-André Cartapanis & Jérôme Teïletche (1)

L’article vise à montrer l’importance des hedge funds dans la crise des subprimes et ce, non seulement en tant que responsable de la crise des crédits structurés, mais également dans la propagation de la crise. Le marché des CDO (collateralized debt obligations) est devenu illiquide quand ces fonds d’investissements, trop endettés, n’ont pu honorer leurs engagements. On pourrait expliquer la crise de 2007 en se focalisant sur les innovations financières (ABS, CDO, MBS) et l’extension de la chaîne du financement direct (SIV, rôle des assurances -AIG par exemple) ou encore les excès de liquidités, l’extension des crédits ou, en discriminant les acteurs qui ont eu un rôle clef dans la naissance de la crise. C’est ce dernier point qui est développé dans cet article.

L’analyse montre que ce sont les banques qui, de nature, se doivent d’être transparentes avec les règles prudentielles qui ont pris finalement les positions les plus risquées. Le rôle des hedge funds, lui, est plus controversé. En effet, peu de ces fonds ont fermé sur la période 2007-2008 et les pertes assumées n’auraient pas été aussi significatives que celles pensées. (2) Mais ce point de vue n’est pas partagé par tous les économistes (3). 

Les hedge funds sont souvent associées aux excès de la spéculation financière depuis le cas LTCM en 1998 qui a amené une crise de liquidité aux Etats-
Unis. Mais cela ne va pas de soi car certains fonds qui ont fait faillite n’ont pas entraîné une crise bancaire (le fonds Amaranth avec une perte de 6 000 000 000 $ en 2006 en est un exemple). De plus, très peu de fonds ont fermé et beaucoup ont émergé : environ trois fonds pour mille ferment par an de 1998 à 2008 et leur nombre a été multiplié par sept [Prada, 2007] (4). Pour mieux comprendre les actions des hedge funds, il faut dès lors faire une typologie des stratégies de ces
fonds.

Plusieurs stratégies sont mises à l’oeuvre par les hedge funds : d’abord ils peuvent suivre la tendance du marché ou alors faire de l’arbitrage ; ils privilégient les produits dérivés (dix à vingt styles différents de stratégies d’actifs). L’importance dans la finance des hedge funds est dû principalement aux importants effets de levier que connaissent ces derniers : il vient des facilités à obtenir des crédits de la part des banques internationales, de la vente à découvert d’actifs et de prises de position sur les marchés des produits dérivés. Ce dernier point est assuré par les banques d’investissement qui deviennent des « prime broker »i.e ils assurent le financement des expositions que prennent les hedge funds et leurs transactions sur les dérivés [Cartapanis, 2008] (5). Ce mécanisme relie donc les
positions des hedge funds et le système bancaire. Seuls 30% des fonds n’utilisent pas d’effet de levier. Ce leverage change l’ampleur donc du rôle des hedge funds, ainsi, dans les années 2000, près de 10 000 fonds gèrent entre 1400 et 2000 milliards de dollars d’actifs, avec une croissance de 20%/an [Ferguson & Laster, 2007] (6) , ce qui représente 30% des transactions sur les marchés financiers d’actions états-unien. Ainsi, si un des fonds prenait une position risquée sur un actif déjà en baisse (positive feedback trading), le risque de crise systémique augmentait considérablement. Il faut toutefois relativiser cette fin d’argumentation.

Lorsque la crise vint du marché des produits dérivés, on pointa du doigt les hedge funds : au moment de la crise, ces dernières détenaient 46% des tranches de CDO (12,1%AAA, 4% AA, 4,6% A, 19,1% equity i.e 80% des plus risqués…) [Blundell & Wingall, 2007]. De facto, les hedge funds furent au cœur de la crise, certaines firent faillite donc : UBS Dillon Reed Capital Management, Bear Stearns, Cheyne, Synapse, Thornburg, CSO Partners etc… Chacun de ces fonds ont utilisé de façon abusive des effets de levier. Cependant, toutes ces faillites pèsent moins de 20 000 000 000 $ ce qui est bien en-deçà des pertes engendrées par les banques. D’après le FMI (7) [2008], les hedge funds n’ont subi que 22,8% de pertes qui sont liées aux subprimes en 2006 contre 53,3% pour les banques. Deux idées émergent alors: soit les hedge funds ont dissimuler leurs pertes (étant peu transparentes) l’exemple du fonds Peloton peut montrer cela où en 2007 il connaît +86% de croissance (contre 10% en moyenne dans les hedge funds) avant de faire faillite deux mois plus tard. Une autre idée est que l’exposition des hedge funds a été exagérée malgré leurs positions sur les CDO/ABS/MBS car les dérivés de crédits ne sont pas dominants dans les fonds à risque. De plus les positions « short » sur les subprimes de certains fonds qui avaient anticipé la bulle ont amené des gains significatifs (+870% en 2007 pour le fonds d’Andrew Lahde). A contrario, les banques prennent des positions plutôt longues sur le résidu qu’elles ne peuvent placer ce qui les rend plus vulnérables (Goldman Sachs s’est comportée comme une hedge funds et en a tirer profit).

Comme dit précédemment, les hedge funds ont un important effet de levier grâce aux prime brokers que sont les banques d’investissement qui reçoivent en contrepartie 25% des revenus des hedge funds (8). Or dès 2007, les banques paniquent devant le renversement progressif des actions et s’inquiètent des crédits hypothécaires et donc mettent en place un deleverage massif en augmentant
les marges sur les crédits accordés aux hedge funds ce qui fait vendre à perte ces dernières et donc amène une hausse des faillites. Deux mécanismes surenchérissent cette propagation de la crise d’illiquidité : la perspective d’une récession états-unienne qui a plongé le système financier dans un krach spectaculaire au premier trimestre 2008 ce qui, logiquement, amène une faillite pour un bon nombre d’hedge funds. D’autre part, les restrictions de liquidité demandée par les prime brokers qui mettent en difficulté les hedge funds comme Carlyle, Focus, Drake, Blue River, Tisbury… Certains hedge funds ont quitté leur prime broker entraînant la faillite de ce dernier comme Bear Stearns. Le mécanisme de demande de liquidité de la part des banques (pour assurer leur liquidité) met en difficulté les hedge funds qui sont obligées de vendre à perte amenant les banques à exiger d’être remboursées, d’où la naissance d’un cercle vicieux. La relation entre les banques et les hedge funds s’est donc quelque peu érodée ce qui met en péril l’industrie des fonds spéculatifs. Cartapanis conclut sur l’idée que les hedge funds sont en péril dans les prochains mois (de 2008) avec la menace du credit crunch. On peut dès lors nuancer les propos de l’économiste par
rétrospective ; en effet les hedge funds n’ont cessé de croître après la crise, augmentant la finance de l’ombre (90 000 000 000 $ en 2017) avec une supervision prudentielle stoppée par la politique de Donald Trump avec l’abrogation de la loi Dodd Frank : les banques n’ont plus l’obligation de limiter leurs investissements dans les hedge funds à 3% de leur capital.

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  1. Cartapanis André, Teïletche Jérôme. Les hedge funds et la crise financière internationale. In: Revue d’économie financière. Hors-série, 2008. Crise financière : analyses et propositions. pp. 185-193.
  2. Amenc,N., « Trois premières leçons de la crise des crédits “subprimes”», Edhec-Risk and Asset Management Research Centre, Nice, août, 2007.
    Simon, Y., « Les hedge funds, la titrisation et la crise de l’été 2007 », in B. Jacquillat (Dir.), Hedge funds, private equity, marchés financiers : les frères ennemis ?, Le Cercle des économistes, PUF, Descartes & Cie, Paris, 2008
  3. Soros. Georges., The New Paradigm for Financial Markets : The Great Credit Crash and What It Means, Public Affairs, London, 2008.
    Aglietta, Michel ; Rigot, S., « La réglementation des hedge funds face à la crise financière. Une contribution au débat », Document de recherche, EconomiX, UMR 7166, CNRS – Université de Paris X – Nanterre, mars, 2008
  4. Prada, M., « Le monde des Hedge Funds : préjugés et réalité. La contribution de l’AMF au débat sur les stratégies de gestion alternative », Revue de la stabilité financière, Banque de France, n° 10, avril, 2007.
  5. Cartapanis, André., « Les hedge funds et le risque systémique », in B. Jacquillat (Dir.), Hedge funds, private equity, marchés financiers : les frères ennemis ?, Le Cercle des économistes, PUF, Descartes & Cie, Paris, 2008.
  6. Ferguson, R. ; Laster, D., « Hedge Funds et risque systémique », Revue de la stabilité financière, Banque de France, n° 10, avril, 2007.
  7. International Monetary Fund, « Containing Systemic Risks and Restoring Financial Soundness », Global Financial Stability Report, Washington, April, 2008.
  8. Dubois, A. ; Mustier, J.-P., « Risques et rendement des activités bancaires liées aux Hedge Funds », Revue de la stabilité financière, Banque de France, n° 10, avril, 2007.

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par Morgan Sachs