En déclarant que la finance est son ennemie, François Hollande n’a évidemment pas rassuré les investisseurs, ni soutenu la place financière de Paris dans sa quête de capitaux en concurrence avec celle de Londres. Le président fait état d’une finance « qui gouverne », et ce malgré les mesures de réglementation ayant eu lieu suite à la crise de 2008.

Le dilemme des économistes : réglementer ou libéraliser les flux financiers ?

Derrière ce constat se trouve un dilemme non résolu chez les économistes et politiciens : la finance, dans son état actuel, doit-elle être réglementée ou libéralisée ?

Portée et limites de la libéralisation…

En effet, libéraliser les flux financiers — c’est ce qui s’est passé notamment durant les années 1970 — a comme conséquence d’accélérer les échanges d’actifs entre les places financières. C’est un facteur susceptible de dynamiser une économie dans la mesure où les IDE sont eux aussi facilités. Ainsi, suite à son ouverture financière et commerciale dans les années 1990, l’Argentine a connu une accélération sans précédent de sa croissance : 12% en 1991. Cela est dû au fait que le pays, contrairement au Mexique à cette période, attirait une plus grande part d’IDE.

Libéraliser la finance, c’est aussi donner l’occasion aux ménages d’emprunter pour consommer plus. Rappelons que si les ménages empruntent traditionnellement auprès des banques, ces dernières sont en lien avec les marchés d’actifs. Si les flux financiers sont facilités entre investisseurs institutionnels — assurances, banques — alors ceux-ci seront plus à même d’offrir à leurs clients des possibilités d’emprunts. Pour ce cas, prenons comme exemple l’économie américaine dont la consommation est renforcée sur la possibilité d’emprunter (dans les années 2000, le taux d’épargne des ménages américains est inférieur à 4%, signe qu’ils empruntaient beaucoup). Comme nous le voyons, la part de la consommation finale des ménages dans le PIB n’a cessé d’augmenter depuis les années 1970 (libéralisation financière), signe que l’économie américaine reste tirée par la consommation.

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Toutefois, libéraliser a ses effets pervers. Une libéralisation excessive des flux financiers mène inévitablement à une crise financière. Cela peut être résumé par la typologie de Minsky (1975) qui montre l’escalade qui peut survenir dans un système financier dérégulé, menant à la crise. Pour reprendre l’exemple de l’Argentine, cette libéralisation financière mènera entre autre à une crise financière en 2000-2001.

  • Hedge finance : dans cette première étape, les transactions financières sont effectuée précautionneusement entre les agents économiques. Les entreprises et particuliers n’empruntent que des montants qu’ils peuvent rembourser. Les agents économiques sont prudents.
  • Speculative finance : puis les agents financiers prennent de plus en plus de risques dans leurs transactions… Ils se sentent rassurés par le fait que le système financier est maîtrisé et qu’eux-mêmes ont leurs engagements couverts par leurs flux de revenus. Cela va les pousser à prendre plus de risques : c’est le paradoxe de la tranquillité.
  • Ponzi finance : dans cette étape, les entreprises obéissent à une « logique de cavalerie » : ils ne peuvent plus rembourser leurs emprunts donc ils en contractent d’autres pour rembourser les premiers. Le montant de l’endettement augmente dans l’économie et des bulles se forment. Finalement, cela mène à une crise financière. Cette crise est causée par « l’aveuglement au désastre » des acteurs qui ne veulent pas croire qu’une crise va advenir et ce faisant ne renoncent pas à leurs activités risquées.

Portée et limites de la réglementation…

D’un autre côté, les autorités ont la possibilité de réglementer l’économie. Réglementer permet de limiter la production de crises financières mais si elle est excessive, elle peut brider une économie en freinant l’investissement et la consommation. En effet, plus la réglementation est poussée, plus les agents économiques éprouvent des difficultés à se financer. Ils doivent alors le faire auprès d’acteurs nationaux susceptibles de faire du « protectionnisme financier » en mettant des taux d’intérêts plus élevés que ceux qui seraient pratiqués internationalement.

Rappelons que chez Schumpeter l’endettement est le moteur de l’économie. L’entrepreneur, s’il veut exercer pleinement sa fonction centrale et créatrice dans l’économie, doit pouvoir trouver les moyens financiers nécessaires pour créer son entreprise. Or, réglementer la finance c’est rendre les transactions financières plus chères à cause des coûts de transaction : l’entrepreneur est premier touché, la croissance aussi.

La réglementation fait généralement suite à une crise financière

La réglementation des années 1930

Suite à la crise de 1929 et avec le New Deal, une nouvelle réglementation financière a vu le jour en 1933. C’en est peut être même la première forme aboutie.

  • Glass steagall act : Les banques sont obligées de se spécialiser entre soit des activités de dépôt (pour les ménages) ou d’affaires (pour les entreprises).
  • FDIC (Federal Deposit Insurance Corporation) : Organisme de supervision pour éviter les bank run. Pour rappel, un bank run désigne le fait qu’une banque fasse faillite car ses déposants y retirent leur argent. Ce phénomène arrive en cas de crise de confiance : dans ce contexte, des phénomènes auto-réalisateurs surviennent comme le bank run. En effet, les déposants n’ont plus confiance en leur banque et pensent qu’elle va faire faillite, donc ils retirent leur argent, mais ce faisant, il y a banqueroute.
  • Security’s Act : limite la spéculation sur les actifs. Rappelons là aussi que la spéculation a été une crise du krach du « jeudi noir ». La pratique d’achat à la marge s’était développée, c’est-à-dire que l’on empruntait de l’argent à des courtiers pour spéculer, sauf que ce système était très peu encadré car les courtiers exigeaient peu de garantie pour prêter de l’argent.
  • Security and exchange commission : organisme régulateur des marchés financiers

La réglementation suite à la crise des subprimes

Du côté américain, la réglementation Dodd-Frank (2010) re-réglemente le système financier en visant à encadrer le risque systémique. Elle prévoit :

  • Mise en place de procédures de démantèlement des firmes quand la faillite apparaît inévitable
  • Organisation de stress-tests pour les établissements d’importance systémique (plus de 50 milliards d’actifs). Les banques sont mises en situation d’urgence et si elles se retrouvent insolvables, il y a des mesures de recapitalisation.
  • Avec la Règle Volcker, il y a une actualisation du Glass Steagall Act (abrogé en 1999) : les banques commerciales ont interdiction de spéculer sur leur compte propre.
  • Les banques ont aussi interdiction de prendre des participations de fonds spéculatifs risqués.
  • Volonté d’encadrer la titrisation en re-responsabilisant les banques lors de leur gestion des titres adossés à des créances. Les banques sont obligées de céder une partie des titres titrisés qu’elles ont cédé à d’autres établissements.
  • Généralement, il y a l’objectif de limiter l’activité des marchés non réglementés, c’est-à-dire les marchés « gré-à-gré ».

L’Union Européenne a réglementé le secteur financier avec le projet d’Union Bancaire.

  • Création du CERS (Comité européen du risque systémique)
  • La BCE est désignée comme superviseur unique du marché financier européen. Les établissements d’importance systémique (ici, pour un capital supérieur à 30 milliards d’euros d’actifs) sont sous son commandement.
  • Obligation des banques à mettre de côté pour être en mesure de financer une situation d’illiquidité future.

Enfin, au niveau international, des organisations telles que le Comité de Bâle ont joué un rôle central pour mettre en place une nouvelle architecture réglementaire avec l’accord de « Bâle III »

  • Mise en place de ratios de liquidité à respecter pour les banques. Quand les banques prêtent de l’argent, elles ne prêtent pas que de l’argent qu’elles possèdent en liquidités. Tout repose sur le principe que tous les déposants ne vont pas réclamer leur argent en même temps, donc la banque peut s’engager sur un montant d’argent supérieur au montant de liquidité qu’elle détient effectivement (les fonds propres). De cela découle le ratio de liquidité : il est exigé des banques qu’elles détiennent désormais plus de fonds propres pour accorder un même montant d’argent créé. On dit que dans ce ratio la place du « Core Tier One » a augmenté.
  • Mise en place d’un matelas contra-cyclique : l’exigence de fonds propre augmente quand la conjoncture est favorable et diminue quand le risque de crise est proche. Il s’agit ici de contrer le paradoxe de la tranquillité observé par Minsky (les agents économiques commencent à prendre le plus de risques en cas de stabilité financière).

Pourquoi réglementer n’est pas toujours la solution aux crises financières

Pour répondre à cette question, il faut expliquer en quoi consiste le phénomène de dialectique réglementaire. Quand une réglementation est appliquée, il y a innovation de la part des acteurs financiers pour tenter de la contourner. Cela donne lieu à de nouvelles pratiques potentiellement plus risquées. Un argument contre la réglementation financière est que, si elle est trop contraignante cela donnera lieu au développement du « Shadow banking », c’est-à-dire le secteur de la finance non réglementée. De même, si une réglementation est appliquée par des pays, cela donne l’occasion à d’autres de jouer les free riders en n’appliquant pas cette réglementation et en faisant de leur laxisme un avantage comparatif. Voici quelques paradis réglementaires connus : les îles Caïmans (Royaume-Uni), les îles Vierges britanniques…

Un autre argument contre cette réglementation poussée est que cela peut au contraire augmenter le risque systémique (Christophe Boucher). En effet, pour les Etats il y a intérêt à empêcher la faillite des établissements systémiques car ils concentrent beaucoup d’actifs et de flux financiers : cela destabiliserait le système financier entier. Donc une réglementation est à la fois mise en oeuvre pour responsabiliser ces banques et les contraindre à prendre moins de risque. Toutefois il peut y avoir un phénomène d’aléa moral : ces banques se sachant de toute façon protégées peuvent prendre plus de risques car elles savent qu’elles seront sauvées en cas de faillite.

Trouver le bon équilibre entre réglementation et libéralisation demeure complexe

Le véritable problème lié à la réglementation est qu’elle n’est jamais adoptée par tous les acteurs. Il y a donc des phénomènes de free riding qui font que les actifs financiers les plus risqués viennent se concentrer dans ces paradis réglementaires, ce qui compromet les efforts conjoints des autres pays pour réglementer et augmente le risque de crise financière.

Une proposition de solution serait donc de chercher à harmoniser à la fois la réglementation au niveau des pays, mais aussi au niveau des acteurs financiers. En effet, si la réglementation se concentre sur les établissements bancaires, certains acteurs ne sont pas du tout réglementés. C’est le cas des hedge funds qui prospèrent par la réalisation d’investissements extrêmement risqués dans des paradis réglementaires. L’idéal serait alors de leur consacrer un statut juridique propre qui puisse leur permettre d’être réglementés au même titre que les banques.

Pour chercher à harmoniser la réglementation au niveau des pays, il faut renforcer le pouvoir des institutions internationales, notamment celui du G20 qui depuis 2008 a émergé comme acteur principal dans la gouvernance financière mondiale.

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