démondialisation

Les oraux de HEC sont une expérience unique et l’ancien président de l’école en avait précisé sa vision. Ils doivent être un « chemin de croix », où les candidats seront fortement déstabilisés par au moins un des six sujets. Et si la légende a surtout retenu les fameux sujets de culture générale, on peut être surpris dans toutes les matières. Cet article te présente comment faire face à un sujet déstabilisant sur la démondialisation en ESH, pour que tu attaques cette épreuve en ayant un peu moins peur !

I. Premières impressions

À la vue de ce sujet, un préparationnaire entraîné remarque directement les quelques (grosses) erreurs que ses camarades moins avisés auraient pu commettre. Ces types d’erreurs sont assez communs. Donc, prends note !

1. Suivre le sujet de manière moutonnière

Attention à ne pas prendre l’énoncé du sujet comme une réalité. La mondialisation n’arrive pas à sa fin et on n’assiste pas à un mouvement d’autarcie de la part de la plupart des pays. Le ratio des exportations sur le PIB à l’échelle mondiale reste relativement stable (entre 26 % et 30 %), bien qu’il soit en stagnation depuis 2008. Au lieu d’une fin de la mondialisation, on assiste en réalité à une période de « moudialisation » (soit un ralentissement de la mondialisation, une version plus molle de celle-ci). Et Sébastien Jean (CEPII, 2021) constate même une certaine résilience de la DIPP face à la Covid !

D’un point de vue quantitatif, on peut donc constater que la période d’hypermondialisation (caractérisée par un stock d’exportations mondiales augmentant plus vite que le PIB mondial et par des législations dérégulatrices), qu’on peut situer entre la décennie 1980 et 2008, est terminée. Mais on ne peut pas dire que l’on est dans une phase de démondialisation !

Il faut donc être plus fin et ne pas affirmer, la tête haute et la voix portante, que l’on assiste à la fin de la mondialisation.

2. Se limiter à une approche normative

L’adjectif « normatif » renvoie à un discours qui consiste en un jugement de valeur. Autrement dit, l’approche normative, quand on parle de mondialisation, correspond à se demander si la mondialisation est « bonne » ou « mauvaise ». Un élève se limitant à expliquer que la mondialisation est mauvaise, et donc qu’on se dirige vers une démondialisation, ne traite pas entièrement le sujet ! Même si certains sujets commandent une approche normative et si l’approche normative peut être partiellement utilisée ici.

Si cela n’est pas clair, voici la piste pour trouver des arguments non normatifs. Quelles sont les forces, indépendamment de si la mondialisation est bonne ou mauvaise, qui contribuent à l’entraver ? Par exemple, si à tout hasard, une guerre éclatait entre l’Occident et l’Est, cela serait un facteur démondialisant. Et il est totalement indépendant du caractère vertueux ou non de la mondialisation !

C’est précisément l’argument développé par Esther Duflo et Abhijit V. Banerjee dans le premier chapitre, drôlement intitulé Make Economics Great Again, de Économie utile pour des temps difficiles (2019). Ils expliquent que le lien entre le consensus économique (l’approche normative) et les décisions politiques (ce qui se passe vraiment) est relativement faible. L’exemple des Trump Tariffs est frappant. Quasiment tous les économistes avaient un avis négatif sur cette décision. Mais le jeu politique et l’opinion publique ne sont pas réellement concernés par l’analyse économique ! Donc, on peut en conclure que des politiques « démondialisantes » peuvent toujours être mises en place.

3. Faire des erreurs chronologiques

Attention à ne pas tout confondre ! Ce sujet est de nature très actuelle. Et la mondialisation d’aujourd’hui est très différente de celle des années 1950-1970. Qui elle-même est très différente de celle qui s’est construite jusqu’aux années 1890. Et si établir des parallèles peut être pertinent pour défendre certains arguments, il sera ici impossible de décrocher une bonne note sans commenter les idiosyncrasies de la mondialisation actuelle.

II. Proposition de plan

Phrase d’accroche : Jacques Mistral, dans Guerre et paix entre les monnaies (2014), affirmait que « nous assistons aux noces tardives et inattendues du mercantilisme et de la mondialisation ».

L’introduction devrait contenir des chiffres qui suggèrent bel et bien la fin d’une période de la mondialisation. On pourrait s’inspirer de ce graphique (par Isabelle Bensidoun, dans un billet publié au CEPII) :

Taux d'ouverture mondiale

1. Les forces géopolitiques de la démondialisation

A. Nous sommes entrés dans une nouvelle ère géopolitique qui laisse place à plus de tensions et moins de coopération internationale. Pour cela, on peut citer la différence entre le « commercialisme libéral » et le « commercialisme orienté » établie par Christian Deblock (OMC : le déclin irréversible de la réciprocité et du multilatéralisme).

Le modèle libéral des pays occidentaux, qui voit le commerce et la libre concurrence comme une fin en soi intrinsèquement vertueuse, n’arrive plus à s’imposer face au modèle mercantiliste et nationaliste des pays en développement, notamment la Chine. Cela explique l’enlisement du cycle de Doha (début de négociation en 2002). On assiste à la fin de la stabilité hégémonique (concept attribué à Charles Kindleberger) au profit d’un monde plus morcelé et d’un conflit entre des blocs de puissance comparable sinon similaire.

B. Les pays ont tendance à remarquer la fragilité des chaînes de valeur trop éclatées. La crise sanitaire et les crises de l’énergie et du blé ont incité les pays à considérer la production nationale comme une nécessité dans certains secteurs. Un changement qui marque le passage à un monde plus replié, radicalement différent de celui où la DIPP orientait la production mondiale en mettant en concurrence la productivité de chacun des territoires.

2. Les forces « intérieures » de la démondialisation

A. On constate la présence de lobbies puissants, dont les intérêts vont à l’encontre de l’ouverture commerciale. Les auteurs Landier et Thesmar – dans 10 idées qui coulent la France (2013) – s’attaquent à un biais anti-libre-échange qui marque profondément la politique française : le discours d’une industrie française vertueuse qu’il faut défendre d’une concurrence mondiale injuste et destructrice.

Ce type de discours, antimondialiste par essence, puisqu’il accuse la concurrence internationale, est l’objet de lobbies qui ont tout intérêt à ce que la concurrence soit limitée (pour se permettre d’être moins productifs, avoir de meilleures marges et plus de parts de marché). Cela démontre que, à l’intérieur de chaque pays, des forces travaillent en faveur d’un monde moins ouvert à l’échange de biens et de services.

B. Les décisions politiques ne dépendent pas toujours du consensus économique (qui est largement libre-échangiste), ce qui explique que des décisions politiques contre le libre-échangisme soient prises. Par exemple, le sociologue Mancur Olson dans Logique de l’action collective (1965) explique que des décisions pouvant aller contre l’intérêt général peuvent être prises dans une société démocratique, dans la mesure où un petit groupe hypermobilisé en bénéficie beaucoup. Par exemple, les tarifs douaniers qui ont été mis en place par Donald Trump en 2018 profitaient surtout à l’industrie de l’acier et du métal. Tout en ayant des répercussions négatives sur le reste de l’économie.

C. On peut donc envisager que les groupes souvent qualifiés de « perdants de la mondialisation », notamment les classes moyennes occidentales et surtout celles qui travaillaient dans le secteur secondaire, se mobilisent politiquement et prennent des mesures antimondialistes. Pour identifier ces groupes, on peut citer l’étude The China Shock (2016) de Autor, Dorn et Hanson.

3. Est-ce réellement pertinent de parler de « démondialisation » ?

A. Le paradigme ricardien libre-échangiste semble toujours être d’actualité. La majorité des mesures protectionnistes de Trump ont été annulées par Biden ; pendant que l’Europe signe un accord qualifié de « deep integration » avec le Canada (CETA) pour développer leurs échanges.

Pour ce qui est des droits de douane, Jean-Christophe Bureau et ses coauteurs dans Competing Liberalizations : Tariffs and Trade in the Twenty-First Century (2016) remarquent que la moitié des baisses de droits de douane du XXIᵉ siècle étaient des initiatives unilatérales venant de pays en développement. Autrement dit, les pays décident maintenant de baisser leurs droits de douane sans même négocier que leurs partenaires commerciaux fassent de même. Ce qui traduit la confiance qu’une majorité de pays a dans le libre-échange.

B. On devrait donc parler d’une nouvelle mondialisation, une mondialisation difficile à prévoir, qui pourrait prendre plusieurs facettes. Les facteurs qui la rendent si imprévisible sont la menace écologique, les tensions géopolitiques et militaires, et l’avènement des nouvelles technologies.

SI tu veux en savoir plus sur la notion de démondialisation, c’est par ici !