions et les déséquilibres du système, d’assainir la situation en éliminant les excès de capacités de production et de préparer le terrain pour une nouvelle expansion économique. C’est un élément inhérent au fonctionnement du capitalisme. Même si ses conséquences peuvent être lourdes pour les travailleurs et la société en général.

 

Prolongements

Les prolongements du marxisme concernant l’analyse des crises économiques ont effectivement donné lieu à différentes approches et interprétations. Deux penseurs en particulier, Eugène Varga et Antonio Gramsci, ont apporté leurs contributions à cette discussion.

Eugène Varga, dans son analyse marxiste de la crise de 1929, considère cette crise comme cyclique mais également « spéciale ». Il reconnaît les causes habituelles des crises capitalistes telles que la suraccumulation du capital et la baisse tendancielle du taux de profit. Cependant, il souligne que la crise de 1929 survient dans un contexte de crise générale du capitalisme. Selon lui, les tentatives des autorités publiques pour éviter l’effondrement du système économique ne font que retarder l’inévitable. Varga met en lumière la dimension systémique de la crise, qui va au-delà des facteurs économiques.

Antonio Gramsci, de son côté, développe la notion de « crise organique ». Cette notion désigne des crises profondes et rares, plus dévastatrices que les crises économiques traditionnelles. Les crises organiques ne se limitent pas à la sphère économique. Elles s’étendent à d’autres sphères de la société, notamment la politique, la culture, et peuvent même être qualifiées de « crises totales ». Lorsque ces crises touchent l’ensemble de la société, elles ont le potentiel de se transformer en révolution si les conditions et le rapport de force sont favorables à la classe dominée. Gramsci met ainsi l’accent sur l’aspect politique et culturel des crises, soulignant leur impact sur la structure globale de la société.

Ces réflexions montrent que le marxisme, en tant que cadre théorique, continue d’évoluer et de s’adapter pour comprendre les crises économiques et sociales dans un contexte changeant. Les analyses de Varga et Gramsci soulignent la complexité des crises capitalistes et mettent en évidence leurs implications au-delà de l’économie, ce qui enrichit la compréhension marxiste de ces phénomènes.