Muhammad Yunus

À travers son ouvrage Vers un monde sans pauvreté, publié en 1997, l’entrepreneur bangladais Muhammad Yunus partage la concrétisation d’un de ses rêves : créer une « banque pour les pauvres ». Grâce à son pragmatisme, il réussit progressivement à déconstruire les préjugés économiques et impose le microcrédit comme une réelle solution d’éradication de la pauvreté. Sa banque, Grameen, s’est révélée d’une efficience incomparable avec plus de 95 % des prêts remboursés. 12 millions de Bangladais, soit 10 % de la population, ont pu passer au-dessus du seuil de pauvreté.

Nous souhaitons donc te partager dans cet article les idées essentielles à retenir de cet ouvrage. Il constitue une bonne référence pour les sujets liés à l’économie et à la sociologie du développement.

 

Les débuts

Situation économique du Bangladesh

En 2021, le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) confirme la sortie du Bangladesh de la catégorie des pays les moins avancés (PMA). Ces dernières années, le pays enregistre l’un des taux de croissance les plus forts du monde. La croissance du PIB atteint 8,2 % en 2019 et 7,2 % en 2022, malgré l’impact de la pandémie. Son IDH est désormais supérieur à celui de l’Inde ou du Pakistan.

Cependant, dans la deuxième moitié du XXᵉ siècle, le Bangladesh était encore un des pays les plus pauvres du monde. La densité de population s’élevait à 830 habitants par kilomètre carré, du jamais vu en Europe. Le pays était également frappé par la malnutrition (plus de 40 % des Bangladais ne parvenant pas à satisfaire leur besoins alimentaires), l’analphabétisme (90 % des Bangladais ne savaient pas lire), mais aussi les catastrophes naturelles. La famine de 1974, qui a fait des centaines de milliers de victimes, est d’ailleurs un des éléments déclencheurs de l’œuvre de Muhammad Yunus. Selon ses mots :

« Une terrible famine frappait le pays et j’ai été saisi de vertige en voyant que toutes les théories que j’enseignais n’empêchaient pas les gens de mourir autour de moi. »

 

Rejeter la théorie pour le réel

Face à cette pauvreté endémique, Muhammad Yunus souligne l’importance de définir précisément la notion et de l’adapter selon les pays et les situations. Selon lui, toute norme internationale doit être évitée. Il partage néanmoins une définition générale du développement :

« Par développement, il faudrait entendre un changement concret de la situation économique de la moitié la plus pauvre de la population dans une société donnée. »

Alors responsable du département d’économie de l’université de Chittagong, Muhammad Yunus décide d’aller sur le terrain et de rencontrer directement les familles afin de se rendre compte de leurs réels besoins. Il fait une rencontre marquante avec une femme travaillant le bambou pour fabriquer des tabourets. Cette dernière lui annonce faire un bénéfice de 50 paisas par jour, soit 10 centimes.

Yunus réalise donc que beaucoup de Bangladais ayant des savoir-faire n’arrivent pas à gagner leur vie en raison des taux usuraires. Il comprend que les conditions de prêts rendent leurs remboursements très difficiles. Notamment en raison du refus de tout paiement partiel ou de la prise de la terre comme garantie. Son idée d’une banque réellement au service des plus pauvres commence à naître.

« Je me consacrai au désapprentissage de la théorie pour tirer, à la place, les leçons du monde réel. »

 

Compléter l’aide internationale

D’autre part, Muhammad Yunus constate que l’aide internationale n’est pas suffisante.

« Le montant effectif de l’aide internationale s’établit à 60 milliards de dollars par an. Et partout ces projets engendrent d’énormes bureaucraties qui deviennent corrompues et inefficaces, et subissent rapidement de très fortes pertes. »

Il évoque notamment la loi de Gresham selon laquelle des « non pauvres » profiteraient davantage des programmes de développement que des individus plus modestes. 

 

La phase expérimentale et la création

Du projet universitaire de Jobra à la notoriété sur le plan national

Muhammad Yunus débute son aventure dans le village de Jobra, le plus proche de son université. Il commence par prêter à quarante-deux personnes qui se voyaient jusqu’alors déposséder du fruit de leur travail en empruntant à des intermédiaires. Par la suite, il tente de passer par la banque Janata, deuxième plus grande banque du Bangladesh, mais les garanties y sont obligatoires. Il décide donc de garantir personnellement tous les microprêts.

Yunus sait que les emprunteurs ne peuvent pas fournir de garantie, mais que la plupart d’entre eux rembourseront leur prêt. En effet, il s’agit de leur seule voie vers l’autonomie. En devenant une agence expérimentale de la banque agricole Krishi en 1977, Yunus obtient une marge de manœuvre plus grande et permet une certaine notoriété du projet sur le plan national. Il réalise ensuite une expérience à l’échelle de la région du Tangail pour prouver à la Banque centrale du Bangladesh que le projet est viable. Finalement, en 1982, il débute un programme d’expansion couvrant cinq districts.

 

La spécificité de la banque et les avantages du microcrédit

Pourquoi Grameen est-elle différente des autres banques ?

La principale innovation de la banque Grameen est de prêter sans nantissement. Les montants empruntés peuvent être très faibles et remboursés sur une très longue période. De plus, Grameen prête majoritairement aux femmes, partant du constat qu’elles représentaient moins de 1 % de tous les emprunteurs du pays avant la création de la banque.

Par ailleurs, la relation entre prêteurs et emprunteurs repose avant tout sur la confiance et aucun acte juridique n’est signé entre eux. Cela est rendu possible par le contact direct des collaborateurs avec les emprunteurs. Fidèle au mode d’action mis en place par Yunus dans le village de Jobra, le personnel rend régulièrement visite aux emprunteurs. Il est exclusivement sélectionné hors des banques traditionnelles, dans le but de pouvoir s’adapter rapidement au fonctionnement spécifique de Grameen.

 

L’organisation de la banque

Chaque personne désireuse de rejoindre la banque doit s’intégrer à un groupe de cinq personnes environ. Cela favorise la sensation de sécurité et l’entraide entre les membres, ce qui augmente encore la probabilité de remboursement. Les centres, regroupant environ huit groupes, aident quant à eux à prendre des décisions à plus grande échelle.

À partir de 1980, des ateliers nationaux avec tous les responsables de centres sont également organisés pour discuter des grandes directions de la banque. Grameen repose donc sur plusieurs niveaux d’intégration, permettant à chacun de se sentir pleinement acteur de la banque.

D’autre part, un fonds central d’urgence est mis en place pour indemniser les victimes de catastrophes naturelles ou de tragédies personnelles. Un nouveau prêt est alors automatiquement attribué pour permettre aux individus de redémarrer leur activité. L’ancien prêt n’est pas effacé, mais rééchelonné à plus long terme, même si la traite doit être ramenée à un centime par semaine.

Muhammad Yunus tient à ce procédé par lequel les anciens prêts ne sont jamais effacés. En effet, il permet non seulement de fortifier l’autonomie de l’emprunteur, mais aussi de l’engager à avoir confiance en ses propres capacités.

 

Pourquoi valoriser le microcrédit ?

De manière générale, le microcrédit réduit la dépendance des individus aux aides et augmente leur responsabilité.

« Le crédit solidaire accordé à ceux qui n’ont jamais pu emprunter révèle l’immense potentiel inexploité que tout être humain porte en lui. »

Muhammad Yunus cherche ainsi à contourner l’idée que les plus démunis ne peuvent faire bon usage de capitaux et ont d’abord besoin de services sociaux. Son idée phare est que le capital humain existe latent, en chacun. Par ailleurs, il note que le microcrédit favorise largement l’émancipation politique. Ainsi, en 1996, le taux de participation aux élections du Bangladesh était de 73 %, avec beaucoup plus de femmes que d’hommes.

 

Le modèle Grameen est-il exportable ?

Le pari de Muhammad Yunus est de prouver que ce modèle est exportable dans le monde entier. En 2007, le microcrédit soutenait les populations les plus modestes d’environ cinquante-huit pays, dont la Chine, l’Afrique du Sud, la France, le Canada ou encore les États-Unis. Il existe donc de nombreuses déclinaisons du projet de Muhammad Yunus dans le monde entier.

 

Voici quelques exemples

Le Working Capital est fondé en 1990 par Cambridge dans le Massachusetts et s’adresse aux entreprenants qui possèdent le moins de moyens. Dans certains ghettos d’Amérique du Nord, le crédit solidaire soutient le coût faramineux des obsèques.

Cependant, il n’a pas toujours été utilisé en tant qu’arme contre la pauvreté. En Norvège, il correspond davantage à un instrument d’insertion sociale. En effet, il permet aux femmes vivant près du cercle polaire d’exercer une activité commerciale qui les retient dans les îles. Avant, seuls quelques hommes y exerçaient le métier de pêcheur.

L’impulsion du microcrédit lancée par Yunus s’est donc propagée dans le monde entier en s’adaptant aux besoins spécifiques de chaque population locale. Selon le neuvième président de la banque mondiale, James Wolfensohn : « Les programmes de microcrédit ont insufflé l’énergie de l’économie de marché aux villages et aux populations les plus déshéritées de la planète. »

 

Quelques réflexions sur l’économie

Dans son ouvrage, Yunus partage quelques grandes idées concernant l’économie, au-delà de son expérience du microcrédit. En voici les principales.

 

Le premier problème n’est pas la formation, mais l’accès au capital

Selon lui, les programmes de formation s’efforcent souvent de développer de nouvelles compétences d’une telle manière que les individus oublient leur savoir-faire préexistant et se sentent ignorants.

Par là, il ne critique évidemment pas la formation qui aide à surmonter les difficultés économiques plus rapidement et de façon plus sûre. Cependant, il considère qu’« il vaut mieux laisser les capacités naturelles s’exprimer plutôt que de les étouffer dans le cadre d’une structure contraignante ».

Il faudrait donc avant tout mettre en valeur les capacités des individus. Cela leur permettrait de prendre confiance pour ensuite financer eux-mêmes des formations qu’ils pourraient choisir.

Yunus nourrit également un réel espoir dans la révolution informatique. Échappant à tout contrôle, il croit en un savoir et un pouvoir accessibles à tous.

 

L’État sous sa forme actuelle devrait se désengager presque totalement, sauf pour la défense nationale et la politique étrangère

Yunus est convaincu que les allocations chômage privent de l’esprit d’initiative. L’État devrait laisser un secteur privé animé par un souci de bien-être social jouer son rôle.

 

Le travail indépendant devrait être revalorisé, particulièrement pour les plus pauvres

Il prend l’exemple de nos ancêtres, qui n’ont pas eu besoin d’inventer le marché du travail, mais ont naturellement décidé de créer leurs propres activités, comme la chasse et la cueillette puis l’agriculture.

Selon lui, la théorie microéconomique joue un grand rôle dans cette vision relativement négative du travail indépendant, car elle occulterait la créativité et l’ingéniosité. En effet, l’individu est uniquement présenté comme un consommateur ou un travailleur. Seuls les entrepreneurs sont considérés comme des individus particulièrement doués, mais ce statut serait réservé à très peu. Ainsi, le travail indépendant est souvent rangé dans la catégorie « secteur informel », faute de grille de lecture théorique adaptée.

 

Conclusion

Le développement du microcrédit par Muhammad Yunus est rapidement passé d’un simple projet universitaire à un réel enjeu mondial. En 1997, le 1er Sommet du microcrédit est organisé, transformant radicalement son statut dans le monde entier. En 2005, une année internationale du microcrédit portée par l’ONU était également mise en place. Entre ces deux dates, le microcrédit est passé de l’aide de 7,5 millions de personnes à plus de 113 millions.

La banque Grameen, dans son désir de toujours s’adapter aux besoins des individus, s’est également diversifiée. Elle a notamment développé un système de santé, constatant que 25 % des emprunteurs de la banque ne parvenaient pas à sortir de la pauvreté, spécifiquement à cause de ce manque.

Ainsi, Grameen reconnaît que le microcrédit constitue une avancée importante dans la lutte contre la pauvreté, mais ne saurait résoudre le problème à elle seule. Elle a également mis en place Grameenphone, permettant un accès privilégié à la technologie pour les plus pauvres du Bangladesh.

 

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