Même si le programme de géopolitique couvre en théorie peu d’économie, il est essentiel d’en maîtriser certains aspects techniques indispensables à une bonne compréhension du cours. A ce titre, on te propose aujourd’hui un authentique sujet d’oral HEC 2019, qui met en relation deux notions essentielles : la crise de 1929 et le protectionnisme…

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Le podcast de colle sur le protectionnisme et la crise de 1929

Dans une conférence de comparaison entre les crises de 1929 et 2007-2009, l’historien Patrice Baubeau déclarait « La hausse des droits de douane après 1929 a précipité la crise mondiale ». Il pose ainsi l’existence d’un lien intrinsèque entre la réaction protectionniste qui a été celle de nombreux États après 1929, et la réalité de fait qui est que la crise financière américaine de 1929 dégénère en une crise économique mondiale.

Le protectionnisme se définit comme une politique économique interventionniste consistant à protéger l’économie nationale de la concurrence étrangère pour défendre l’emploi, la balance commerciale ou le niveau de vie. Il prend souvent la forme d’une limitation des importations (barrières douanières), d’une dynamisation des exportations, et d’une intervention de l’État dans l’économie afin de soutenir les entreprises.

La crise de 1929 est avant tout financière ; elle naît aux États-Unis, avant de s’étendre à l’ensemble du monde sous la forme d’une crise économique et sociale à travers en particulier l’endettement de nombreux États envers les États-Unis.

Le terme “leçons” invite à réfléchir sur les enseignement à tirer de ces deux événements, dont il faudra déterminer la nature et la pertinence. Il conviendra de s’interroger sur le lien réciproque entre les deux faits, et non à simplement prendre le protectionnisme comme une conséquence directe de la crise de 1929.

Ainsi, quelles leçons tirer de l’application du protectionnisme dans la crise de 1929 et les années 30, et comment ont-elles été retenues par la suite ?

Dans un premier temps, nous verrons qu’en réaction à la crise de 1929, les États adoptent des mesures protectionnistes qui se révèlent de mauvais choix dans les années 1930, mais que ce n’est pas à proprement parler le protectionnisme qui pose problème dans la gestion de la crise puis de la dépression. Enfin, nous nous interrogerons sur la pérennité de ces leçons, et nous demanderons en particulier si elles ont bien été apprises et appliquées lors des crises suivantes.

I. En réaction à la crise de 1929, les États adoptent des mesures protectionnistes qui se sont révélées de mauvais choix dans les années 1930

La mise en place de barrières douanières achève de tuer le commerce international et pousse les États au repli sur soi

Suite au krach boursier américain d’octobre 1929, et à la contagion aux entreprises américaines puis aux économies européennes, la production chute de 50% aux États-Unis et en Allemagne, de 30% au Royaume-Uni. Pour tenter de préserver l’économie américaine, en 1930, le président Hoover accepte le tarif douanier Hawley-Smoot, qui remonte les droits de douane à 52% sur plus de 20 000 types de biens. En réaction à cette entrave au commerce international, de nombreux États augmentent à leur tour les droits de douane à l’importation.

Pour doper les exportations, les États font des dévaluations compétitives, ce qui crée un cercle vicieux

Pour tenter de redevenir temporairement plus compétitif que le voisin, les États pratiquent la dévaluation compétitive, c’est à dire l’abaissement à l’extrême du taux de change de la monnaie nationale. En 1931, le Royaume-Uni dévalue unilatéralement la £, et bénéficie effectivement d’un bref regain de compétitivité. Dans le cadre du New Deal, le président américain Roosevelt dévalue à son tour le $ en 1933 et 1935. En réaction, le Franc est à dévalué en 1936 à l’arrivée au pouvoir du Front Populaire. Au total, ce seront 40 monnaies qui seront dévaluées à répétition pendant la décennie.

Le repli sur soi, vu comme une manière d’éviter la contagion internationale, favorise l’autarcie et va de pair avec les résurgences nationalistes

Face à cette dégradation de la conjoncture internationale, les économies qui le peuvent se recentrent sur le commerce national, et privilégient les échanges avec leur empire colonial, ou à défaut leur arrière-cour. Trois grandes zones monétaires se forment :

– La zone $, regroupant les États-Unis et les pays d’Amérique latine appartenant à la sphère d’influence américaine

– La zone £ : en 1931 les Statuts de Westminster accordent plus de souveraineté aux dominions britanniques, et en contrepartie les accords d’Ottawa de 1932 instaurent la préférence impériale et le Commonwealth est créé la même année

– Le Bloc Or (Franc) : créé en 1933 entre la France et ses colonies, la Belgique, l’Italie, les Pays-Bas et la Suisse

L’Allemagne, l’Italie, l’URSS et le Japon se recentrent sur la production nationale, et en particulier le réarmement. Dans ces pays à « solution militaire », c’est une véritable autarcie économique qui se met en place, souvent couplée à des discours encourageant la protection nationale, exaltant la supériorité de la nation. En un mot, des exaltations nationalistes.

II. Néanmoins, ce n’est pas à proprement parler le protectionnisme qui pose problème dans la gestion de la crise de 1929

La mauvaise gestion de la crise est liée à trois grands dysfonctionnements

– Un problème monétaire: la Réserve Fédérale américaine souhaite avant tout limiter l’inflation et préserver ses réserves d’or. En conséquence, elle remonte les taux d’intérêt dans les années 30, ce qui asphyxie banques et entreprises.

– Un problème budgétaire: les gouvernements ne comprennent que très tard la nécessité d’adopter une politique budgétaire contra-cyclique et augmenter le stock de liquidités disponibles. Ce n’est qu’à la mise en place du New Deal que le déficit budgétaire se creuse : politique de grands travaux (Hoover Dam), versement de primes aux anciens combattants, soutien à l’industrie et à l’agriculture (NIRA, AAA)

– Un problème commercial: adoption généralisée d’un protectionnisme poussé à l’extrême (remontée des barrières douanières, repli autarcique)

La rupture de la concertation internationale a des effets destructeurs

Le problème ne réside pas tant dans l’application du protectionnisme que dans la rupture de la concertation internationale. En effet, à partir de 1933 le New Deal, considéré comme le père de toutes les relances, est mis en place avec des mesures de soutien à la production nationale qui entrent techniquement dans l’appareil protectionniste. La théorie n’est donc pas complètement à jeter à la poubelle. En revanche, dans les années 30 cela se couple à une rupture généralisée de la concertation internationale, sur des sujets économiques puis politiques :

– Échec de la conférence de Londres en 1993 à cause du refus américain de revenir à un système de convertibilité or de toutes les monnaies

– La question des dettes allemandes : à partir de la conférence de Lausanne (1932) la France voit d’un mauvais œil l’allègement quasi-total des pénalités allemandes ; en 1933 à son arrivée au pouvoir Hitler suspend intégralement le paiement des pénalités allemandes

– Dévaluations compétitives unilatérales à partir de 1931, 40 monnaies concernées. Ce n’est qu’en 1936 qu’un accord de stabilité est signé entre $, £ et €

– Annexions successives par le Japon (Mandchourie), l’Italie (Éthiopie) et l’Allemagne (Tchécoslovaquie, Sudètes) tout au long de la décennie

Une fausse leçon : la crise amène le protectionnisme qui amène la guerre

Il faut ainsi veiller à ne pas tirer de leçons à tort : le protectionnisme ne naît pas complètement de la crise, ni ne génère complètement ni la crise ni la 2e GM. En effet, l’application des tarifs douaniers plus élevés naît de la 1re GM par la nécessité de redresser une agriculture et une industrie détruites, où les gains de productivités (fordisme en 1931) pèsent sur les prix. Ainsi, aux États-Unis la remontée des droits de douane est amorcée dès 1922 par le vote du tarif Fordney-Mac Cumber (remontée des droits de douane à 38%). De même, la fermeture des frontières n’explique à elle seule ni la Grande Dépression ni la 2e GM. C’est la faillite des systèmes bancaires nationaux qui explique la fermeture commerciale, et déclenche la montée des périls car elle est couplée à des discours nationalistes exaltant l’expansion territoriale et la supériorité d’un peuple.

III. Les leçons de 1929 ont été retenues, toutefois on assiste aujourd’hui à des résurgences protectionnistes dans les rhétoriques populistes

Les leçons des années 30 sont-elles encore valables ?

Au total, la pleine relance de la production ne vient qu’avec l’entrée en guerre des pays concernés, en témoigne la stagnation du PIB américain de 1993 à 1941, et son triplement entre 1941 et 1946. On peut maintenant se demander si les leçons de l’application du protectionnisme après 1929 ont bien été apprises. Avant toutes choses, il est évident que le monde a changé depuis quatre-vingt-dix ans : les économies sont infiniment plus interdépendantes, les droits de douane ont été abaissés à des niveau record depuis les années 1980, et les sphères d’influence qui ont permis le repli colonial n’existent plus. On peut néanmoins s’interroger sur la pérennité des leçons tirées de la crise de 1929 concernant l’attitude protectionniste.

En 2009, la leçon est bien apprise et les erreurs du passé ne sont pas répétées

Quatre-vingt ans plus tard, la crise des subprimes et la crise économique mondiale qui en résulte prouvent que les leçons de 1929 sont bien apprises. En effet, le directeur de la FED Ben Bernanke a lui-même fait sa thèse sur les politiques économiques de gestion de la crise de 1929. En conséquence, il adopte la stratégie inverse :

– Baisse des taux directeurs

– Injection de liquidités dans l’économie pour éviter une dépression

– Assainissement du système bancaire

– Quantitative easing, c’est-à-dire rachat par la Banque Centrale de titres de dette aux banques afin de les inciter à accorder des crédits pour relancer l’emploi et la production, et augmenter la masse de liquidités en circulation

Surtout, la concertation économique internationale est maintenue :

– Plans européens de sauvetage : Grèce, …

– Traité européen sur la Stabilité, la Coordination et la Gouvernance en 2012

– Relance du G20 à partir de 2007

– Accords de Bâle III en 2010 : mise en place du ratio de liquidités, redéfinition des fonds propres réglementaires pour les banques

– Plans de relance budgétaires à l’échelle nationale

Ce cocktail de mesure permet de préserver la gestion collégiale de la crise, et l’emploi de solutions collectives et concertées.

Aujourd’hui, le monde est incontestablement plus protectionniste

Les instincts protectionnistes n’ont certainement pas disparu, et les manifestations en sont nombreuses. Incitation à produire et acheter national, hostilité contre les travailleurs étrangers, remontée des droits de douane sur fond de guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, les États-Unis et l’Europe, relocalisations, … Aujourd’hui, la majorité des États adoptent des mesures commerciales qui témoignent d’un certain protectionnisme.

Poussé à l’extrême, il devient un argument économique employé par les populistes. Le discours s’adresse aux classes populaires, souvent les laissés pour compte de la mondialisation. Préconise une attitude anti-establishment, et régler les problèmes nationaux par le repli commercial et politique sur soi. C’est dans ce contexte qu’il faut interpréter la renégociation de l’ALENA par le président Trump en 2017-2018. Le nouvel accord impose des restrictions commerciales au Mexique, notamment sur les volumes et les prix des produits importés aux États-Unis, conformément aux idées défendues par Trump durant sa campagne de 2016.

Conclusion

Ainsi, loin de résoudre la crise, les mesures protectionnistes adoptées suite au krach boursier de 1929 ne font qu’aggraver la situation. Néanmoins, la dépression qui naît de la crise de 1929 ne s’explique pas par le seul protectionnisme, mais bien par l’absence de coopération, et la rupture de la concertation internationale. Le protectionnisme est révélateur de cette montée des périls dans les années 30, puisqu’il reflète le repli sur soi qui accompagne les résurgences nationalistes. La crise de 1929 est emblématique d’un choc conjoncturel devenu structurel, et de l’impuissance des gouvernements à produire une solution durable. Cette crise paradigmatique a apporté des enseignements qui ont ensuite été appliqués dans la gestion des crises suivantes, en particulier en 2009. Néanmoins, le protectionnisme n’en reste pas moins d’actualité !

Quelques éléments de reprise

Comme tout sujet d’oral, il était ici indispensable d’envisager la question selon une double perspective : qu’est-ce qu’on attend de moi, et quelles sont les pièges à éviter ? Plusieurs remarques viennent à l’esprit.

L’exposé doit traiter de choses vues en cours, néanmoins il ne s’agit pas de raconter en trois parties la crise de 1929 et ses conséquences. Il faudra intégrer des connaissances indispensables, mais bien de répondre au sujet, à tout le sujet, rien qu’au sujet.

Il s’agit d’un thème technique, à mi-chemin entre la géopolitique et l’économie. Néanmoins, votre cours sur les années 30 aura probablement été l’occasion d’introduire un certain nombre de concepts économiques qui seront utiles ici. Ne paniquez pas, et au contraire, montrez au jury que vous les maitrisez. Voici une liste (non exhaustive) de concepts économiques à pouvoir convoquer aisément pour répondre à ce sujet : inflation, déflation, dévaluation, barrières douanières, taux d’intérêt, taux directeurs, régime de change, déficit commercial, déficit budgétaire, quantitative easing, balance commerciale, balance budgétaire, titrisation.

Attention à ne pas extrapoler ! Demandez-vous bien quelles leçons tirer, et pour vous aider à réfléchir, demandez-vous aussi quelles leçons ne pas tirer. En particulier, n’adoptez pas le point de vue fataliste selon lequel c’est la crise de 29 qui est responsable de l’éclatement de la Seconde Guerre Mondiale.

Tout exposé nécessite des limites (géographiques, thématiques, chronologiques, …) précises. Ici, il est particulièrement intéressant de réactualiser les potentielles leçons tirées, et de les réexaminer à l’aune des crises financières et économiques suivantes. J’ai pris l’exemple de la crise 2009, néanmoins pourquoi ne pas convoquer aussi la crise asiatique de 1997, qui fait aussi partie du programme ?

En somme, gardez bien à l’esprit que si tout sujet nécessite de la restitution de connaissance, il n’en reste pas moins un exercice de création 🙂