Shiller s’appuie sur les théories des autres sciences (psychologie, neurologie, anthropologie, sociologie…) pour essayer d’illustrer les comportements des agents financiers sur les marchés financiers, abolissant la théorie de Fama sur les agents rationnels et les marchés financiers efficients.

Théorie prospective

Une vision qui fait concurrence à la théorie de l’utilité, qui n’est pas vérifiée dans plusieurs cas [Allais, 1953], et met en cause la rationalité des individus : Kahneman & Tversky illustrent cela [1979] : soient deux loteries.

  • La 1ère : 25% de chance de gagner 3 000 $ et la 2ème : 20% de gagner 4 000 $. 65% des individus choisissent la dernière
  • alors que si dans une seconde situation, la 1ère offre 100% de chance de gagner 3 000 $ et la 2nde 80% de gagner 4 000 $, 80% choisissent la première.

La théorie utilitariste aurait montré que les individus ne changent pas de loterie. La seconde situation renvoie à « l’effet certain ». Les individus raisonnent en événements certains (P =1) ou improbables (P = 0) en accordant trop d’importance aux événements presque incertains et trop peu aux événements presque certains. De plus, les individus peuvent aimer le risque : ils vont avoir tendance à aimer les jeux de loteries à hauts rendements même si la probabilité de gagner est presque nulle ; cela explique aussi le fait de surpayer les assurances lors de vol d’avions. Kahneman & Tversky introduisent aussi la « courbe de valeur » qui est discontinue signifiant ainsi que dans des choix risqués, les individus vont se comporter comme des agents qui ont une aversion aux risques, peu importe les revenus que les différents choix amènent.
Reprenant l’equity premium de Mehra et Prescott [1986] (différence entre les gains historiques moyens attendus du marché financier et les gains moyens historiques attendus par les obligations des bons du trésor- le revenu y est par avance fixé-), on voit que les agents financiers préfèrent les obligations des bons du trésor malgré les hauts rendements des actifs financiers : le risque y est plus grand et se fait davantage sur le court terme alors que la plupart des agents investissent pendant des décennies car ils comptent vivre sereinement jusqu’au crépuscule de leur vie. Mais ce sont ces obligations les plus risquées car le prix varie tous les mois.

Bernatzi & Thaler [1996] montrent que:

  • les agents préfèrent (à 40%) investir dans les obligations s’ils regardent les prix antérieurs année par année sur 30 ans,
  • mais ils sont alors 90% à choisir ces mêmes actifs s’ils regardent la même période (les variations sur 30 ans).

Dissonance cognitive et regret

Il est dans la nature humaine d’avoir des regrets lorsque l’individu a fait une erreur. Le fait de vouloir éviter ce regret peut alors se traduire par un comportement irrationnel de la part de l’individu. Transposée à la finance, cette théorie du regret se voit alors dans deux faits

  • individu va retarder le moment de vendre ses actifs si la valeur de ces derniers a baissé ou alors de vendre directement, une fois que les prix des actifs augmentent: ils ne veulent pas finaliser leur « erreur » (s’être procuré ce bien) et ainsi regretter leur choix ;
  • il en est de même avec la seconde situation : ils vendent dès que les prix ont augmenté afin de ne pas avoir de regret lors du changement de conjoncture [Shefrin & Statman, 1985].

La dissonance cognitive est la situation de conflit intérieur dans laquelle l’individu est conscient que ses idées, croyances sont fausses. L’agent -comme pour la théorie du regret- va opter pour un comportement irrationnel et se convaincre – par la mise de côté de la nouvelle information – que ses croyances restent plausibles [Festinger, 1957]. Goetzmann & Peles [1993] appliquent la dissonance cognitive aux flux monétaires dans les « mutual funds » : il est bien plus rapide dans les fonds qui ont engrangé beaucoup de profits que dans ceux qui ont subi de lourdes pertes. En effet, ces derniers n’admettent pas avoir fait de mauvais investissements et restent bornés.

Ancrage

On présente un questionnaire à des individus sur lequel ils doivent informer leurs revenus en choisissant parmi les fourchettes présentées : on observe alors que les individus minimisent leurs revenus, influencés par les différentes fourchettes. Ce phénomène s’appelle « anchoring », qu’on traduira par l’ancrage. Il semble rationnel alors de se focaliser sur les tranches de revenus plutôt que sur son propre revenu car les tranches contiennent de l’information. De facto, il est rationnel d’en prendre compte. Mais, Kahneman & Tversky montrent que le phénomène d’ancrage persiste quand il n’y a même pas d’informations. L’expérience est simple : on demande à des individus le pourcentage de pays africains au sein de l’ONU. Juste avant cela, on leur présente une roue de la fortune chiffrée de 1 à 100 ; le chiffre vers lequel la pointe du mécanisme se dirige n’a aucun lien avec le % des pays africains. On demande alors aux individus si le % est au-dessus ou au-dessous du chiffre de la roue de la fortune : les réponses sont fortement influencées par le chiffre du jeu.

On peut transposer cela aux marchés financiers. A quelle valeur devrait se trouver l’indice Dow Jones ? Nul ne peut le dire, on se reporte donc aux prix passés qui sont alors une variable qui va déterminer les prix futurs. Plus les prix passés sont présents dans les suggestions d’aujourd’hui, plus les prix d’aujourd’hui et futurs seront proches de ces prix passés, ce qui est une explication des « sticky prices ».

Compartiments mentaux

L’individu place des événements dans des compartiments mentaux basés sur des attributs superficiels : ils se focalisent alors sur des petites décisions au lieu d’avoir une vue d’ensemble du phénomène. Shefrin & Statman [1994] illustrent cela en montrant que les individus raisonnent en compartiments mentaux vis-à-vis de leurs portefeuilles : ils les divisent en deux, la partie sûre qui va protéger la partie risquée qui est celle qui va permettre aux individus de s’enrichir.

Cette tendance peut expliquer l’effet de Janvier (hausse des prix observés dans quinze pays différents au mois de Janvier). Thaler [1987] explique cela à travers les compartiments mentaux: les individus voient la fin de l’année comme une fin en soi et le début de l’année comme un nouveau départ.

Sur-confiance, sur-réaction, sous-réaction et représentativité heuristique

Lichtenstein, Fischhoff & Philips [1977] font une expérience simple dans laquelle ils demandent à des individus si Quito est la capitale d’Ecuador, puis leur demandent la probabilité qu’ils donneraient à leur réponse. Les résultats montrent une sur-confiance des individus. Pour enrichir l’expérience, qui avait été critiquée, ils demandent aux individus la même chose tout en leur demandant s’ils parieraient sur leur réponse: on retrouve la sur-confiance (seuls 80% d’entre eux avaient raison). Cependant, les individus peuvent modifier leur sur-confiance s’ils sont confrontés à une kyrielle d’erreurs venant de leur interprétation et donc modifient leur comportement avec quelques fois, une perte de confiance totale. La sur-confiance viendrait selon Kahneman & Tversky d’une tendance de catégorisation des événements qui sont typiques ou représentatifs et, puis, en faisant des estimations probabilistes, de mettre l’accent uniquement sur cette catégorisation, ignorant les probabilités sous-jacentes. L’individu peut alors voir des modèles, des séries (parfaitement hasardeuses) dans les données alors qu’il n’y en a pas. On peut alors
ajouter à cette théorie de sur-confiance, celle d’ancrage. On illustre cela à travers l’étude de Shiller [1987] faite suite au krach boursier du 19 octobre 1987: il envoie un questionnaire à des investisseurs privés et des institutions en leur demandant d’abord s’ils savaient que le renversement boursier allait arriver: 29,2% du premier groupe disent oui, 28% pour les investisseurs institutionnels. Le chiffre est sensiblement haut, on demande alors comment est-ce qu’ils savaient ce qui allait arriver (en sachant que 47,1% et 47,9% de ces agents ont vendu le jour même leurs actifs). Les réponses sont alors bien plus évasives: l’intuition, ou le bon « feeling »… Cela montre que le fort volume d’actifs échangés ce jour-là est en parti dû à une sur-confiance des agents dans leurs intuitions.

L’effet de disjonction

L’effet de disjonction est le fait que les individus reportent à plus tard leurs décisions attendant qu’une information soit révélée, même si elle n’est pas importante, même si elle ne va pas influencer leurs décisions. Tversky & Shafir [1992] reprennent le cas du collègue de Samuelson (pile = on gagne 200$ et face = on perd 100$) et demandent aux individus s’ils choisiraient de relancer la pièce une seconde fois après l’issue du premier événement : s’ils connaissent la première issue ils vont faire un second lancer (qu’ils aient perdu ou gagné car s’ils gagnent ils n’ont rien à perdre, s’ils perdent, ils cherchent à récupérer leurs 100 $ ). Mais si l’issue n’est pas connue, ils n’ont aucune raison de faire un second lancer. Cela peut expliquer la forte volatilité des actifs risqués une fois que l’information a été révélée (alors que juste avant l’annonce, on a une baisse des échanges financiers et des flux limités) : Tversky & Shafir [1992] trouvent une corrélation entre l’effet de disjonction et les élections présidentielles (baisse des flux avant les résultats, hausse après) ce qui est visible avec les élections américaines en novembre 2016 qui ont provoqué une forte hausse des échanges d’actifs à la NYSE (le Dow Jones atteint les 20,000 points, score historique.).

Comportement de joueur et spéculation

La tendance aux jeux d’argent et aux paris est un trait humain. Kallick et.al (1975) voient que 61% des Américains parient ou font une quelconque activité de jeux de paris en 1974, avec 1,1% chez les hommes et 0,5% chez les femmes de joueur(se)s addictives au jeu. L’hypothèse d’aversion au risque chez l’individu est alors caduque. Il faut prendre en compte le fait que les individus aiment prendre des risques dans la recherche d’une quelconque excitation ou de divertissement. Ce comportement peut dès lors être vu comme une des potentielles racines des bulles spéculatives.

La non-pertinence de l’Histoire

Un des points de l’excès de confiance est de ne pas regarder le passé mais de se focaliser sur le futur en prenant le présent comme nouveau point de départ : les individus n’apprennent pas de leurs erreurs. Cela est dû au fait que selon la plupart des individus, les faits passés auraient dû être prévisibles avant qu’ils n’arrivent puisqu’ils s’aperçoivent du lien logique qui a amené l’événement [Florovsky, 1969]. La pertinence historique s’offre à eux s’ils prennent conscience que les caractéristiques présentes sur le marché sont similaires à celles précédant les événements passés (crise de 1929 et krach de 1987, par exemple) mais cela est rarement identifiable pour la majorité des individus. Cela est une explication possible du peu de diversification que les individus font lors de la formation de leurs portefeuilles, là où ils devraient diversifier un maximum leur portefeuille à travers le monde, ils le concentrent dans un pays, une entreprise, un secteur…

La pensée magique

Skinner [1948] réalise une expérience sur des pigeons : il jette des miettes à intervalle régulier -chaque 15 secondes- indépendamment de leur comportement sur le jet antérieur, les pigeons commencent alors à se comporter comme si « quelque chose » allait arriver (superstition) et le comportement diffère en fonction des pigeons ; certains toussent, d’autres tapent la tête contre la cage etc… Ces comportements arbitraires générés constituent la pensée magique. Cette pensée magique trouve une analogie sur les marchés financiers : les nouvelles perverses sont un cas intéressant, i.e les bonnes nouvelles du marché pourraient être un signe que la banque centrale va adopter une politique monétaire plus stricte, montant les taux d’intérêts, baissant ainsi les échanges au sein du marché financier. Mais cette croyance globale peut être le fruit d’une chaîne continue de nouvelles, les individus se conduisent en prenant pour vérité ces théories/croyances ce qui renforce a fortiori la véracité de ces théories.

La pensée presque magique

Ce phénomène est introduit par Shafir & Tversky [1992], il s’agit du fait que les individus agissent comme si leurs décisions allaient avoir un impact sur l’issue de l’événement sans qu’ils le sachent. L’expérience de Quattrone & Tversky [1984] est révélatrice : deux groupes distincts auxquels on demande de mettre leurs mains dans une boite d’eau glacée. On dit au premier groupe que les cœurs les plus forts tiennent le plus longtemps. Le résultat montre que le premier groupe tient plus longtemps, on a une pensée presque magique car les individus pensent alors qu’ils ont tenu longtemps car ils ont le cœur fort alors qu’il n’y a aucun fondement, aucune corrélation entre tremper sa main longtemps dans un bol d’eau glacée et avoir le cœur fort.

L’attention aux anomalies et la disponibilité heuristique

Ce point est peu développé mais fait essentiellement référence au fait que les krachs boursiers prennent racine dans ce qu’un nombre d’individus jusqu’alors inattentif aux fluctuations anormales commence à y prêter attention, amenant des mouvements de panique (jusqu’à la crise).

PS : N’hésitez pas à poser des questions dans les commentaires !

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signé : Morgan Sachs