Mes très chers prépas, voici un premier article d’une potentielle future série d’articles visant à retracer l’Histoire des pensées économiques à travers leurs divers contributeurs. Voici le pilote avec, pour commencer, le grand François Quesnay.

  “Pauvres paysans, pauvre royaume”

-François Quesnay, dans Maximes générales du gouvernement économique d’un royaume agricole (1767).

Avec François Quesnay, nous parlerons dans le désordre : de la petite vérole, de l’Encyclopédie (oui, celle de Diderot et d’Alembert), de graines, de secte d’économiste, de circulation sanguine et de caillots, de la Pompadour, et de classes et tableaux… et j’en passe et des meilleurs.

Pourquoi François Quesnay ? Tout simplement parce qu’il est le premier à avoir véritablement fait de l’économie au sens moderne du terme, et parce qu’il n’est sans doute pas assez connu. Après avoir lu cet article, j’espère que cet homme et sa pensée pourront vous être utiles dans vos copies et sauront vous démarquer des autres.

Et pour ceux qui n’ont pas le temps de niaiser, vous trouverez une fiche autant synthétique qu’efficace à la fin de cet article.

Parce qu’il est toujours important de savoir d’où nous parle un économiste, traversons rapidement sa vie.

François Quesnay : sa biographie

1694-1774, soit 80 ans d’une existence plutôt intéressante. En effet, le petit François est né au sein d’une famille modeste dans les Yvelines à Méré, avec 11 frères et sœurs. Il ne savait toujours pas lire à ses 11 ans et sera orphelin à 13 ans, rien de plus normal à la fin du 17e siècle, somme toute. Mais déterminé et ambitieux, il se lance dans des études de médecine, qu’il réussira.

En 1717, il devient Maître Chirurgien à Paris et sa réputation grandissante lui permet de devenir en 1744 le médecin de la marquise de Pompadour (hé ouais, la favorite de Louis XV), pas le temps de niaiser donc. Disons-le clairement, la Madame n’était pas un cas médical des plus intéressants. L’objectif était surtout de faire savant dans les salons. Le climax de sa carrière médicale fut la guérison de la petite vérole du Roi, pour laquelle il fut anobli. Sa vie aurait déjà été une sacrée success-story s’il s’était arrêté là. Mais si nous nous intéressons à lui ici, c’est pour tout autre chose, pour son apport à la pensée économique.

Son intérêt pour l’économie, matière récente, vulgaire et encore balbutiante, fut tardif. Il avait déjà une cinquantaine d’années lorsqu’il a commencé à travailler sur ces questions. On est donc loin du génie précoce d’un Blaise Pascal, ou d’un Evariste Galois, sans parler d’Anakin Skywalker… C’est à travers ses rencontres dans les différents salons et surtout dans « le Club de l’Entresol» d’Helvétius, avec les Encyclopédistes d’Alembert et Buffon, mais aussi Diderot ou encore Condorcet, qu’il développe un intérêt pour les questions d’économie politique.

Dans les années 1750, il forme l’école des Physiocrates avec « l’ami des hommes » aka Mirabeau, souvent décrite comme une « secte d’économistes », et œuvre à synthétiser la pensée physiocrate. Après quelques articles dans l’Encyclopédie (« Fermiers » (1756), « Grains » (1757), « Hommes » (1757)), il rédige en 1758 la première version de son masterpiece : Le Tableau économique. À 72 ans (c’est-à-dire en 1766), notre cher François rencontre un certain Adam Smith à Compiègne. Cette rencontre, loin d’être anodine, ne laissera pas indifférent ce professeur de philosophie morale écossais, notamment pour la question de la valeur des biens économiques.

Par la suite, il écrira d’autres articles d’économie avant de s’intéresser aux mathématiques, où sa postérité fut… moindre. On ne peut pas être bon partout.

Revenons à ce qui vous intéresse, et ne perdons plus de temps dans ces raconteries… Les concours approchent, il faut maximiser cette ressource rare qu’est le temps !

Son apport à la pensée économique

Trois idées majeures nous ont été apportées par François Quesnay :

  • le fait de découper la société en termes de classes économiques 
  • la compréhension de l’économie comme un circuit, et qu’il ne faut point mettre de barrière pour empêcher une circulation « saine »
  • et l’idée que l’économie peut se modéliser de façon globale !

Pour comprendre tout ça, il pose certaines bases : celles de la physiocratie. Un peu d’étymologie, ça ne peut pas faire de mal. Si cela vous a échappé, ce terme a pour base Physis, la nature en grec. La physiocratie veut donc dire le gouvernement, le pouvoir de la nature. Ce terme fut forgé par Pierre Samuel du Pont de Nemours (hoho… c’est un peu court, jeune homme). Vous avez de quoi briller à votre tour dans les salons… Bref ! L’idée principale derrière ce terme, c’est que « la terre est mère de tous les biens », pour paraphraser Mirabeau (citation que j’ai mis à votre disposition pour que vous la notiez, on ne sait jamais).

Pour les physiocrates, la nature seule crée véritablement de la richesse. Prenons leur exemple : l’image d’une graine. Naturellement, d’une graine poussera une plante, de laquelle seront générées d’autres graines, nécessaires à la semence suivante. Simple, basique. La nature a cette capacité étonnante de multiplier les richesses à travers son processus de régénération ; chose dont l’homme est a priori incapable.

                                                                                  Champêtre – de Jean-Baptiste Huet (fin 18e).

Mais au-delà de l’image pastorale, François Quesnay dégage l’idée que seuls les paysans sont créateurs de richesse véritable en travaillant la terre pour que celle-ci soit généreuse. Tous les autres acteurs économiques ne font que transformer cette richesse pure, et la consomment. Dans la langue de Quesnay, ça donne:

« Il faut distinguer une addition de richesses réunies, d’avec une production de richesses, c’est-à-dire l’augmentation par réunion de matières première, et de dépenses en consommation de chose qui existaient avec cette sorte d’augmentation, d’avec une génération ou création de richesses, qui forment un renouvellement réel de richesses croissantes ».

Sur les travaux des artisans

Pas très clair, je vous l’accorde. Je reprends : l’artisan ne fait que transformer et additionner de la matière bois et de la matière paille, pour en faire une chaise tressée, mais ne sera jamais capable de créer du bois ou de la paille. Seule la nature en est capable. Ex-nihilo, pourrait-on dire, la nature crée de la richesse. L’artisan n’est en somme qu’un additionneur/transformateur de richesse. Vous pouvez tenter de relire l’extrait, désormais.

Naturellement, cette compréhension de la richesse pourra heurter les smithiens ou ricardiens que vous êtes. Il est évident que nous ne pensons plus la richesse de la même façon, et que la valeur d’un bien ou même d’un service ne dépend pas seulement de la valeur de la matière première incorporée. Mais dites-vous que Quesnay vivait dans un monde essentiellement agricole et rural, que la production de biens et de services était soit minime, soit trop fastueuse pour être considérée comme une richesse véritable. Un monde qui baignait dans une religion catholique à son apogée ; une société précapitaliste finalement, où la rationalité économique n’avait pas lieu d’être tant au niveau de la production que de la consommation. Dès lors, la richesse véritable ne pouvait vraisemblablement être créée par les hommes (si vous voulez en savoir plus, dirigez-vous vers Patrick Verley).

Et Quesnay n’était pas un hurluberlu, tous les physiocrates pensaient la richesse ainsi. Et rappelons aussi qu’en face, les mercantilistes estimaient que la richesse était exactement assimilable à la quantité d’or ; ce qui n’est pas plus malin… De plus, comment le grand Adam Smith aurait bien pu proposer sa théorie sur la valeur s’il n’avait pas eu la chance de se confronter à celle, un peu foireuse, de notre François ?…

La société est composée de plusieurs classes

Dans la société du XVIIIe siècle, François Quesnay voit trois classes sociales, ayant chacune un rôle bien défini : la classe productive, la classe stérile, et la classe des propriétaires. Tels les différents organes du corps humain (il n’est pas médecin pour rien), ces différentes classes sociales vivent en harmonie, chacune œuvrant à la tâche qui lui est confiée. Il se dégage un « ordre naturel » au sein de cette société, où chaque classe a son rôle à assurer pour que l’ensemble puisse coexister.

  • Le titre de MVP revient aux agriculteurs composant la « classe productive ». Ils travaillent la terre, et génèrent plus de richesses qu’ils n’en consomment. Une richesse nette, fruit de leur labeur, peut alors profiter aux autres classes et circuler dans l’économie.
  • La « classe stérile », c’est celle des artisans, ou de tout autres travaux non agricoles comme le transport. Ces derniers consomment la production agricole, la transforment et la transportent sans pour autant créer de la valeur à proprement parler (d’après les physiocrates).
  • Enfin, la « classe des propriétaires », la noblesse, vit de ce surplus de richesse et consomme tant les produits agricoles que les produits de la classe stérile. Cependant, il leur revient de détenir des terres, des capitaux et de les mettre à disposition des paysans pour les récoltes suivantes.

Quesnay nous avertit : “que les souverains et la nation ne perdent jamais de vue que la terre est l’unique source des richesses, et que c’est l’agriculture qui les multiplie” (Maximes générales du gouvernement économique d’un royaume agricole, maxime III). Ces derniers s’assurent donc que « l’ordre naturel » règne dans cette économie.

François Quesnay est souvent considéré comme le premier à découper la société selon des classes économiques, et il n’y est sans doute pas pour rien si Karl Marx a pensé la société comme un système dynamique de classes elles aussi économiques. Mais la véritable paternité du découpage de la société en termes de classes économiques revient à Pierre de Boisguilbert qui, dès 1695, avait élaboré cette idée dans Les Détails de la France. C’est Karl Marx lui-même qui le dit, alors… Nous reviendrons prochainement sur ce Boisguilbert, promis.

L’économie est un circuit

N’oublions pas que François Quesnay est d’abord un médecin, et que la circulation sanguine, dont la (re)découverte date d’un peu plus d’un siècle, n’est sans doute pas pour rien dans la vision du système économique qu’il élabore. Organes et circulation sanguine dans le corps humain/classes, circulation des richesses dans la société ; le parallèle est trop beau pour être éludé.

Ainsi, ces trois classes échangent, et sont liées par des phénomènes économiques. La richesse circule dans un système économique que François Quesnay tente de retranscrire :

Il est à noter que les chiffres sont ici des ordres de grandeur, que le jeu est à somme nulle, et qu’un équilibre apparaît ; tout le monde est heureux dans le meilleur des mondes.

Archaïque de prime abord, ce schéma est pourtant essentiel à la façon dont nous pensons l’économie aujourd’hui. Découper la société selon le rôle économique que nous avons, voilà une sacrée innovation intellectuelle (quand bien même elle a été piquée à Boisguilbert). De plus, imaginer une triade : Producteur, Consommateur, Noblesse, n’est pas si éloigné des Entreprises, Ménages, États que nous utilisons encore aujourd’hui pour simplifier notre compréhension de l’économie.

L’autre héritage que nous lui devons, c’est le circuit reliant ces différentes classes qu’il met en valeur. Aujourd’hui, personne ne nie le fait que l’économie est un circuit. Mais c’est aussi le premier à vouloir modéliser un mécanisme macroéconomique, sur une base annuelle, avec des relations mathématiques basées sur les quelques ressources statistiques dont il dispose à ce moment-là. Ce geste reste un héritage profond dans notre façon de comprendre, de modéliser et de produire des documents économiques. Car même si Boisguilbert (encore lui ?!) avait aussi tenté de présenter le fonctionnement de l’économie sous forme de circuit, il n’avait pas eu la présence d’esprit d’y retranscrire des données chiffrées de la comptabilité nationale.

Enfin, pour que les richesses circulent bien dans la société, que l’ordre naturel soit respecté, il ne faut pas se créer des caillots, des barrières. François Quesnay, comme tous les physiocrates, est un promoteur du « laissez faire, laissez passer » (phrase attribuée à Vincent de Gournay et non à Quesnay, mais les deux sont physiocrates et assez proches, alors la confusion peut être pardonnée). Dans la France post-Colbertiste, les physiocrates soutiennent un plus grand libéralisme et remettent en cause la « police des grains » qui sclérosait les échanges de céréales entre les différentes provinces françaises, mais aussi avec l’extérieur. Pour François Quesnay, le blé doit devenir un objet de commerce ordinaire, et doit se vendre « au bon prix ». Pour cela, il faut que la classe productive soit moins taxée, et que la répartition des impôts soit plus équitable. Il souhaite aussi une modification de la façon dont est gouvernée la France de l’Ancien Régime, et appelle à :

« La division des sociétés en différents ordres de citoyens dont les uns exercent l’autorité souveraine sur les autres détruit l’intérêt général de la nation, et introduit la dissension des intérêts particuliers entre les différentes classes de citoyens ; cette division intervertirait l’ordre du gouvernement d’un royaume agricole qui doit réunir tous les intérêts à un objet capital, à la prospérité de l’agriculture, qui est la source de toutes les richesses de l’Etat et de celles de tous les citoyens »

Maximes générales du gouvernement économique d’un royaume agricole

Bien entendu, il ne fut pas entendu.

François Quesnay est l’auteur emblématique de l’école de la Physiocratie. Parce qu’il a synthétisé la pensée de ce mouvement, mais aussi parce qu’il est resté dans une certaine postérité pour ses « découvertes » économiques. Car beaucoup de ces « découvertes » lui ont été attribuées de façon abusive (notamment à la place de ce pauvre Boisguilbert), quand bien même Quesnay a été celui qui les a formalisées et intégrées à un système économique global. Il est certain que sa pensée est ancienne et peut paraître désuète, voire archaïque à nos yeux de jeunes étudiants du XXIe siècle. Mais rendons-lui l’honneur qui lui est dû de par ses découvertes fondamentales en économie, mais aussi de par sa vision naturaliste de l’économie et de la société en général. Car s’intéresser à sa pensée, c’est aussi découvrir une nouvelle façon d’appréhender ce qu’est la richesse ; une richesse naturelle et non capitalistique, qui, si elle ne peut être considérée comme scientifique, reste belle, à l’instar du regard que porte la naturphilosophie sur notre monde désenchanté.

C’est tout, et c’est sans doute trop et pas assez en même temps.

Résumé

Pour les pressés, et parce qu’on est sympa, voici une petite fiche d’auteur à pomper autant que vous le souhaitez :

  François Quesnay

(1694-1774)

Ecole de Pensée Physiocrate – Le plus célèbre d’ailleurs et celui qui synthétisa leurs pensées
Principales œuvres Tableau économique (1758, 1re édition) ; Art. « Hommes » Encyclopédie (1757) ; Maximes générales du gouvernement économique d’un royaume agricole (1767)
Grandes Idées/Théories ·       Découpage de la société selon 3 classes : Classe productive/Classe Stérile/Classe des propriétaires. Seule la classe productive (les paysans) participe à la création de richesse véritable. Seule la nature est créatrice de richesse (« la nature est mère de tous biens » – Mirabeau).

·       Les classes sont reliées par des échanges que l’on peut modéliser sous la forme d’un circuit économique (cf. Tableau économique) – Première tentative de modèle macroéconomique basé sur des statistiques.

·       Il faut « laisser faire, laisser passer » – V. de Gourney – afin de ne pas gêner « l’ordre naturel » du circuit économique entre les différentes classes.

Citation « Pauvres paysans, pauvre royaume » – Maximes générales du gouvernement économique d’un royaume agricole (1767)

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