Le 30 novembre 2015, le conseil d’administration du FMI accepte l’intégration du yuan – ou Renminbi (RMB) – au panier de devises composant les DTS1. Il y rejoint le dollar, l’euro, la livre sterling et le yen, et tend ainsi à s’imposer comme une monnaie de réserve mondiale2. L’utilisation du RMB comme instrument de règlement des transactions courantes s’accroît également à travers le monde, principalement en Afrique et dans les BRICS, dans une moindre mesure en Europe. Pourtant, ces premiers pas vers l’internationalisation de la « monnaie du peuple » ne doivent pas occulter les réelles difficultés auxquelles les autorités chinoises auront à faire face pour faire du RMB une devise incontournable.

Une internationalisation qui se précise

Ce n’est plus un secret : le RMB perce dans le game mondial, et les chiffres le prouvent. En 2014, il aurait supplanté les dollars australien et canadien au rang de 5e monnaie de paiement au monde avec 2,69% des échanges mondiaux réglés en RMB, pour 0,63% en 2013. Selon Ding Yifan, conseiller auprès du gouvernement chinois, il serait utilisé comme monnaie de réserve dans une cinquantaine de pays dans le monde (surtout en Afrique et dans les pays émergents).

L’enjeu est de taille : disposer d’une monnaie reconnue et acceptée par ses partenaires commerciaux permet de ne pas dépendre d’une autre devise pour faire des affaires à l’étranger. Aujourd’hui, la Chine exporte principalement en dollars. Par conséquent, les entreprises chinoises doivent convertir leur chiffre d’affaires en RMB, ce qui pour elles n’est pas un gage de stabilité lorsque le taux de change est volatil. Bien sûr, la Banque Populaire de Chine peut pallier cette volatilité (elle s’en prive d’ailleurs rarement) en achetant ou en vendant des devises. Cette méthode a toutefois l’inconvénient (mis en évidence par Mundell dans son triangle des incompatibilités) de limiter l’usage de la politique monétaire à la seule stabilité du taux de change, et ne permet pas d’accompagner une relance budgétaire par exemple.

Ainsi, même si l’objectif n’est pas clairement affiché par Pékin, l’internationalisation du RMB revêt une grande importance pour les autorités. Pour l’instant, il tendrait davantage à devenir une monnaie régionale, notamment en Afrique et dans certaines parties de l’Asie. En décembre 2015, le Zimbabwe a décidé d’en faire sa monnaie officielle, alors que le dollar US et le rand sud-africain restent les principales monnaies de transactions courantes dans ce pays. Au total, ce sont 7 pays africains, dont le Nigeria, 2e puissance économique régionale, qui acceptent le yuan comme monnaie de transaction, et une vingtaine qui l’utilisent comme monnaie de réserve. La Chine est donc devenue un acteur financier de premier plan : malgré l’inconvertibilité de sa monnaie, elle détenait l’équivalent de 469 milliards de dollars de créance sur 32 pays et régions dans le monde, au moyen de swaps3 de devises.

Pour asseoir la puissance de sa devise, la Chine œuvre également à promouvoir des institutions multilatérales dont elle est à l’origine. Ces organisations cherchent à approfondir les relations qui unissent la Chine à d’autres pays ou régions, autant parmi les pays développés que parmi les BRICS ou les pays asiatiques. L’exemple le plus frappant est l’Asian Infrastructure Investment Bank (AIIB), dotée d’un capital initial de 100 milliards de dollars, et à laquelle une cinquantaine de pays souhaitent adhérer (dont la France, l’Allemagne ou encore la Corée du Sud). Au-delà de ses objectifs affichés (développer des infrastructures dans les pays asiatiques enclavés ainsi que le commerce dans la région), l’AIIB est une belle opportunité pour Pékin de promouvoir le RMB dans des pays aussi éloignés que peuvent l’être les pays européens des pays en développement asiatiques.

De la nécessité de donner plus de poids au RMB

Si – comme souvent – la stratégie employée par Pékin pour accélérer l’internationalisation de sa monnaie est agressive, il semble légitime voire nécessaire que le RMB pèse davantage dans le système monétaire international. Légitime, car il répond aux deux critères fixés par le FMI pour intégrer le panier des DTS. Le premier critère (la monnaie doit être émise par un acteur clé en matière d’exportations) est largement atteint, puisqu’en 2010, les exportations chinoises représentaient un quart du total mondial4. Dans certaines zones, la Chine exporte même bien plus que les États-Unis. C’est notamment le cas de l’ASEAN (Association des Nations de l’Asie du Sud-Est, regroupant 10 États) dont les échanges avec la Chine représentent 15,5% des échanges totaux, contre seulement 8,4% pour les échanges avec les États-Unis. Quant au second critère (monnaie « librement utilisable », c’est-à-dire ayant une place importante dans le règlement des transactions internationales et convertible), on a vu plus haut que le yuan fait quasiment jeu égal avec le yen ou la livre. De plus, les autorités se sont engagées à rendre le yuan librement convertible d’ici 2020. L’appartenance du yuan aux DTS est donc légitime, du moins aux yeux du FMI.

L’internationalisation du yuan, au-delà de sa légitimité, peut dans une certaine mesure paraître nécessaire. En effet, la seule monnaie dont on peut réellement dire qu’elle est internationale – le dollar – ne sied pas à tout le monde, loin de là. L’une des raisons, essentiellement économique, est la grande différence qui existe entre le cycle économique américain et celui d’autres pays. Dans la mesure où certaines grandeurs macroéconomiques (telles que l’inflation ou les taux d’intérêt) ont un impact sur le taux de change d’une monnaie, ce dernier peut être diamétralement opposé d’un pays à l’autre dès lors que les situations économiques diffèrent. Or dans le cas du dollar, les pays qui l’utilisent fréquemment comme monnaie de transaction ou comme monnaie de réserve s’exposent fortement à ces risques de change, ce qui est source d’instabilité économique.

C’est là que le yuan présente un intérêt : d’après Thomas Lembong, ministre indonésien du commerce, il existe un consensus parmi les pays de l’ASEAN selon lequel le cycle économique des États membres serait bien plus proche de celui de la Chine que de celui des États-Unis. Les chiffres vont dans ce sens : les devises malaisiennes et indiennes étaient en août 2015 au plus bas depuis une vingtaine d’années, pendant que le dollar s’appréciait et le yuan était dévalué. Si cela ne nous dit, en réalité, pas grand-chose sur le cycle économique de la Chine, les taux de change des pays asiatiques sont plus proches de celui du yuan que de celui du dollar. C’est une bonne raison de donner plus de poids au RMB, bien que certains obstacles à son internationalisation subsistent.

Des difficultés tenaces

Le yuan ne deviendra pas une monnaie internationale du jour au lendemain. Les autorités devront surmonter divers obstacles, tenant en grande partie à la fragilité du système financier chinois. Ce système financier reste en effet très étatisé et très inefficace. Il fait la part belle aux grands groupes et aux collectivités locales, peu importe leur solvabilité, et ce au détriment des PME. Tous les groupes bancaires chinois ne prêtent aux entreprises qu’à un taux minimum de 5,35% par an, et les PME n’ont pas accès à ce marché. Quant aux ménages, ils ne peuvent placer leur argent qu’à un taux uniforme de 2,75% par an, soit un taux inférieur à l’inflation. Dans un tel cas de figure, une suppression des contrôles de capitaux (promise par le gouvernement et indispensable pour rendre une monnaie parfaitement convertible) engendrerait des sorties de capitaux massives, puisque les épargnants chinois rechercheraient des placements (mieux) rémunérés à l’étranger. Cette situation ne serait pas de nature à accorder de la confiance au yuan, ce qui est pourtant nécessaire pour une monnaie internationale. D’autant plus que les pays qui ont tenté ce genre de big-bang financier s’en sont souvent mordu les doigts, comme les pays scandinaves dans les années 1980. La libéralisation du système financier d’un pays aussi puissant que la Chine ne peut se faire que par étapes. Une fois qu’un système financier solide et moins administré sera bâti, peut-être le yuan pourra-t-il prétendre au statut de monnaie internationale.

http://www.assemblee-nationale.fr/13/budget/plf2012/a3808-tVI.asp

Rappel sur la question du yuan dans la synthèse d’actu estivale de l’an passé.

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